Rappel de l’article L.2323-50 du code du travail :

« Lorsque le comité d'entreprise a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, il peut demander à l'employeur de lui fournir des explications.

Cette demande est inscrite de droit à l'ordre du jour de la prochaine séance du comité d'entreprise.

Si le comité d'entreprise n'a pu obtenir de réponse suffisante de l'employeur ou si celle-ci confirme le caractère préoccupant de la situation, il établit un rapport. Dans les entreprises employant au moins mille salariés, ce rapport est établi par la commission économique prévue par l'article L. 2325-23.

Ce rapport, au titre du droit d'alerte économique, est transmis à l'employeur et au commissaire aux comptes. »

 

Dans cette affaire du 21/09/2016, le comité d’entreprise (CE) d’une filiale, détenue intégralement par la société mère depuis juillet 2011, avait décidé, le 27 mars 2012, le recours à la procédure d'alerte.

Il faut savoir que la société mère apportait mensuellement à la filiale, depuis le début de l'année 2012, entre 350.000 € et 400.000 €, pour lui permettre de faire face au paiement des salaires et à la trésorerie.

Le CE avait demandé de se faire communiquer « le nom des fournisseurs externes ou internes, leur localisation, le chiffre d'affaires achat qu'ils représentent et, plus particulièrement pour chaque site de la société mère, les comptes de résultat, le business plan à 3 ans, la profitabilité, les portefeuilles de pièces produits, les entrées et sorties de personnel, les investissements et projets d'investissement ».

 

Ayant estimé que les réponses de la filiale étaient insuffisantes, notamment quant à la situation économique et financière de la société mère, le CE de la filiale décida le recours à l'assistance d'un expert comptable.

En réponse, la filiale saisit le TGI d'une demande de suspension de la procédure d'alerte.

La Cour d’appel rejeta la demande de la filiale, jugeant que la société mère détenait le capital social de la filiale, que cette dernière était en état de dépendance économique à l'égard de la société mère, et que l'absence de réponse de la filiale aux questions relatives à la situation économique et financière de la société mère, détentrice du capital social de la filiale et exerçant un pouvoir économique sur cette dernière, permettait au CE de recourir à un expert chargé d'établir un rapport sur la situation économique et financière de la société mère. La Cour jugea qu'il appartenait à la filiale de remettre au CE tous les éléments d'information concernant la société mère dont elle pouvait avoir connaissance et de répondre aux questions relatives à la situation économique et financière de la société mère, à son activité et à la situation de ses 11 établissements.

Devant la Cour de cassation, les moyens de la filiale étaient clairs et simples :

1°/ Selon la filiale, le périmètre d'exercice du droit d'alerte du CE est l'entreprise, à l'exclusion de toute autre structure ou personne morale, serait-elle l'actionnaire unique ou de référence, ou exercerait-elle une influence économique sur l'entreprise. Or, la filiale avait répondu de manière détaillée à toutes les questions du CE relatives à la stratégie de la filiale, dans les domaines à caractère économique, industriel et social. L'obligation d'information pesant sur la filiale ne pouvait être étendue à des questions relatives à la situation économique et financière de la société mère, à son activité et à la situation de ses établissements, même si la société mère détient le capital social de la filiale et même si cette dernière est en état de dépendance économique à l'égard de la société mère.

2°/ Selon la filiale, la mission de l'expert comptable, désigné par le CE dans le cadre de son droit d'alerte, porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise et ne peut être étendue à l'appréciation de la situation économique, financière ou sociale de la société qui en détient le capital social et exerce sur l'entreprise un pouvoir économique .

3°/ Selon la filiale, le droit d'alerte du CE d'une société ne peut justifier une ingérence injustifiée dans la gestion de la personne morale détentrice du capital social de cette société et exerçant sur elle un pouvoir économique. Or, le CE de la filiale ne détenait aucun droit de contrôle général de la société mère, détentrice du capital social de la filiale, au point de se faire communiquer les informations et documents susvisés, les questions posées par le CE n’étaient pas strictement nécessaires à l'appréciation de la situation de la filiale et révélaient une immixtion injustifiée dans la gestion de la société mère.

Mais la Cour de cassation confirma l’arrêt de la Cour d’appel, jugeant que :

  1. aux termes de l'article L.2323-78 du code du travail (devenu L.2323-50), lorsque le CE a connaissance de faits de nature à affecter de façon préoccupante la situation économique de l'entreprise, il peut demander à l'employeur des explications ;
  2. la situation financière de la filiale, extrêmement délicate dans la mesure où son capital social est détenu intégralement par la société mère, cette dernière ayant été contrainte de lui apporter mensuellement depuis le début de l'année 2012 une somme de 350.000 euros à 400.000 euros afin de lui permettre de faire face au paiement des salaires et à la trésorerie, rendait indispensable pour le CE d'obtenir des informations sur la stratégie de la société mère à l'égard de sa filiale compte tenu de la situation de dépendance de cette dernière,
  3. faute d'informations suffisantes, le recours à l'assistance d'un expert était justifié ;
  4. il appartient au seul expert comptable désigné par le CE de déterminer les documents utiles à l'exercice de sa mission.

 

En conclusion : Dès lors qu’il existe une situation de dépendance entre la société filiale et la société mère, que la situation financière de la filiale est délicate, le comité d’entreprise de la filiale peut obtenir des informations sur la stratégie de la société mère à l’égard de la filiale, le défaut d’informations justifiant le recours à l’assistance d’un expert.