Le contrôle d’identité est une mesure de police qui permet aux autorités compétentes de procéder à l’examen d’un document officiel permettant de justifier l’identité d’une personne.

Qu’il soit préventif ou répressif, mais encore judiciaire ou administratif, il répond à une finalité à l’origine d’une typologie entre les différents cas de contrôle qui se sont multipliés au fur et à mesure la réécriture de l’article 78-2 du Code de Procédure Pénale.

Parmi eux, certains sont nés à la suite de la signature de la Convention d’application de l’Accord de Schengen. La suppression des contrôles aux frontières entre les États signataires a laissé une place vide rapidement comblée par la possibilité de réaliser des contrôles d’identité à proximité des frontières ou dans les infrastructures de transport ouvertes au trafic international.

Pour limiter le caractère attentatoire de ces contrôles dit Schengen, le législateur les a enserrés dans des limites de temps, d’espace et d’objectif. Les opérations ne peuvent ainsi intervenir aux seules fins de prévenir et de rechercher des infractions liées à la criminalité transfrontalière que pour une durée n’excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peuvent consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux prévus par la législation en vigueur.

Pour autant, elles peuvent donner lieu à une certaine forme de détournement des dispositions du Code de Procédure Pénale que la Cour d’Appel de PARIS a condamné le 1er mai 2015. Elle a  retenu que « le caractère aléatoire, exigé par l’article 78-2, alinéa 8, du code de procédure pénale, implique non seulement que le contrôle ne soit pas systématique mais encore que seul le hasard préside au choix des personnes contrôlées ».

Le 25 mai dernier, la Cour de Cassation a remis en cause cette appréciation alors même qu’il ressortait des éléments du dossier que le contrôle était intervenu sur la base d’informations préalablement recueillies portant sur l’arrivée de migrants clandestins.

Cass. Civ. 1ère  25 mai 2016  Pourvoi n°15-50063

Cette jurisprudence est l’occasion de revenir sur le cadre des opérations réalisées dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et sur le contrôle de la légalité opéré sur celles-ci par le juge.

 

  • Le cadre du contrôle Schengen :

Les dispositions de l’article 78-2 du Code de Procédure Pénale prévoient plusieurs types de contrôle d’identité définis par des modalités différentes.

Les deux premiers cas s’appliquent directement à l’enquête pénale soit qu’ils s’inscrivent dans la recherche et de poursuite d’infractions requise par le Procureur de la République, soit qu’ils relèvent de la constatation de flagrance. Le troisième cas tend à prévenir les atteintes à l’Ordre public notamment à la sécurité des personnes ou des biens. Les derniers types de contrôles prévus concernent la lutte contre la délinquance transfrontière et l’immigration irrégulière.

Dans ce dernier cas, toute personne peut être soumise à contrôle de son identité dès lors qu’elle se trouve dans la zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention d’application de l’accord Schengen du 14 juin 1985 et dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international.

Les opérations sont réalisées indépendamment de son comportement et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public. Une telle prérogative « exorbitante du droit commun » est cependant, encadrée par la combinaison de limites de durée, de lieu, de fréquence et  d’objectif. Mais ces restrictions trouvent leur origine dans une évolution encore récente.

Avant 2011, la lettre de l’article 78-2 du Code de Procédure Pénale ne contenait ni précisions ni limitations de temps ou de fréquence.

Dans son arrêt du 22 juin 2010, la Cour de Justice de l’Union Européenne a alors dénoncé les contrôles systématiques indépendants du comportement de la personne concernée et/ou de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’Ordre public.

En application d’article 67, paragraphe 2, TFUE ainsi que les articles 20 et 21 du règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), elle affirmait que cette compétence attribuée par la législation française était insuffisamment encadrée car « l’objectif de ces contrôles n’est pas le même que celui des contrôles aux frontières qui visent d’une part, à s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire d’un État membre ou à le quitter et, d’autre part, à empêcher les personnes de se soustraire aux vérifications aux frontières ».

CJCE 22 juin 2010 Affaires C-188/10 et C-189/10

Par deux arrêts rendus en assemblée plénière en date du 29 juin 2010, la Cour de Cassation a emboîté le pas sans attendre et tiré les conséquences de l’absence de garanties apportées par la législation française aux contrôles d’identité dans la zone des 20 kilomètres.

Cass AP. 29 juin 2010 Pourvois n° 10-40002 et 10-40001

Quelques mois plus tard, la Cour appliquera sa position aux contrôles d’identités  réalisés dans les ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières.

Cass. Civ 1ère. 23 février 2011 Pourvoi n°09-70462

Le 14 mars 2011, la loi n°2011-267 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure dite LOPPSI 2 est venue réécrire l’article 78-2 du Code de Procédure Pénale pour se conformer aux prescriptions de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Depuis lors, « le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n’excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux ».

Dans l’arrêt du 25 mai 2016, les pièces de la procédure ont permis de constater que le contrôle d’identité était intervenu en gare de Lyon à PARIS, le 24 avril 2015, lors d’opération d’une durée de quatre heures.

Le procès-verbal faisait ressortir  les limitations de durée, de lieu et de fréquence dégagées par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans sa décision du 22 juin 2010.

 

  • La vigilance du juge:

Comme il l’a été précisé, la lutte contre la délinquance transfrontière et l’immigration irrégulière constitue l’objet exclusif des contrôles d’identité frontaliers. Ces contrôles doivent ainsi permettre de prévenir « les risques d’infractions et d’atteintes à l’ordre public liées à la circulation internationale de personnes ».

Si la vérification du respect de l’obligation du port et de détention des documents permettant le transit et le séjour finalise le contrôle, elle n’apparait que dans sa seconde phase.

L’article L 611-1 alinéa 2 du CESEDA précise très explicitement le mécanisme des opérations qui se réalisent en deux temps car ce n’est qu’«à la suite d’un contrôle d’identité effectué en application des articles 78-1, 78-2 et 78-2-1 du code de procédure pénale » que « les personnes de nationalité étrangère peuvent être également tenues de présenter les pièces et documents » sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France.

C’est ainsi qu’au contrôle d’identité stricto sensu succède le contrôle de la régularité de l’entrée et/ou du séjour… si et seulement si, la qualité d’étranger est apparu lors de la première phase.

Les services de police peuvent donc procéder à un contrôle de l’entrée et du séjour après avoir réalisé un contrôle d’identité révélant la nationalité étrangère de la personne sans présomption de l’extranéité de l’intéressé.

Dans un arrêt du 28 mars 2012, la Cour de cassation retient que le fait d’être né à l’étranger et de ne pas répondre aux questions relatives à sa date de naissance ne constitue pas un élément objectif déduit des circonstances extérieures à la personne, susceptible de présumer la qualité d’étranger et autorisant les services de police, sans qu’il soit préalablement procédé à un contrôle d’identité dans les conditions déterminées par les articles 78-1 et suivants du code de procédure pénale, à requérir, sur le fondement de l’article L. 611-1, alinéa 1, du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la présentation des documents sous le couvert desquels les étrangers sont autorisés à séjourner en France.

Cass. Civ 1ère. 28 mars 2012 Pourvoi n°11-11099 

L’existence d’« éléments objectifs déduit des circonstances extérieures » s’appuie sur le caractère aléatoire et non systématique des contrôles Schengen. Les données circonstancielles qui permettent de révéler l’apparente extranéité de l’intéressé à l’issue du contrôle d’identité sont donc essentielles à la régularité de la procédure bien que particulièrement délicates à manipuler.

La circulaire du 18 janvier 2013 NOR : INTK1300159C rappelle, en effet, que « l’engagement du contrôle ne doit pas avoir été discriminatoire ou stigmatisant ». La couleur de la peau, le nom de famille ou l’emploi d’une langue étrangère ne peuvent donc motiver un contrôle d’identité et amener à une vérification de la régularité de l’entrée ou du séjour.

La Cour d’Appel de PARIS s’était montrée très attentive aux circonstances du contrôle dans son analyse de la régularité de la procédure dans son arrêt du 1er mai 2015 en censurant « l’absence au procès-verbal de toute précision sur la façon dont les policiers ont assuré le caractère aléatoire des contrôles individuels » alors que des ressortissants égyptiens, maliens et tunisiens, étaient ciblés par un contrôle lors de l’arrivée de leur train en gare de Lyon.

Mais la Cour de Cassation est venue contredire cette appréciation. Sans s’attacher aux circonstances dans lesquelles le contrôle avait été mis en œuvre, elle retient que dès lors que les mentions du procès-verbal précisent l’objet des opérations liées à la criminalité transfrontalière et la limitation dans le temps et l’espace de celles-ci, elles suffisent à garantir le caractère non systématique du contrôle.

Elle se détache ainsi de l’aléa, fait du hasard.

Dans un arrêt du 3 mai 2007, les juges de cassation s’étaient pourtant prononcés dans un sens tout autre et avaient retenu que les dispositions de l’article 78-2, alinéa 4, du Code de Procédure Pénale ne sauraient permettre d’éluder les conditions de fond et de forme applicables aux autres types de contrôle d’identité prévus par le même article, en ses alinéas 1er à 3, lorsque ces opérations ne sont pas destinées à vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi mais relèvent, par leur objet.

Cass. Crim. 3 mai 2007 Pourvoi n°07-81331

Ils affirmaient alors leur obligation de veiller à restituer aux opérations de police leur véritable objet dans le cadre des contrôles Schengen.

A l’évidence, la Loi LOPPSI 2 semble bien avoir balayé cette obligation et laisse un champ ouvert particulière inquiétant aux détournements de procédure dans l’usage de l’article 78-2, alinéa 4, du Code de Procédure Pénale.