La présomption d’innocence et l’avocat de la partie civile
Nuit du Droit - 4 octobre 2018
« Oui je sais
Moi avocat de la partie civile
je suis le geignard de service, le Cassandre des robes noires
Celui qui porte la contradiction à ses Confrères de la défense,
se plaçant en victime et seul détenteur de la liberté de souffrir
Ce raillé des prétoires
car si l’avocature était une société d’ordre d’ancien régime
Alors sans nul doute que le représentant de la défense en serait la noblesse
Tandis que celui de la partie civile en serait le Tiers état
Moi avocat de la partie civile
je suis ce faux jumeau voire ce faux-frère tout court qui se refugie dans les jupons du Parquet pour aboyer avec l’aboyeur
Voire parfois pour aboyer plus fort que l’aboyeur.
Car moi avocat de la partie civile,
je suis l’avocat de la souffrance
J’en appelle à la Justice celle avec un J majuscule,
Cette justice qui rétablit l’ordre moral mis à mal par la souffrance de celui que j’assiste ou représente
Cette justice qui dit qu’une victime est victime et que son agresseur est coupable
Cette justice où la présomption d’innocence ne peut pas exister
car si il y a des présumés innocents alors il y a des victimes présumées
leur souffrance, leurs douleurs et leur témoignage ne sont que des chimères, des fariboles, des inepties.
Non c’est intolérable, c’est rajouter de la souffrance à la souffrance
les renvoyant au siècle dernier
Ce siècle où la Justice pénale n’appréhendait la partie civile que sous l’angle indemnitaire
Selon le triptyque bien connu de la justice civile :
Que tout préjudice nécessite une faute et un lien de causalité
Et qu’ainsi démontrer alors le préjudice doit être intégralement réparé selon une arithmétique bien huilée
Mais ça c’était avant !!
C’était avant la loi du 15 juin 2000 qui, point de bascule, réunit en son sein et la présomption d’innocence et les droits de la victime
Ce siècle nouveau où l’on prend en considération la souffrance de la partie civile dans toutes ses acceptions
Où la partie civile était accueillie, écoutée, consolée et épaulée par des associations d’aides aux victimes, des psychologues, des travailleurs sociaux et des avocats
Ce siècle nouveau où l’on a compris l’importance du procès pénal dans le processus de guérison de la victime
Que celle-ci n’est plus juste une souffrance à réparer / un préjudice à indemniser
Mais une personne, un homme une femme, un père une mère un frère une sœur, un mari une épouse qui a besoin de comprendre, qui a besoin de savoir pourquoi
pourquoi moi ? pourquoi lui ou elle ?
qui veut croiser le regard de celui ou celle qui l’a fait tant souffrir
obtenir de sa part des explications même confuses ; des excuses même bafouillées
ou bien simplement croiser son regard
mais pas le regard d’un présumé innocent qui lui renverrait alors une présomption de souffrance.
Ce siècle nouveau où la victime ne veut plus subir, ne plus être spectateur mais acteur
parce qu’en fin de compte la présomption d’innocence est certes un principe cardinal proclamé sur les cendres encore fumantes de l’ancien Régime
mais c’est également une règle de preuve selon laquelle il appartient aux parties poursuivantes de prouver la culpabilité de la personne poursuivie
celle de soutenir, encourager l’accusation, voire parfois même la porter
et là, moi avocat de la partie civile,
de paria des robes noires, qu’on regarde avec condescendance voire mépris
je deviens maître de la procédure,
membre à part entière dans la chaine pénale
moi avocat de la partie civile
de vilain petit canard, je deviens ce cygne dont on craint les coups de bec
Car moi avocat de la partie civile
je dépose plainte auprès du Procureur pour enclencher l’action publique,
si nécessaire je dépose plainte entre les mains du doyen des Juges d’instruction et me constitue partie civile
Moi avocat de la partie civile
je sollicite que mon client soit entendu et confronté à cet agresseur pour obtenir des réponses de la seule personne dont on attend des explications
Moi avocat de la partie civile
aujourd’hui j’interjette appel d’une ordonnance de non-lieu et demain qui sait j’interjetterai appel d’un jugement de relaxe.
Car moi avocat de la partie civile,
j’assiste et représente un homme , un femme qui veut être entendue, comprise et surtout comprendre pour que cela ne recommence pas, pour que cela ne recommence plus
que ce qu’il a vécu ou subi ne lui arrive plus ou n’arrive pas à quelqu’un d’autre.
que sa dignité soit restaurée et que la Vérité se manifeste
Moi avocat de la partie civile,
il m’appartient de combattre cette présomption d’innocence
car comme toute présomption elle ne tient que jusqu’à preuve du contraire »
Discours prononcé lors de la Nuit du Droit du 4 octobre 2018 à la Salle du Jeu de Paume de Versailles
https://www.lanuitdudroit.fr/evenements/clinique-de-legistique-de-paris/
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