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En France, les écarts de revenus entre hommes et femmes persistent. Pire, plus les femmes sont diplômées, plus les inégalités de revenus sont fortes à diplôme égal.

On pourrait penser que les avocates, exerçant une profession indépendante, de pouvoir et de défense des droits d’autrui, échapperaient à ces statistiques.

Il n’en est rien. Les symptômes constatés chez les cadres se retrouvent chez les avocats libéraux.

La CNBF dans son rapport 2023 indique que les revenus des avocates demeurent nettement inférieurs à ceux des avocats. Les différences sont pourtant faibles en début de carrière mais s’accentuent par la suite. Ainsi une avocate débutante déclare un revenu moyen de 35 951 € et médian de 33 000 € ; un avocat un revenu moyen de 40 351 € et médian de 34 919 €. Huit ans plus tard, une avocate aura un revenu moyen de 72 783 € et médian de 48 499 € ; un avocat un revenu moyen de 137 770 € et médian de 73 427 €.

Bien sûr, les premières causes sont les contraintes familiales. L’écart de revenu se constate de manière aiguë dans la tranche d’âge concernée par la maternité et la petite enfance.

Des consœurs subissent par ailleurs encore trop souvent des pratiques discriminatoires explicites.

Pourtant, les inégalités de revenus trouvent aussi une explication dans des causes plus insidieuses : les modalités d’exercice, le choix du domaine d’intervention, le type de clientèle et tout simplement notre rapport à l’argent.

Ainsi, les hommes sont surreprésentés dans certains secteurs rémunérateurs comme le droit des affaires quand les femmes sont surreprésentées dans les secteurs moins rémunérateurs comme le droit de la famille ou le droit des mineurs.

Comme le reste de la société française, les avocates s’interdisent encore trop souvent certains domaines pour investir plus largement des domaines classiquement attribués à leur sexe.

Nous devons nous interroger collectivement sur cette répartition déséquilibrée et réfléchir au sein des écoles d’avocats et au sein de nos cabinets pour y remédier.

Enfin les avocates savent réclamer de l’argent pour leurs clients mais comment négocient-elles leurs honoraires ? Les avocates ont le savoir-faire mais savent-elles le faire savoir et surtout le faire payer ?

Les études sociologiques parlent d’un sujet tabou : ancrée dans l’inconscient, resterait chez les femmes, mêmes les plus diplômées, l’histoire que, jusqu’à nos mères, l’argent ne leur appartenait pas. 1965 et le droit de travailler sans l’accord de l’époux et d’ouvrir un compte bancaire, c’était hier.

Et puis, une femme qui pense argent n’est-elle pas encore un peu considérée dans l’inconscient collectif comme froide et vénale ? L’avocate exerce son métier pour gagner sa vie certes mais modérément et surtout pour des motifs plus nobles. Elle n’est pas là pour s’enrichir.

L’argent resterait-il un tabou pour les avocates quand bien même nous n’avons plus de sexe quand nous portons la robe ?

 

Sophie Challan-Belval, avocate au barreau de Rouen.

Tribune publiée dans la Gazette du palais du 04 mars 2025