Et si un logiciel pouvait vous donner le résultat de votre procès avant même qu’il soit commencé ? C’est le rêve de tout justiciable. « Est-ce que cela vaut le coup (et le coût), que je me lance dans un procès dont on dit régulièrement que l’issue incertaine est soumise à l’aléa de la justice des hommes ? ». Que d’efforts vains, de faux espoirs et d’âpres luttes évitées si la justice prédictive peut me dire à l’avance si je vais gagner ou perdre mon procès.
Alors attention, restons sur terre. Celui qui imaginerait que la science-fiction est devenue réalité et que nous sommes dans le monde de « Minority report »[1], dans lequel les criminels sont arrêtés avant même d’avoir commis les infractions, se tromperait lourdement. Non la balance de la justice n’a pas encore été changée pour une boule de cristal, ou une diseuse de bonne aventure électronique. La justice prédictive c’est tout simplement, une nouvelle manifestation de cette fameuse transition numérique appliquée au « droit ».
C’est le fruit du progrès continu de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire des capacités pour un programme informatique d’exécuter des tâches typiques de l’intelligence humaine.
Les LegalTechs
La révolution numérique des professions juridiques suit le mouvement des « Legal Technologies ». Lancées en Amérique du Nord au début des années 2000, les « LegalTechs » s’envolent depuis une dizaine d’années. Les rapports entre le droit et la technologie sont ambivalents. D’un côté, la technologie fait écho à la rigueur mathématique de certains aspects formels du droit, tels que la légalité ou la procédure. De l’autre, elle inquiète sur le thème de son incapacité à traiter des aspects plus fondamentaux de la justice, tels que l’équité et la faculté de juger. Des logiciels innovants d’assistance à la rédaction d’actes juridiques ou à la recherche de données judiciaires permettent des gains de temps substantiels, tandis que d’autres logiciels ambitionnent de robotiser les activités d’argumentation et de décision jusqu’à présent réservées à l’humain pour de justes raisons.
La justice prédictive
Les logiciels de justice prédictive sont des outils informatiques chargés d’effectuer des analyses statistiques à partir d’une masse de données (big data) extraites de la jurisprudence, c’est-à-dire des décisions de justice précédemment rendues. Ils perfectionnent le traitement des données judiciaires transmises par chaque juridiction, en particulier :
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l’identification des jugements et des arrêts qui correspondent le mieux au cas recherché ;
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l’identification des arguments juridiques les plus efficaces pour un contentieux donné ;
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l’évaluation des chances d’obtenir ou non la reconnaissance d’une demande spécifique ;
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l’évaluation du montant moyen perçu par catégorie d’indemnités ;
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et l’évaluation de la durée moyenne de la procédure visée.
Ces programmes reposent sur le développement exponentiel du nombre des décisions de justice numérisées. Plus la masse des informations collectées est importante, plus les résultats et statistiques obtenus seront fiables et ils disposent déjà de plusieurs millions de références.
Les atouts
Des traitements macro-statistiques de plus en plus fins sont rendus possibles par des algorithmes de plus en plus efficaces. Les résultats obtenus en des temps records sont transposés en graphiques et taux de pourcentage à même d’éclairer les professionnels du droit sur la meilleure stratégie à adopter face à telle ou telle situation. Des chances de succès faibles invitent à préférer au contentieux une méthode alternative de règlement (conciliation, médiation, transaction, etc.) et inversement. Mais d’autres variables sont également pertinentes (durée du procès, montant des indemnités, pertinence des arguments, etc.).
Du point de vue des justiciables, l’intérêt principal de ces logiciels est de réduire l’insécurité juridique, soit la part d’incertitude inhérente à toute procédure judiciaire, en leur procurant des informations pertinentes sur des cas similaires qui ont déjà été tranchés.
Du point de vue des professionnels du droit, les logiciels de dernière génération sont supposés procurer un gain de productivité et donc de compétitivité. Ils facilitent leur travail sur des tâches de recherche documentaire, ce qui leur permet d’investir davantage de temps sur l’argumentation juridique et sur la stratégie judiciaire.
Opportunité ? cauchemar ? ou grande illusion ?
Va-t-on abandonner à la machine le soin de juger l’Homme ? Se verra-t-elle dotée du 3 -ème pouvoir, avec le soin d’appliquer judicieusement des déterminants proprement humains tels la conscience, l’empathie ou encore l’intuition ?
Heureusement, cela n’est pas à l’ordre du jour. Car, quelque soit les qualités et les gains qu’on peut attendre d’un tel dispositif, il est des limites évidentes au système qu’il vaut mieux ne pas franchir car l’ordinateur, à l’instar de l’humain, pourrait atteindre son seuil d’incompétence[2].
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La justice statue sur des faits et les ordinateurs, aussi perfectionnés soient-ils, ne savent pas apprécier concrètement la pertinence des pièces d’un dossier. Il est une chose de connaitre le droit, encore faut-il établir que les faits correspondent aux règles invoquées.
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Justice et loi sont le reflet de la société et de l’évolution de celle-ci. La justice ne cesse de changer d’avis. Cela porte même un nom : « un revirement de jurisprudence ». Un même procès traité il y a 50 ans pourrait avoir un dénouement très différent s’il était jugé aujourd’hui, même si la loi n’a pas changé entre temps. Or, si ce qui a déjà été jugé devient « La » règle, on fige toute évolution et donc toute adaptation de la justice à la société.
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L’ordinateur répond à la question qu’on lui pose, que celle-ci soit judicieuse ou non.
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La justice prédictive ne dit pas l’avenir mais le passé, par une exploitation des statistiques et autres probabilités. Elle procède comme ces sondages si souvent utilisés et dont on ne cesse de dire qu’ils se trompent. Elle revient à décider en se tournant résolument vers le passé et en regardant l’avenir dans le rétroviseur.
Que peut-on dès lors en penser ? C’est un excellent outil d’analyse, à l’évidence destiné aux professionnels qui savent poser les bonnes questions et en relativiser les réponses, et ce n’est surtout pas davantage. De même que ce n’est pas le pinceau ou le stylo qui choisissent l’œuvre de l’artiste mais l’inverse, ce n’est pas HAL 9000[3] qui doit rendre notre justice. Qui ne se souvient de la révolution des machines[4] et autres facéties[5]qui ont inspirées le cinéma depuis des décennies ? On ne peut pas dire qu’on n’a pas été prévenu. Une fois ces limites posées, je prédis un très grand avenir à la justice prédictive.
[1] Film avec Tom Cruise
[2] Théorie de Peter selon laquelle chacun progresse jusqu’à atteindre son seuil d’incompétence.
[3] Référence au film « 2001 l’odyssée de l’espace »
[4] Référence au film Terminator
[5] Référence au film Wargames
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