L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 avril 2025 (n° 23-14.865, publié au Bulletin) précise avec netteté les contours de l’obligation de notification des actes de procédure fiscale aux débiteurs tenus solidairement au paiement des droits. Il consacre la faculté pour l’un quelconque des débiteurs solidaires, y compris celui ayant reçu l’acte litigieux, de se prévaloir de l’irrégularité procédurale résultant de l’absence de notification aux autres codébiteurs.

 


1. Le cadre juridique applicable : la solidarité fiscale et les exigences du contradictoire

En vertu de l’article 1705 du code général des impôts, tous les signataires d’un acte soumis à enregistrement sont solidairement redevables des droits dus à ce titre. L’administration fiscale est donc en droit d’adresser ses actes à l’un quelconque des redevables et d’exiger de ce dernier le paiement de l’intégralité de la dette.

 

Cette prérogative est toutefois encadrée par les principes procéduraux généraux, en particulier celui du contradictoire. En matière de redressement fiscal, la Cour de cassation admet depuis longtemps que la proposition de rectification peut être notifiée à un seul débiteur solidaire, afin de faire courir les délais et interrompre la prescription. En revanche, les actes subséquents à cette proposition doivent être portés à la connaissance de l’ensemble des codébiteurs concernés par l’obligation fiscale.

 

Cette obligation de notification, qui participe des exigences de loyauté des débats, a été affirmée de manière constante tant pour les actes de la procédure de rectification que pour ceux de recouvrement ou de contentieux (notamment Cass. com., 25 mars 2014, n° 12-27.612 ; Cass. com., 12 décembre 2018, n° 17-11.861).

 


2. L’apport de l’arrêt du 2 avril 2025 : confirmation et extension de la faculté d’invocabilité

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 2 avril 2025, la Cour de cassation était saisie d’un pourvoi formé par une bénéficiaire d’une donation de titres en nue-propriété. L’administration, contestant la valeur déclarée dans l’acte, avait initialement adressé la proposition de rectification au donateur, décédé au cours de la procédure. La réponse aux observations avait ensuite été adressée uniquement à l’une des donataires, Mme L., codébitrice solidaire de la dette de droits de mutation.

 

Cette dernière soutenait que l’ensemble des bénéficiaires de la donation, codébiteurs en vertu de l’article 1705 CGI, auraient dû recevoir notification de la réponse aux observations. La cour d’appel de Paris avait rejeté cet argument au motif que Mme L., ayant reçu l’acte, ne pouvait se prévaloir du défaut de notification aux autres redevables.

 

En cassant cette décision, la Cour de cassation affirme que l’irrégularité procédurale tirée du non-respect de l’obligation de notification à l’ensemble des débiteurs solidaires peut être utilement soulevée par tout codébiteur, y compris par celui ayant été régulièrement destinataire de l’acte.

 


3. Une reconnaissance explicite de l’invocabilité objective d’une irrégularité procédurale

Cette solution mérite d’être soulignée à deux titres. D’une part, elle dissocie la qualité de destinataire de l’acte de la capacité à se prévaloir d’un manquement procédural affectant l’ensemble des redevables. D’autre part, elle exclut l’exigence de démonstration d’un grief. La Cour ne subordonne pas l’invocabilité de l’irrégularité à la preuve d’une atteinte concrète aux droits du redevable, mais considère que le défaut de notification affecte la régularité même de la procédure.

 

La solution repose sur une logique de solidarité procédurale, parallèle à la solidarité fiscale. Les redevables sont juridiquement exposés à une procédure unique, dont le respect des droits doit être assuré de manière collective. L’absence de notification à un ou plusieurs codébiteurs affecte donc la validité globale de la procédure, et cette invalidité peut être relevée par l’un quelconque d’entre eux.

 

Ce raisonnement est cohérent avec les principes dégagés par la Cour dans d’autres contentieux fiscaux : l’irrégularité procédurale affectant les conditions d’exercice du débat contradictoire constitue une nullité de plein droit, invocable sans démonstration de grief individuel.

 


4. Une jurisprudence de portée transversale en droit fiscal

Bien que rendue en matière de droits d’enregistrement, la solution de l’arrêt du 2 avril 2025 est transposable à l’ensemble des procédures fiscales impliquant plusieurs redevables solidaires. Elle vise :

 

  • les procédures de redressement relatives à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés en cas de solidarité entre associés ou membres d’un même foyer fiscal ;

 

  • les procédures de recouvrement dans lesquelles l’administration agit contre un codébiteur sur le fondement de la solidarité légale ou conventionnelle ;

 

  • les procédures contentieuses, notamment en cas de réclamation ou d’instance en décharge.

 

Les praticiens devront intégrer ce raisonnement dans leur stratégie de défense : la recevabilité d’un moyen tiré de l’irrégularité de notification ne dépend plus de la qualité procédurale du redevable (destinataire ou non), ni de l’existence d’un préjudice personnel.

 


5. Conséquences pratiques pour la défense des contribuables

Cette jurisprudence invite les avocats fiscalistes à exercer une vigilance accrue sur les modalités de notification des actes de procédure :

 

  • vérifier systématiquement si tous les codébiteurs ont reçu les notifications afférentes à chaque étape de la procédure ;

 

  • recourir à la demande de communication de pièces auprès de l’administration pour obtenir la preuve des notifications effectuées ;

 

  • invoquer la nullité de la procédure en cas de manquement, même si le client a lui-même reçu l’acte concerné.

 

Cette stratégie est d’autant plus pertinente qu’elle peut conduire, le cas échéant, à l’annulation des actes de recouvrement ou des décisions de rejet, avec des conséquences substantielles sur l’issue du litige.


Par son arrêt du 2 avril 2025, la Cour de cassation renforce la cohérence et la rigueur des exigences procédurales pesant sur l’administration dans le cadre des procédures impliquant plusieurs débiteurs solidaires. Elle consacre une invocabilité objective de l’irrégularité, détachée de la condition de grief personnel.

 

Ce faisant, elle participe d’une tendance jurisprudentielle visant à rééquilibrer les rapports entre l’administration fiscale et les redevables, en consacrant une lecture exigeante des garanties procédurales. L’intérêt de cette solution dépasse le cadre du contentieux de l’enregistrement, et appelle une application transversale à l’ensemble du droit fiscal.

 

 

LE BOUARD AVOCATS

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