TAPF, 26 janvier 2021, n° 2000285.
Une tablette électronique est inapte à communiquer par le biais d’un réseau de téléphonie mobile, sans même qu’il soit nécessaire de déconnecter un quelconque système. Par conséquent, la décision du Centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania de refuser l'accès au parloir à des avocats, munis d’une tablette numérique de type « Ipad Pro », est entachée d’erreur de fait. Grâce à l’évolution des technologies, chacun peut travailler sur un ordinateur de bureau, un ordinateur portable, voire sur une tablette électronique (ou ardoise tactile). Pour les technophobes, on rappellera que cette dernière est un ordinateur portable ultraplat qui se présente sous la forme d'un écran tactile sans clavier. Elle est dotée, à peu près, des mêmes fonctionnalités que celles d’un ordinateur personnel. La plus connue − pour avoir été commercialisée la première (en 2011) − est conçue par la marque à la pomme, sous le nom de « Ipad ». Selon Steve Jobs, le « I » fait référence à « Internet », mais également à « individual », « instruct », « inform » et « inspire » alors que « pad » signifie, toujours en anglais, simplement « carnet ». En raison de son extrême mobilité, certains avocats emportent cette tablette un peu partout, y compris au sein des centres pénitentiaires, lorsqu’ils viennent, au parloir, rencontrer leurs clients détenus. L’accès d’un ordinateur au sein d’un centre pénitentiaire est permis car, aux termes de la circulaire du 27 mars 2012 relative aux relations des personnes détenues avec leur défenseur (BOMJL complémentaire du 17 avril 2012) « […] la dématérialisation progressive des procédures pénales » impose le recours à cet équipement. « L’avocat est dorénavant autorisé à entrer en détention (parloirs avocats, quartier disciplinaire) avec un dictaphone et un ordinateur portable professionnel, y compris si celui-ci est équipé d’un système d’enregistrement vocal intégré » (art. 2.1., al. 2). Bien entendu, les normes du contrôle de sécurité ont été adaptées en conséquence. Avant l’introduction d’un ordinateur au sein d’un établissement, il doit être procédé au « dé-houssage avant passage sous le système de contrôle de bagage X », à « la désactivation des technologies sans fil et des logiciels de communication extérieure » et aussi à « la vérification de l’absence de tout support de stockage (clé USB, disque dur externe, etc.) […] et de périphériques externes de communication sans fil (clé USB, wifi, 3G, bluetooth, carte PCMCIA) » (Cir. précit., art. 2.1, al. 3). Cette procédure a vocation à être appliquée, indifféremment, aux ordinateurs portables et aux tablettes électroniques, mais − nous y voilà − la Direction du Centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania, à Tahiti (Polynésie française) a rejeté la demande des avocats tendant à ce qu’ils soient autorisés à entrer au sein de cet établissement avec une tablette de type « Ipad Pro », modèle « A1980 ». L’administration en question était sans doute perturbée par la nature hybride de la tablette tactile, ce qu’un spécialiste a dénommé un « positionnement entre deux chaises » pour parler de l’ordinateur et du smartphone ( O.Chicheportiche : https://www.zdnet.fr). L’administration a attribué à la tablette ce qui est la principale caractéristique du téléphone multifonction : la possibilité de se connecter au réseau téléphonique. Devant le tribunal, elle a soutenu que la tablette électronique est dotée d’« une technologie de communication propre à la téléphonie mobile, sans possibilité de la désactiver de manière sécurisée ». C’est une réaction classique de l’être humain que de prêter aux choses innovantes des pouvoirs qu’elles ne possèdent pas, du moins lorsque l’on n’a pas l’occasion ou la volonté d’en vérifier le fonctionnement. En effectuant cette analyse − somme toute assez simple − , l’administration pénitentiaire aurait constaté que les seules connexions à distance dont dispose le modèle de tablette, dont il s’agit, sont le Wifi et le Bluetooth. En d’autres termes, ce modèle de tablette possède les mêmes caractéristiques que les ordinateurs portables, dont l’usage est autorisé par la circulaire du 27 mars 2012. Il n'en fallut pas davantage pour provoquer l'ire des avocats technophiles. Sur leurs tablettes, ils rédigèrent un recours destiné au juge administratif, en invoquant l’erreur de fait commise par l’administration pénitentiaire. Sans doute en hommage à la fonctionnalité proposée par la plupart des logiciels modernes, ils demandèrent l’annulation de la décision du Centre pénitentiaire. Le Tribunal administratif de la Polynésie française leur donne satisfaction. Il juge que la possibilité de connexion par les technologies Wifi ou Bluetooth ne saurait être opposée aux avocats dans le cadre de leurs échanges avec leurs clients détenus, conformément au texte de la circulaire précitée. Il ajoute qu’il n’est même pas établi ni même allégué par l’administration qu’il serait impossible de désactiver ces modes de connexion. Dès lors, il ne peut y avoir d’interdiction légale de l’entrée au sein du centre pénitentiaire avec une tablette plutôt qu’avec un ordinateur portable. La décision des juges de Papeete est ici sans surprise au regard de l’interdiction de « traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations comparables […] ». De manière implicite, c’est le principe d'égalité qui se trouve appliqué, conformément à ce qu’affirme notre bloc de constitutionnalité. Le tribunal précise que le moyen articulé par l’administration, fondé sur la valeur marchande d’une tablette qui serait de nature à faire courir un risque « de perte ou de vol à son possesseur au sein d’un établissement pénitentiaire », n’est pas de nature à justifier l’interdiction de l’usage de ce matériel par un avocat dans le cadre des échanges avec son client. D’une part, un ordinateur portable a généralement une valeur marchande supérieure à celle d’une tablette, d’autre part, un avocat se trouve rarement dévalisé au sein d’un établissement pénitentiaire, enfin, en imaginant même que ce dernier soit complice de la « perte » de sa tablette, son usage est soumis à l’inscription systématique du matériel sur un registre des entrées et sorties. L’argument était donc marqué d’une mauvaise foi manifeste. Pour conclure, on doit rapporter une observation attristante : un tel jugement révèle ô combien est fort le contraste social ou, pour le dire autrement, la distance entre les préoccupations du client détenu et celles de son défenseur. Les conditions d’incarcération à la prison de Nuutania, l’état sanitaire de l’établissement en particulier −en raison de sa vétusté −, autant que son taux d’occupation de 152 % (ce qui est tout de même mieux que le taux antérieur de 300 %, avant l'ouverture du Centre de détention de Tatutu courant 2017) contrastent fortement avec les préoccupations pourtant légitimes des avocats. Utilité en liberté, insignifiance en détention.
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