CA Papeete, civ., n° 301, 11 juillet 2019, 13/00544
Vivre sur l’île de Tahiti, sans voir l’Océan Pacifique depuis sa fenêtre, le nouvel arrivant ne l’imagine guère. L’image de carte postale, vantant les admirables joyaux de la nature polynésienne, est pourtant fréquemment entamée par la vision, depuis son fare, d’un mur, d’une route, d’un toit… Malgré cela, il est parfois réaliste de demander, en justice, le maintien d’une vue dégagée sur la mer. Tel est l'enseignement qui résulte de l’arrêt de la Cour d’appel de Papeete du 11 juillet 2019 (CA Papeete, 11 juill. 2019, n° 13/00544).
Mme F. prétendait être victime d’un trouble anormal de voisinage, d’une violation des servitudes d’urbanisme en matière de prospect et d’une violation de la servitude non aedificandi du cahier des charges de son lotissement, du fait de la construction réalisée par son voisin qui la privait de la vue sur l’océan. Le 8 août 2011, elle le fit assigner pour obtenir sa condamnation à réduire la hauteur de sa toiture à 5,20 m.
Le 15 mai 2013, le défendeur fut condamné à faire réaliser les travaux à ses frais, et ce, sous astreinte de 10 000 XPF (84 €) par jour de retard, passé un délai de trois mois, à compter de la signification du jugement.
Ayant interjeté appel, celui-ci plaida que, bien au contraire, sa maison était en conformité avec le permis de construire que lui avait délivré l’autorité compétente.
Mal lui en prit, il fut condamné de plus belle à démolir, à ses frais, sa propre maison, cette fois sous astreinte d’avoir à payer 100 000 XPF (838 €) par jour de retard, passé un délai de trois mois après la signification du jugement. L’arrêt met en outre à sa charge le versement, à son adversaire, de dommages-intérêts (4 190 €), outre de substantiels frais irrépétibles (5 028 €).
La Cour juge que la construction litigieuse est bien constitutive d’« un trouble de voisinage qui excède les inconvénients normaux du voisinage et qui ne peut cesser que par sa démolition ».
En outre, elle précise que « le juge judiciaire est compétent pour ordonner la démolition, dès lors que la construction cause à autrui un trouble de voisinage, peu importe que les règles d’urbanisme soient ou non respectées ».
De la sorte, il est fait rigoureusement application de l’article 651 du Code civil et de la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, selon laquelle les juges n’ont pas à rechercher une faute, dès lors que sont caractérisées l'existence et l'origine d’un trouble anormal de voisinage.
La maxime se vérifie un fois encore : « la mer est le chemin des audacieux ».
1. - Fare : n. c. en tahitien signifiant : « maison, case, domicile, demeure, bâtiment » : Dictionnaire de l’Académie Tahitienne en ligne [http://www.farevanaa.pf/dictionnaire.php].
2. -Cass., civ. 3, 12 févr. 1992, n° 89-19.297 : Bull. 1992, III, n° 44, p. 27 ; JCP G, 1992, n° 16, IV, n° 1106, p. 119 ; JCP N, 1992, n° 41, II, p. 330.
3. -Maxime attribuée à ALCUIN (735-804), conseiller de Charlemagne.
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