Depuis quelques années, l’institution judiciaire s’inquiète de l’évolution de pratiques qui égratignent les principes de l’indépendance de la justice, de l’état de droit, des droits de la défense et de l’égalité des armes.
La crise sanitaire liée au COVID est venue malheureusement asphyxier un service public de la Justice déjà essoufflé par un manque de moyens humains et matériels.
L’activité des tribunaux et cours dont la mission est de trancher des litiges en droit au nom du peuple souverain, est désormais impacté par ce trouble respiratoire chronique.
L’une des conséquences de cette insuffisance de souffle est la division des acteurs de la Justice, qui, souvent maltraités, sont devenus maltraitants entre eux.
Mais ce mois de juin est marqué par une bouffée d’oxygène : la publication de plusieurs rapports qui après avoir dressé un état des lieux des problématiques actuelles, apportent des solutions et des perspectives d’avenir.
Le rapport 2021 du Conseil Supérieur de la Magistrature :
Le 14 juin 2022, le Conseil Supérieur de la Magistrature a publié son rapport d’activité pour l’année 2021.
Ce document synthétise les travaux menés par cet organe constitutionnel pour la période écoulée en matière notamment de nomination, de déontologie et de discipline des magistrats.
Participant au maintien de la confiance du public dans les institutions juridictionnelles, le Conseil Supérieur de la Magistrature engage une réflexion empathique, pleine d’intelligence dans ce domaine et se montre attentif au ressenti des justiciables.
Les extraits ci-joints de son rapport parlent d’eux-mêmes :
« Il a été souligné ci-dessus que de nombreux justiciables formulent des demandes mal orientées, dont le traitement ne relève pas des pouvoirs du Conseil (demande de conseil juridiques, d’allocation de dommages-intérêts, d’intervention dans des procédures en cours, de poursuites pénales, etc.) ou visent des personnes à l’égard desquelles le Conseil n’est pas matériellement compétent (avocat, huissier de justice, expert judiciaire, notaire, éducateur, conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, conseiller prud’homme, juge administratif, juge consulaire, greffier, délégué du procureur, policier ou gendarme, etc.). Dans un souci pédagogique, une réponse personnalisée est apportée à ces demandes. En 2021, il a été répondu à 1 456 courriers de justiciables auxquels s’ajoutent des appels téléphoniques et des courriels » (Page 77).
« Certains dossiers traités mettent en exergue des pratiques qui, sans revêtir un aspect disciplinaire, mériteraient d’être signalées aux magistrats concernés dès lors qu’elles contribuent à la perte de confiance des justiciables dans la justice.
À titre d’illustration, peuvent être mentionnés : certains propos d’audience qui ont un retentissement particulier pour le justiciable qui ne maîtrise pas nécessairement les termes et les usages judiciaires ; certains comportements interprétés par le justiciable comme une forme de légèreté, de désinvolture ou de parti pris ; certaines motivations lapidaires et/ou stéréotypées donnant l’impression que l’affaire n’a pas été sérieusement examinée ; les manifestations de familiarité, en public, qui pourraient laisser penser à une connivence entre le magistrat, d’une part, et la partie adverse et/ou son avocat, d’autre part. L’utilisation des réseaux sociaux peut également avoir une incidence dans la sphère professionnelle et impose, de ce fait, un surcroît de vigilance, y compris en cas de navigation sur des sites de rencontres.
Dans de telles circonstances, il est arrivé que les CAR sièges sollicitent les observations du magistrat, même en l’absence de preuve formelle de son comportement, afin d’attirer son attention sur une possible difficulté. Le magistrat était ainsi incité à s’interroger sur ses pratiques professionnelles.
Le Conseil estime qu’il conviendrait d’aller au-delà et qu’un véritable pouvoir de rappel des obligations déontologiques, soumis au même formalisme que l’avertissement, lui soit reconnu » (Page 79).
Les rapports du Conseil consultatif conjoint de la déontologie de la relation magistrat-avocat :
En 2018, la Cour de cassation a initié un projet tendant à réunir les organes représentatifs des magistrats et avocats afin d’œuvrer en faveur d’un rétablissement de liens de confiance et constructifs entre les deux fonctions.
Face à l’évidente dégradation des relations magistrat-avocat, un Conseil consultatif conjoint a été créé par la signature de la charte le 26 juin 2019 par :
- la Cour de Cassation,
- le Conseil Supérieur de la Magistrature,
- les quatre Conférences des chefs de cour et de juridiction,
- l’Ordre des avocats aux conseils,
- le Conseil national des barreaux,
- la Conférence des bâtonniers de France et d’Outre-mer
- et l’Ordre des avocats au barreau de Paris.
Le 20 juin 2022, cet organe de déontologie croisée a présenté des préconisations dans trois rapports aux fins de permettre une amélioration des liens professionnels.
Trois groupes de travail se sont mobilisés pour dresser un constat des difficultés et y apporter des réponses pérennes :
Rapport du groupe de travail « Prospectives » :
Ce rapport établit que « de l’avis unanime de tous les professionnels, et même si peu d’incidents sont rapportés officiellement, une dégradation de la relation avocat/magistrat s’est installée depuis plusieurs années dans nos juridictions » (Page 3).
Parmi les raisons des tensions entre les acteurs du droit, la nouvelle organisation de tribunaux et cours est mise en évidence :
« Les palais de justice sont le lieu privilégié de rencontres et d’échanges entre magistrats et avocats. Dans la majorité des cas, ces échanges se déroulent dans de bonnes conditions. La construction des nouveaux palais de justice et la rénovation de certains anciens palais a pu contribuer à distendre les liens existant entre ces deux professions.
Bien souvent, l’émergence de difficultés dans la relation entre magistrats et avocats nait de la grande taille des juridictions lesquelles transforment les palais de justice en bunker. (…)
Dans la plupart des cas, les nouveaux palais de justice n’ont pas conservé en leur sein les locaux dédiés à l’ordre des avocats, contraignant ces derniers à s’établir hors du tribunal et des lieux de convivialité communs. Or, la présence du bâtonnier au cœur du palais était un symbole fort. En réalité, le fait que les ordres d’avocats soient sortis de la maison commune dépasse le symbole puisque cet éloignement physique des deux professions est perçu comme de nature à éroder les liens qui les unissent : les opportunités de dialogue entre les deux corps de métiers s’en trouvent en effet affaiblies » (Page 19).
Rapport du groupe de travail « Usages et bonnes pratiques » :
Ce rapport met en exergue la difficulté de concilier la bonne organisation et la célérité de la Justice avec l’oralité des débats et la solennité de l’audience :
« Une réflexion devrait être engagée sur les devoirs réciproques entre les magistrats et les avocats à l’audience civile : à ce titre, il a été rappelé que si l’avocat ne saurait plaider plus que nécessaire, il doit néanmoins avoir le temps de s’exprimer. Il est élémentaire en effet que le justiciable voie son avocat écouté et respecté dans sa plaidoirie car il s’agit d’une condition de sa compréhension de la justice. Il est des arguments que le justiciable a besoin d’entendre, dans certains dossiers très personnels. Le magistrat doit comprendre la démarche de l’avocat lorsque celui-ci plaide « corps présent.
Si l’avocat doit préparer sa prise de parole, ce qui est un exercice exigeant, le magistrat doit quant à lui se mettre en condition d’écoute active à l’audience » (Page 22).
« L’écoute fait partie du rôle social du juge. Le groupe de travail souhaite en effet rappeler la vertu sociale de l’audience, même lorsqu’elle est cadrée par une procédure écrite, en donnant comme recommandation aux magistrats de ne pas sous-estimer l’importance de l’écoute à l’audience, même si les demandes sont concentrées dans les écritures des parties, et de privilégier toutes formes d’accords, y compris par protocole, sur le temps de parole à l’audience avec le bâtonnier.
La justice doit se donner à voir et à entendre » (Page 23).
Mais l’ensemble des membres du groupe se sont entendus pour « revenir aux principes essentiels de leur profession et de leurs déontologies respectives » dans l’intérêt d’une seule personne :
Au cœur de ces principes déontologiques et professionnels se trouve le justiciable auquel le service public de la justice se doit d’être correctement et efficacement rendu. Ce justiciable, usager du service public de la justice, a été véritablement au cœur des réflexions. C’est, au fond, pour lui que les membres du groupe de travail ont, avec humilité, tenté ici de poser les premiers jalons d’une « déontologie des relations entre avocats et magistrats » (Page 33).
Recueil de cas pratiques interrogeant la déontologie des relations entre avocats et magistrats
Ce rapport réponde à des questions factuelles précises par des réponses concrètes concertées. Une section intitulée Attitudes et propos inadaptés, indélicats, discourtois et pour certains susceptibles de recevoir une qualification pénales compose d’ailleurs ce rapport.
S’il en était besoin, elle illustre les crispations qui existent entre les professionnels du droit au travers de situations concrètes et les tensions dans l’exercice de chacune des fonctions qui se traduisent par des comportements inadaptés à l’audience.
Les travaux menés par le Conseil Supérieur de la Magistrature et par le Conseil consultatif conjoint de la déontologie de la relation magistrat-avocat doivent être salués pour leur sérieux, leur justesse et leur pragmatisme.
Ils favoriseront une évolution positive de la Justice et de ses acteurs dans l’intérêt des justiciables.
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