A l’évidence, la pandémie de Covid-19 va malheureusement précipiter l’ouverture de nombreuses procédures de redressement et de liquidation judiciaires.

Une telle situation est toujours critique pour le dirigeant social, tant sur un plan matériel que juridique.

Notamment, alors que certains ont pu se croire protégés par le principe de « responsabilité limitée » inhérent à leur entreprise (SARL, SAS, SA), il est indispensable de rappeler qu’une telle entreprise doit être gérée avec probité tant durant sa « vie » qu’au moment de sa « mort ».

A défaut, les dirigeants de fait comme de droit s’exposent, certes à des sanctions pénales, mais également à des sanctions civiles (III), qui peuvent leur être infligées par la Chambre des sanctions du Tribunal de commerce compétent - s’agissant des sociétés commerciales – à l’initiative du Procureur de la République ou du mandataire liquidateur (C. com., art. L. 651-3).

A cet égard, si les comportements assimilables aux délits d’abus de bien sociaux ou encore de banqueroutepourront bien évidemment faire l’objet de poursuites devant la Chambre des sanctions (II), le simple fait de retarder, en connaissance de cause, l’ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaire est également susceptible d’être sanctionné (I).

 

I) Se garder de retarder sciemment l’ouverture de la procédure

Sauf à bénéficier des règles particulières en vigueur durant l’état d’urgence sanitaire (B), le dirigeant qui s’abstient, en connaissance de cause, de « déposer le bilan » dans les quarante-cinq jours de la cessation des paiements (A), se trouve en infraction.

 

A) Le droit commun

Depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, est susceptible d’être poursuivi et condamné le dirigeant social qui « a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation » (C. com., art. L. 653-8).

La volonté du Législateur a en effet été d’adoucir les dispositions de l’article L. 653-8 du Code de commerce en ajoutant l’adverbe « sciemment », laissant ainsi entendre que le dirigeant, certes négligent mais de bonne foi, qui n’aurait pas eu connaissance de la situation de cessation des paiements de son entreprise, pourrait ainsi échapper à toute sanction.

Autant l’indiquer d’emblée, cet adoucissement est assez relatif tant il est vrai :

- que l’adverbe « sciemment » est une notion imprécise qui laisse une marge d’interprétation extrêmement importante tant aux organes de poursuite (Parquet, mandataire liquidateur), qu’à la Juridiction saisie ;

- que le droit pénal des affaires regorge de présomptions tendant à considérer que le dirigeant social a agi en connaissance de cause, voire volontairement, puisque les Juridictions pénales, ou para-pénales, déduisent fréquemment (pour ne pas dire systématiquement) l’ « élément moral » de la qualité de chef d’entreprise (A. Lepage, P. Maistre du Chambon et R. Salomon, Droit pénal des affaires : LexisNexis, Manuel, 5e éd. 2018).

Il est donc impérieux que le dirigeant dont la société se trouve en état de cessation des paiements, saisisse dans les meilleurs délais, et au plus tard dans les quarante-cinq jours de la cessation des paiements, le Tribunal de commerce compétent en y déposant une « Déclaration de cessation des paiements » (DCP).

En effet, l’article L.631-4 du Code de commerce dispose que l’ouverture de la procédure (…) doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ».

Pour mémoire, l’état de cessation des paiements est défini par l’article L. 631-1 du Code de commerce comme l’impossibilité de faire face au passif exigible, avec l’actif disponible.

L’objectif est évidemment d’interdire au dirigeant social de prolonger artificiellement l’activité d’une société qui par hypothèse, n’est plus en mesure d’honorer ses engagements, l’encourageant ainsi à anticiper.

Dans cet esprit, le dirigeant qui a sollicité en temps voulu, l’ouverture d’une procédure de conciliation (C. com., art. L. 611-4 et suivants) pourra échapper à toute condamnation de ce chef.

Cette ouverture peut être demandée auprès du Tribunal :

- en amont de la cessation des paiements ;

- dans un délai de quarante-cinq jours suivant l’état de cessation des paiements.

S’en suivra alors une procédure confidentielle dont l’objectif sera, moyennant l’intervention d’un conciliateur, de créer les conditions d’un accord entre l’entreprise et ses principaux créanciers.

Toujours est-il que, dans certaines situations, le paradoxe consistera pour un dirigeant social à devoir rapidement judiciariser les difficultés de sa société, pour éviter d’engager a posteriori, sa responsabilité personnelle.

 

B) Les aménagements rendus nécessaires par l’épidémie de Coronavirus

Prenant en compte les nombreuses difficultés matérielles afférentes à la crise sanitaire, le Législateur a figé la date d’appréciation de l’état de cessation des paiements au 12 mars 2020 (Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, art. 1er), « jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire ».

Dès lors, durant cette période, les termes de l’article L. 653-8 du Code de commerce se trouvent temporairement neutralisés, puisque le dépôt de la DCP devient une simple faculté : le débiteur conserve en effet la « possibilité (…) de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ».

L’omission d’une telle demande ne pourra toutefois faire l’objet de poursuites pendant la période considérée.

Il faut noter en outre que le débiteur qui se trouve en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours (mais qui ne l’était pas au 12 mars 2020) durant la période considérée, conserve la possibilité de solliciter la procédure de conciliation précitée.

Ces deux dérogations constituent autant d’assouplissements qui éviteront les poursuites aux débiteurs défaillants, au moins temporairement…

Toutefois, ceux qui iront frontalement à l’encontre de l’intérêt social risqueront toujours d’être poursuivis.

 

II) Se garder de tout agissement contraire à l’intérêt social

Rappelons tout d’abord que la règle non bis in idem qui interdit de poursuivre et condamner deux fois un individu pour le même fait ne s’applique pas s’agissant du cumul des sanctions professionnelles et des peines complémentaires éventuellement prononcées par le Juge pénal.

Il s’agit là désormais d’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel (Cons. const., 29 sept. 2016, n° 2016-570 QPC, cons. 8. – Cons. const., 29 sept. 2016, n° 2016-573 QPC, cons. 13, ; Cons. const., 14 janv. 2016, n° 2015-513/514/526 QPC. – Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC ; Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-546 QPC).

L’on notera toutefois que les dispositions de l’article L. 654-6 du Code de commerce, selon lesquelles « la juridiction répressive qui reconnaît l’une des personnes mentionnées à l’article L. 654-1 coupable de banqueroute peut, en outre, dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 653-11, prononcer soit la faillite personnelle de celle-ci, soit l’interdiction prévue à l’article L. 653-8, à moins qu’une juridiction civile ou commerciale ait déjà prononcé une telle mesure par une décision définitive prise à l’occasion des mêmes faits », ont été abrogées sous l’effet d’une décision du Conseil constitutionnel du 29 septembre 2016 (Cons. const., 29 sept. 2016, n° 2016-573).

Ainsi, sans préjudice d’éventuelles poursuites pénales, le dirigeant social peut être condamné pour des faits analogues à des infractions d’abus de biens sociaux ou de banqueroute :

« 1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale » (C. com. art. L653-4).

Il peut également être poursuivi à la suite de fautes commises dans la gestion de l’entreprise (d’ailleurs pour certaines également passibles de sanctions pénales selon les qualifications précisées), ou encore pour avoir géré ladite entreprise en dépit d’une interdiction :

« 1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;

2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;

3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;

4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;

5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;

7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée » (C. com. art. L653-5).

Il peut enfin être poursuivi pour s’être soustrait à l’apurement du passif de la société alors qu’il y a été condamné (cf. infra, C. com. L. 653-6).

Il s’en évince que, ainsi qu’indiqué plus haut, les principes cardinaux de la gestion sociale s’appliquent à plus forte raison en cas de survenance de difficultés :

- étanchéité totale entre le patrimoine social et celui du dirigeant (sauf, bien évidemment, pour l’intéressé à injecter des fonds personnels sous forme d’apport en compte-courant ou autre) ;

- tenue d’une comptabilité complète, sincère et probante ;

- respect absolu de l’intérêt social.

A défaut, les sanctions encourues sont à la fois patrimoniales, et professionnelles.

 

III) Quelles sanctions encourues en cas de condamnation par le Tribunal de commerce ?

Selon la nature du dossier, le Tribunal de commerce a la possibilité d’infliger au dirigeant défaillant, des sanctions de deux types.

Il peut d’abord s’agir de sanctions patrimoniales, savoir :

- L’action en responsabilité pour faute ayant contribué à la cessation des paiements (C. com., art. L. 631-10-1) :  en redressement judiciaire, le mandataire ou l’administrateur pourront ainsi engager la responsabilité personnelle du dirigeant qui pourra être condamné à réparer le préjudice causé à la société subséquemment à sa faute ;

- L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif (C. com., art. L. 651-2) : en liquidation judiciaire, si le dirigeant a commis des fautes de gestion (qui ne peuvent se borner à une simple négligence) ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société, le Tribunal pourra le condamner à « supporter » cette insuffisance, en tout ou partie, sur son patrimoine personnel.

Il peut ensuite s’agir de sanction professionnelles, soit :

- la faillite personnelle, qui emporte, pour une durée maximale de 15 ans,  à la fois l’interdiction de gérer figurant ci-dessous, mais également, éventuellement, une incapacité d'exercer une fonction publique élective, ou encore  la reprise générale des poursuites individuelles des créanciers contre le débiteur (C. com., art. L. 643-11, III, 1°) ;

- l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement une structure (C. com. art. L. 653-8) : elle peut être prononcée aux lieu et place de la faillite personnelle, pour la même durée maximale.

Les condamnations sont mentionnées au bulletin n° 2 du casier judiciaire, au registre du commerce, au répertoire des métiers, ou sur un registre spécial et sont publiées au BODACC et dans un journal d'annonces légales (C. com., art. R. 653-3 et R. 621-8). Elles sont également inscrites au fichier national des interdits de gérer créé par la loi du 22 mars 2012 (V. D. n° 2015-194, 19 févr. 2015 . - C. com., art. R. 128-1 et s.).

A l’instar de la matière pénale, le Tribunal de commerce se doit d’appliquer le principe de personnalisation des peines, en tâchant, autant que faire se peut, d’adapter la sanction à la personnalité du dirigeant.

Les Juges seront ainsi particulièrement attentifs, tant à l’expérience de celui-ci qu’à sa propension à collaborer avec les organes de la procédure, ou encore à ses tentatives de préserver l’intérêt de la société.

Ainsi, il conviendra :

- d’exercer une extrême vigilance dès la survenance des premières difficultés ;

- de collaborer autant que possible avec les organes de la procédure collective, le cas échéant ;

- en cas de poursuites, de s’attacher à soulever tout élément de défense pertinent, qu’il soit comptable, juridique, ou qu’il tienne à la personnalité du dirigeant. 

 

Richard ARBIB - Raphaël ARBIB, Avocats à la Cour exerçant en droit des affaires au sein du Cabinet AKA Avocats, www.aka-avocats.fr, 51 avenue de Paris 94300 VINCENNES