Vous faites partie de ceux qui ont connu ce monde irréel sans Internet et sans smartphone ? Vous faites peut-être alors partie de ceux qui ont connu les coups de règle sur les doigts, distribués par une maîtresse d’école en colère, la petite gifle ou même la fessée administrée par vos parents en réplique à votre attitude un peu trop insolente ou rebelle à leur goût.

Parent à votre tour, vous faites partie des 85%[1] de Français qui ont pu, excédés par les caprices de leurs chers bambins leur administrer une petite fessée en guise de réponse éducative, en vous disant avec conviction « qu’une petite fessée ça ne fait pas de mal » !

La fessée… violence éducative ordinaire ou maltraitance ?

Il n’est par rare qu’à la barre du Tribunal Correctionnel nos juges aient à statuer sur le sort d’un parent qui se disant épuisé, fatigué, dépassé, à l’instar de Donald Duck a vu rouge à un moment et a cru bon d’avoir recours à une ou plusieurs baffes …brimades, tapes sur les oreilles ou autre forme de violence physique… Poursuivi pour violences volontaires, sur le fondement des dispositions de l’article 222-13 ou 222-14 du Code Pénal punissant les violences légères commises sur un descendant à une peine qui peut aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende pour les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours et jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende si ces violences ont été exercées de manière habituelle sur l’enfant ou si leurs conséquences sont plus graves.

C’était au Tribunal qu’il incombait de trancher et  de déterminer si les violences était inadmissibles, révélant une maltraitance ou bien, si au contraire, elles pouvaient être qualifiées de «  violences éducatives ordinaires », en appliquant strictement la jurisprudence, autorisant en vertu d’une « coutume contra legem » les parents, dépositaires de l’autorité parentale ou même les enseignants à exercer leur « droit de correction », la limite étant l’absence de conséquences sur la santé morale et physique de l’enfant.

Tel est le cas, pourriez-vous vous dire, de la fessée ! Si les gifles, pincements, secousses, tirage des cheveux, tapes sur les oreilles ou projections diverses pouvaient heurter plus facilement la sensibilité judiciaire, la fessée constituait par excellence un mode d’expression de ce « droit de correction », puisant sa légitimité dans l’histoire.

« Mot dérivant de l’ancien français « faisse », synonyme de bande ou lien, lui-même issu du la latin « fascia », ce verbe signifiait « battre avec une verge ». Ce n’est que plus tard, par analogie avec le mot fesse qu’il a pris le sens de « batte en donnant des coups sur les fesses » [2].

La fessée est avant tout une punition corporelle très répandue tant dans la famille, que dans les écoles d’autrefois. Aristote et Platon y étaient même favorables. A l’époque de la Renaissance, les fessées ont même remplacé les amendes. Dans les institutions religieuses existaient même des fesseurs, chargés d’administrer des fessées et une majorité des délits étaient punis par des coups de fouet, dont le nombre était proportionnel à la gravité de la faute commise.

Le Code Civil, dans sa version de 1804, « reconnaissait au père un droit de correction, entendu comme le droit pour lui de faire détenir l’enfant pendant un certain laps de temps, dans l’hypothèse où il aurait « des sujets de mécontentement très graves sur la conduite de l’enfant » ».[3]

Or, si le droit pénal a banni les châtiments corporels de l’arsenal des peines admissibles, la fessée, vue comme une violence éducative ordinaire a survécu même dans les sociétés les plus civilisées.

C’est peut-être pourquoi dans l’imagination et la culture collective la fessée représente en France, comme dans de nombreux autres pays civilisés, une réponse appropriée, admissible, voir nécessaire dans l’éducation d’un enfant. Ne dit-on pas « Une petite fessée n’a jamais fait de mal » ?

La fessée des enfants est toujours considérée comme un mode d’expiation d’une faute.  On lui octroie toutefois une vertu pédagogique, comme à toute peine, l’enfant étant censé ne plus reproduire le comportement inapproprié, par crainte de la sanction.

La législation de l’Île de Man prônait encore récemment, dans un but certes dissuasif, le maintien des châtiments corporels dans l’île, notamment les coups de canne ou de verge à l’encontre des auteurs de violences contre les personnes.

C’est ainsi que le Royaume-Uni était condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme le 25 avril 1978, dans l’ affaire Tyrer, pour avoir condamné un jeune adolescent de 15 ans à trois coups de canne.

La recherche scientifique s’est intéressée aux vertus de la fessée. Une étude américaine, s’est penchée uniquement sur la fessée à l’exclusion de tout autre mode de punition parentale. Cette étude a été faite sur 160 927 enfants ayant reçu des fessées sur une période de 50 ans. Les résultats ont été publiés en avril 2016 dans la revue Journal of Family Psychology. Non seulement les enfants victimes de fessées n’obéissent pas plus que les autres, mais de surcroît sont sujets à de nombreux troubles du comportement et des apprentissages, dont agressivité, comportement anti-social, des capacités cognitives amoindries, absence de confiance en soi, mauvaises relations avec les parents.  

D’après les chercheurs, lors d’une fessée votre enfant subit une forte réactivité hormonale (forte sécrétion de cortisol) réduisant ses capacités à surmonter les futures situations stressantes et pouvant l’exposer à un risque accru de maladies cardio-vasculaires, cancers, asthme.  La fessée était considérée en outre comme un apprentissage social de la violence.

Le 4 mars 2015, le Comité européen des droits sociaux  a rendu publique une décision concluant à la violation par la France des dispositions de  l’article 17 de la Charte Sociale Européenne[4] pourtant ratifiée par notre pays en 2002, qui dispose que «  Les enfants et adolescents ont droit à une protection sociale, juridique et économique appropriée ». Le Comité considérait que « Le droit Français ne prévoyait pas d’interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels », ce qui semble ahurissant eu égard les peines dissuasives édictées par le Code Pénal,  mais qui constituait une critique ouverte de la jurisprudence, reconnaissant aux parents un devoir de correction, faisant obstacle à des condamnations judiciaires systématiques.

Cette décision à valeur purement symbolique a fait couler beaucoup d’encre, emballant la presse : Le Monde, Libération, Le Parisien se penchaient sur la question.

Alors que la Suède, pionnière en matière de loi contre la fessée, venait s’interroger trente-cinq ans après sur les conséquences d’une éducation trop permissive, faisant ainsi écho au livre écrit par David Eberhard, psychiatre et père de six enfants « Comment les enfants ont pris le pouvoir »[5], le Sénat a adopté le 2 juillet dernier la loi relative à « l’interdiction des violences éducatives ordinaires ».

Insérée depuis le 12 juillet 2019 à l’alinéa 3 de l’article 371-1 du Code Civil, la disposition indique clairement que « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques » elle est lue désormais aux époux par les Officiers d’Etat civil à l’occasion des mariages, dans un but de sensibilisation.

Par ailleurs, toute personne souhaitant exercer la profession d’assistante maternelle devra désormais s’initier à la prévention des violences éducatives ordinaires, comme le précise l’article 421-14 du Code de l’Action Sociale et des Familles.

Désormais, les violences verbales (moqueries, propos humiliants, cris, injures), psychologiques (menaces, mensonges, chantages) et physiques (gifles, pincements, fessées, secousses, projections, tirages des cheveux ou tapes sur les oreilles) sont désormais interdites.

Sans texte de répression supplémentaire, on s’interroge désormais sur le sort que nos Tribunaux réserveront au « droit de correction », car malgré tout, comme le rappelait si bien la psychanalyste Claude Halmos, auteur du livre « L’autorité expliquée aux parents », dans une interview « L’autorité parentale n’a de sens que si elle inclut la sanction. Quand une chose est interdite, il faut l’expliquer à l’enfant. S’il transgresse, lui rappeler l’interdit. S’il continue, en toute connaissance de cause, le sanctionner.  C’est le seul moyen pour lui de croire dans la parole des adultes, de comprendre que l’interdit posé est incontournable. Et c’est même rassurant pour lui. Or, la punition effraie les parents parce qu’ils n’arrivent pas à imaginer qu’elle puisse être autre chose qu’une violence faite à l’enfant. C’est au contraire, en ne le punissant pas qu’on lui fait violence, car on hypothèque ses possibilités de compréhension de l’interdit. »

A vous de réfléchir dès lors sur la sanction, tout en vous rappelant que la fessée est désormais … hors la loi !

 

 

 

 

 


[1] « La loi anti-fessée» définitivement adoptée par le Parlement » par Emma Ferrand, le Figaro du 02/07/2019

[2] « Ce que fesser veut dire » par Ludmila Bovet, Québec français, n° 120, hiver 2001, page 100

[3] Pierre LANNE, « La fessée à la française stigmatisée par le Comité européen des droits sociaux », Le Petit Juriste, 25 mars 2015

[4] Charte sociale européenne, traité ouvert à la signature des Etats membres du Conseil de l’Europe à Strasbourg, le 3 mai 1996 (STE n°163, entrée en vigueur le 1er juillet 1999)

[5] « Les Suédois, ces enfants gâtés à qui on a laissé le Pouvoir », Le Point du 28 octobre 2013