La réforme des nullités en droit des sociétés, introduite par l’ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025, marque une évolution structurante du droit applicable aux sociétés civiles et commerciales. Attendue depuis plusieurs années, elle vise à rationaliser un régime devenu à la fois trop rigide et insuffisamment lisible, en harmonisant les règles au sein du Code civil et en recentrant les causes de nullité sur des fondements pertinents.
Sa mise en application, prévue pour le 1er octobre 2025, appelle les praticiens à un effort d’adaptation et de vigilance. Cette réforme ne se contente pas d’une réécriture technique : elle modifie profondément l’équilibre entre respect des règles de gouvernance et stabilité juridique des sociétés.
L’objectif : sécuriser la vie sociale sans banaliser l’irrégularité
La fin d’un régime éclaté et source d’instabilité
Jusqu’à présent, la nullité en droit des sociétés obéissait à un régime dual : d’un côté, les dispositions du Code civil pour les sociétés civiles ; de l’autre, celles du Code de commerce pour les sociétés commerciales, parfois renforcées par des textes spéciaux. Ce cloisonnement entretenait une insécurité juridique, d’autant plus sensible que certaines décisions pouvaient, selon leur qualification, relever de l’un ou l’autre corpus.
L’unification opérée par l’ordonnance de 2025 ancre désormais les règles générales relatives à la nullité dans le Code civil, plus précisément dans les articles 1844-10 à 1844-17, applicables à toutes les sociétés, indépendamment de leur forme.
Le recentrage sur les fondements essentiels de la nullité
Désormais, la nullité d’une décision sociale ne pourra résulter que :
- De la violation d’une disposition impérative de droit des sociétés (hors considérations extra-financières prévues à l’article 1833, alinéa 2) ;
- Ou de l’une des causes générales de nullité des contrats (erreur, dol, violence, absence de consentement, etc.).
Ce recentrage exclut, sauf disposition légale contraire, la possibilité de demander l’annulation d’une décision sociale pour simple violation statutaire, ce qui constitue un changement notable pour les praticiens des sociétés par actions simplifiées (SAS) notamment.
Le rôle renforcé du juge : l’instauration d’un filtre tripartite
Une approche par les conséquences concrètes
L’ordonnance innove en conditionnant la nullité des décisions sociales à la satisfaction d’un triple test, désormais codifié à l’article 1844-12-1 du Code civil. Ce test oblige le juge à apprécier :
- L’existence d’un grief personnel et direct du demandeur, en lien avec l’intérêt protégé par la règle invoquée ;
- L’impact réel de l’irrégularité sur le sens ou le contenu de la décision contestée ;
- L’équilibre entre les effets de la nullité et la protection de l’intérêt lésé, en évitant que les conséquences de l’annulation soient disproportionnées.
Cette logique d’analyse en contexte s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle initiée par la Cour de cassation en 2023 (Com., 15 mars 2023, n° 21-18.324) et désormais consacrée par le texte.
Une sanction à géométrie variable
Lorsque la rétroactivité de la nullité est jugée manifestement préjudiciable à l’intérêt social, le juge pourra en différer les effets. Cette souplesse offre un instrument d’ajustement précieux dans des situations où l’annulation immédiate créerait plus de désordre que de justice.
Une réforme pragmatique contre les nullités en cascade
Vers une plus grande efficacité décisionnelle
L’article 1844-15-1 du Code civil précise que la nullité de la désignation d’un organe social n’emporte pas automatiquement la nullité des décisions qu’il a prises. Cette disposition met fin à des effets en chaîne souvent disproportionnés, qui paralysaient le fonctionnement de l’entreprise pour des vices parfois purement formels.
Le juge retrouve ici sa mission d’arbitre des équilibres : il appréciera si le maintien de la validité des décisions est compatible avec le respect du droit des sociétés.
Un régime spécifique pour les statuts de SAS
Les statuts de SAS peuvent désormais prévoir la nullité des décisions prises en violation des clauses qu’ils édictent (article L. 227-20-1 du Code de commerce). Toutefois, cette nullité ne pourra être prononcée que sous réserve du triple test, ce qui limite le risque d’annulations excessives pour de simples manquements formels.
Ce mécanisme offre aux associés une autonomie contractuelle renforcée, tout en garantissant un filtre juridictionnel exigeant. Le pouvoir statutaire est reconnu, mais reste encadré.
Une nouvelle prescription abrégée
Le délai de prescription de droit commun applicable aux actions en nullité est ramené de trois à deux ans (article 1844-14 du Code civil). Ce raccourcissement vise à renforcer la sécurité juridique, en évitant des contestations trop tardives susceptibles de fragiliser l’entreprise et ses partenaires.
Ce nouveau délai appelle à une vigilance accrue de la part des associés, dirigeants et conseils, notamment dans les sociétés à gouvernance complexe.
Une réforme à la fois technique et opérationnelle
Loin de se limiter à une réécriture théorique, la réforme des nullités opère une véritable réorganisation du contrôle des décisions sociales. Elle introduit :
- Un recentrage sur les fondements juridiques essentiels ;
- Un rôle renforcé du juge dans l’analyse de la proportionnalité des sanctions ;
- Une meilleure prévisibilité des risques liés aux contentieux sociaux.
Pour les praticiens, il s’agit désormais d’intégrer cette logique nouvelle dans la conception des actes, la stratégie de gouvernance et la gestion du risque contentieux. Une adaptation nécessaire, au service d’une plus grande stabilité du droit des sociétés.
LE BOUARD AVOCATS
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