Une clarification essentielle sur la dévolution procédurale en matière pénale

La chambre criminelle de la Cour de cassation a, par un arrêt du 29 avril 2025 (n° 24-81.555, FS-B), consacré une solution de principe en matière de fusion-absorption et d’appel correctionnel : l’appel interjeté par la société absorbante s’étend à la condamnation pénale de la société absorbée, sauf mention expresse contraire dans l’acte d’appel.

 

Cette solution, fondée sur une lecture stricte de l’article 509 du code de procédure pénale, repose sur une double exigence : garantir l’effectivité des voies de recours en cas de restructuration et éviter toute interruption artificielle de l’action publique par disparition juridique du prévenu.

 


Le principe : l’appel de la société absorbante emporte effet pour la société absorbée

Une lecture rigoureuse de l’article 509 du code de procédure pénale

Selon l’article 509, la cour d’appel est saisie dans les limites fixées par l’acte d’appel et la qualité de l’appelant. En cas de contestation sur l’étendue de la saisine, il appartient à la cour de se déterminer au seul vu des termes de l’appel. La jurisprudence exige que toute limitation du recours figure explicitement dans l’acte d’appel lui-même.

 

En l’espèce, la société absorbante, également condamnée, a interjeté appel sans limiter son recours. L’argument de la cour d’appel, selon lequel l’appel de la société absorbée — devenue inexistante — était irrecevable, a été jugé contraire à ce principe.

 

La transmission de la qualité de partie appelante

La fusion-absorption opérée postérieurement au jugement, mais antérieurement à l’appel, a pour effet, en application de l’article L. 236-3 du code de commerce, de transmettre l’intégralité du patrimoine actif et passif de la société absorbée, y compris la qualité de partie au procès pénal. La société absorbante se trouve ainsi investie de l’ensemble des droits et obligations procéduraux de l’absorbée.

 

La Cour précise qu’en l’absence de restriction expresse, l’appel de la société absorbante inclut nécessairement les chefs du jugement relatifs à l’absorbée, dont elle a juridiquement repris les engagements et la personnalité procédurale.

 


Une évolution logique du droit pénal des personnes morales

La continuité de l’action publique post-fusion

Depuis les arrêts de 2020 et 2024, la chambre criminelle admet que la société absorbante puisse être condamnée pour des faits commis par la société absorbée avant la fusion. La présente décision parachève cette évolution : la société absorbante ne peut se dérober à la responsabilité procédurale des infractions de l’absorbée.

 

L’effet utile de cette solution est double :

 

  • éviter l’anéantissement de l’action publique du fait de la disparition de la personne morale absorbée ;

 

  • empêcher l’irrégularité d’un jugement devenu définitif par défaut de saisine effective du juge d’appel.

 

Une harmonisation des règles entre procédure civile, commerciale et pénale

Alors que le droit civil admet depuis longtemps la continuation d’instance par la société absorbante, le droit pénal, plus réticent, évolue désormais dans le même sens. L’extension objective de l’effet dévolutif de l’appel vise à réconcilier les exigences de procédure avec la réalité des fusions économiques.

 


Le régime applicable en cas de nouvelle condamnation sur renvoi

Individualisation de la peine sur une base unifiée

En cas de déclaration de culpabilité sur renvoi, la peine sera nécessairement prononcée contre la seule société absorbante. Cette peine devra être individualisée, conformément aux articles 132-1 et 132-20 du code pénal, en tenant compte :

 

  • des circonstances de l’infraction initiale,

 

  • de la situation de la société absorbée au moment des faits,

 

  • de la situation économique et patrimoniale de la société absorbante à la date du jugement.

 

L’évaluation des capacités contributives de la société absorbante devra ainsi se faire au regard de ses charges et ressources actuelles, même lorsque les faits sont antérieurs à la fusion.

 


Conséquences pratiques pour les praticiens

À anticiper dans toute opération de fusion

Les avocats d’entreprise à Versailles, conseils en contentieux et directions juridiques doivent désormais intégrer les risques pénaux en cours dans la documentation de fusion. L’appel interjeté par l’absorbante doit être formulé avec une précision maximale, sous peine de se voir reprocher une portée trop générale ou, à l’inverse, trop restrictive.

 

Pour les juridictions : obligation de motivation circonstanciée

Les juridictions de renvoi devront motiver leurs décisions en distinguant clairement la part de responsabilité liée à l’absorbée et celle de l’absorbante. En cas de peine d’amende, la base de calcul doit impérativement correspondre à la situation de l’entité survivante, conformément aux exigences de proportionnalité posées par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation.

 


Par cet arrêt du 29 avril 2025, la Cour de cassation confère à l’appel correctionnel une portée réaliste et rigoureuse dans le contexte des fusions-absorptions. Elle renforce la cohérence du droit pénal des personnes morales en garantissant la continuité de l’action publique, même lorsque la restructuration juridique efface la personnalité de l’auteur initial.

 

Cette décision impose un haut niveau de vigilance aux praticiens, qui doivent désormais intégrer l’enjeu procédural de l’appel dans toute opération de fusion, et penser l’appel non plus comme un acte strictement individuel, mais comme un instrument de défense globale des intérêts des sociétés parties au procès.