Cette loi assure une protection théorique mais inexistante en pratique. Depuis dix ans, les dispositifs de lutte contre l'évasion fiscale n'ont rien donné.
La loi Sapin II censée protéger les lanceurs d'alerte fête son premier anniversaire depuis son entrée en vigueur.
L'évasion fiscale continue de coûter 80 milliards d'euros, soit 10 milliards de plus de ce que rapporte l'impôt sur le revenu par an.
Cela fait plus dix ans que la communauté internationale s'est attaquée à la question, promettant des changements radicaux, mais sans qu'un début de résultat concret ne soit au rendez-vous.
Plutôt que de se perdre en débats byzantins quant à une vaste réforme fiscale nécessitant rien de moins qu'un compromis mondial, et laisser les chiffres continuer de scandaliser, il n'est pas insolent de chercher des réponses ailleurs, et notamment dans une protection efficace des lanceurs d'alerte, finalement les seuls à permettre de recouvrer quasi immédiatement le manque à gagner qui échappe aux intérêts de l'Etat, à la sécurité des concitoyens, aux libertés individuelles, et qui en somme porte atteinte à l'ordre public.
Objets de procédures bâillon, beaucoup de lanceurs d'alerte ont néanmoins renoncé à toute initiative, de peur des représailles.
Une tendance qui s'inverse progressivement à la faveur de dispositifs qui se veulent protecteurs, mais toujours très insuffisants, voire dangereux dans la mesure où ils laissent croire en théorie à une protection, qui dans la pratique s'avère inapplicable.
Sous l'impulsion du droit européen, le droit français est en effet venu donner un statut au lanceur d'alerte par la loi Sapin II, assurant une protection théorique, mais inexistante en pratique, que la même administration française contredit par le dispositif d' "informateur fiscal".
Les conditions d'indemnisation sont opaques puisque laissées à la discrétion d'une poignée de fonctionnaires, et que les récents débats parlementaires ne permettent pas de clarifier[1]. En témoigne la question pourtant très claire d'un député au ministre du Budget demandant la méthode de calcul, et à laquelle il était répondu le 18 septembre 2018: "l'indemnisation des aviseurs fiscaux (...) est proportionnelle à la qualité de l'information fournie".
Dès lors, comment calculer cette "proportion" en l'absence de grille officielle formalisant de quelconques seuils? Qu'entend-on par "qualité", ou même "information"? S'agit-il de termes à comprendre comme le ministre les comprend, ou comme les comprennent les services sous sa tutelle censés les appliquer?
Impossible à savoir.
Autrement dit, il est toujours laissé à la discrétion de l'administration, et donc d'une poignée de fonctionnaires, la liberté de fixer le montant de l'indemnisation à la tête du client, si tant est qu'il soit même indemnisé.
La réponse du ministre du Budget n'en demeure pas moins édifiante puisqu'elle permet de comprendre que l'indemnisation d'un aviseur fiscal dépend du gain recouvré par l'Etat, faisant ainsi clairement de l'informateur fiscal un individu apprécié dans une logique économique pour sa rentabilité; plutôt que complètement étranger à tout intérêt financier comme on essaie de s'en défendre pour écarter l'idée d'une rémunération.
Un état de fait confirmé par la loi Sapin II elle-même puisqu'elle instaure un mécanisme comparable au DPA américain sous le nom de "convention judiciaire d'intérêt public". Ce dispositif rémunère, par le versement d'une amende d'intérêt public au Trésor, les lanceurs d'alerte en proportion des sommes recouvrées dans le cadre d'une négociation; ces sommes recouvrées pouvant aller jusqu'à 30% du chiffre d'affaires moyen annuel de la société ou de l'établissement financier poursuivi.
Que dire de Denis Breteau, mettant en évidence une contradiction de plus de l'Etat, et de son service public, par son licenciement récent de la SNCF, détenue rappelons-le à 100% par l'Etat, après dix-neuf ans de maison suite à une plainte dénonçant des appels d'offres biaisés dont aurait bénéficié le groupe américain IBM?
En résumé, non seulement les dispositifs de lutte contre l'évasion fiscale depuis plus de dix ans n'ont fait aucune preuve, un état de fait auquel la France répond de façon très timide par une protection des lanceurs d'alerte purement formelle, sinon opaque, mais en plus l'Etat dispense des règles qu'il ne s'applique pas lui-même.
Parce qu'il vaut mieux faire que dire, trois mesures pourraient être prises sans délai par le gouvernement.
Le ministre du Budget a d'abord les moyens, quasiment du jour au lendemain, de rédiger un nouvel arrêté définissant les critères d'indemnisation chiffrés des informateurs fiscaux, soit, en quelques lignes, préciser en pourcentage les seuils à concurrence des sommes recouvrées. Cela relève autant du bon sens que du courage politique pour protéger les lanceurs d'alerte du fisc.
Le Parlement doit également amender de façon urgente la loi Sapin II en retirant le premier palier d'alerte purement théorique et absurde, obligeant le lanceur d'alerte à avertir sa hiérarchie, et le mettant donc en danger. Cela permet d'éviter l'étouffement d'alertes en interne et autres mesures de représailles au lanceur d'alerte commençant par le licenciement.
Dans l'attente de ces deux mesures, informer d'urgence l'opinion que les dispositifs en vigueur ne permettent pas de protéger encore effectivement les lanceurs d'alerte qui se croient naïvement l'être, et prennent donc toujours autant, sinon plus, de risques qu'auparavant.
[1] Débat parlementaire du 18 septembre 2018 relatif au projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale.
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