Contexte juridique et utilité du débat

L’article 1518 B du code général des impôts (CGI) plafonne la valeur locative des immobilisations corporelles lorsqu’elles sont cédées dans le cadre d’une cession d’établissement. Ce mécanisme, protecteur pour les collectivités, devient pénalisant pour l’acquéreur : il interdit toute baisse post-acquisition de la base foncière. Or, la question de savoir quand il y a cession d’établissement n’est pas neutre. L’arrêt du Conseil d’État du 7 mai 2025 n° 488170 vient rappeler que la seule transmission d’un immeuble assortie d’un bail commercial ne suffit pas à franchir le seuil.

 


Les critères de la cession d’établissement

Notion d’exploitation autonome

Aux termes de l’article 310 HA de l’annexe II au CGI, constitue un établissement « toute installation utilisée par une entreprise en un lieu déterminé (…) lorsqu’elle peut faire l’objet d’une exploitation autonome » [[CGI, ann. II, art. 310 HA]]. Deux volets sont indissociables :

 

  • le support immobilier ;

 

  • les équipements et agencements indispensables à l’activité.

 

Si l’un fait défaut, l’unité économique n’est plus autonome, donc l’établissement n’est pas cédé.

 

Double exigence posée par l’article 1518 B CGI

Pour entrer dans le champ du dispositif :

 

  1. Transfert global : l’ensemble des moyens – immobiliers et mobiliers – doit changer de mains simultanément ;

 

  1. Poursuite d’activité : l’acquéreur doit être en mesure de poursuivre la même exploitation grâce aux biens cédés.

 

Sans cette double condition, la vente demeure une cession d’actifs isolés, libre des contraintes de l’article 1518 B.

 


Analyse de l’arrêt Conseil d’État 7 mai 2025

Les faits résumés

  • Vendeur : société Financière Batteur.

 

  • Acquéreur : société Saint-Jacques.

 

  • Opération : achat d’un ensemble immobilier industriel et transfert concomitant du bail commercial au profit d’un tiers locataire.

 

  • Absence : aucun matériel de production, aucun stock, ni même le mobilier de bureau n’a été cédé.

 

La solution contentieuse

Le tribunal administratif avait qualifié l’opération de cession d’établissement ; la haute juridiction censure cette analyse : la vente de locaux nus même flanquée du bail ne suffit pas. Sans les équipements, l’activité du locataire ne tient pas à la seule propriété de l’immeuble ; le critère d’autonomie fait défaut.

 

Le Conseil d’État valide ainsi une lecture stricte : pas de faisceau d’indices, pas d’appréciation économique globale ; seul compte le transfert matériel des moyens d’exploitation.

 


Incidences pratiques pour les professionnels du droit des affaires

Impact fiscal immédiat

  • Taxe foncière et CFE : la valeur locative peut être recalculée selon les règles de droit commun (méthode par comparaison ou coût), sans plafonds.

 

  • IS et plus-value : l’opération conserve son régime de cession d’immobilisations simples ; aucune assimilation à une transmission de branche complète d’activité.

 

Rédaction des actes et audit vendeur/acquéreur

  1. Inventaire précis des équipements transférés ou exclus ;

 

  1. Clause déclarative stipulant que l’activité du locataire repose sur son propre matériel ;

 

  1. Organisation de data-room : relever les immobilisations qui resteraient chez le cédant ou son locataire pour prouver que l’exploitation autonome n’est pas transmise.

 

Contentieux potentiels à anticiper

  • Redressement de valeur locative : l’administration fiscale pourrait se prévaloir, à tort, d’une cession d’établissement. Avoir un dossier exhaustif facilite la contestation.

 

  • Révision du loyer commercial : le preneur pourrait tenter d’arguer d’une cession d’ensemble commercial pour renégocier. La décision du 7 mai 2025 sécurise la position du bailleur.

 


Comparaison avec la jurisprudence antérieure

  • CE, 21 déc. 2022, n° 458650 : déjà, la cession d’un entrepôt logistique sans matériel roulant n’avait pas été qualifiée de cession d’établissement.

 

  • CE, 18 juin 2014, n° 365060 : le Conseil d’État considérait qu’un hôtel vendu avec tout son mobilier, son fonds et son personnel constituait au contraire une transmission d’établissement.

 

La cohérence jurisprudentielle est manifeste : tout ou rien. Dès qu’un élément essentiel manque, l’unité économique se désagrège.

 


Points de vigilance pour l’avenir

  • Contrats accessoires : une convention de mise à disposition de machines conclue post-cession pourrait requalifier l’opération.

 

  • Immobilier de commerces intégrés : cession d’un ensemble galerie + bail + marques ? Le critère d’autonomie devra être testé au cas par cas.

 

  • Réformes potentielles : la mission Bettina sur la révision des valeurs locatives industrielles (rapport attendu fin 2025) pourrait modifier le champ des articles 1518 B et suivants.

 


Conclusion

En rappelant qu’aucune cession d’établissement n’existe sans transfert complet des moyens d’exploitation, le Conseil d’État offre aux praticiens une clef de lecture simple : la pierre seule ne fait pas l’usine. Pour sécuriser leurs opérations, vendeurs et acquéreurs doivent disséquer chaque actif, documenter les exclusions et, le cas échéant, anticiper la contestation d’une administration fiscale tentée d’élargir le champ de l’article 1518 B CGI.

 


Points-clés à retenir

  • Pas d’établissement sans autonomie : matériel + immobilier doivent changer de main.

 

  • Valeur locative libre si seuls les murs et le bail sont cédés.

 

  • Importance de l’audit d’actifs pour prévenir requalification.

 

  • Jurisprudence constante : tout élément indispensable manquant exclut la cession d’établissement.

 

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