L’article 12.1 de la Convention de New York a reconnu à l’enfant le droit d’être impliqué dans la prise des décisions qui le concernent et engage les États parties à garantir « à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ».

L’audition de l’enfant devant le Juge aux Affaires Familiales intervient dans le cadre de la procédure judiciaire engagée par l’un ou l’autre de ses parents qu’il s’agisse d’une instance en divorce ou relative à l’autorité parentale.

Dès lors que le mineur est concerné et s’il est capable de discernement, il peut être entendu par le juge ou une personne  déléguée à cette fin.

La condition de discernement ne dépend pas de l’âge de l’enfant mais de sa faculté d’exprimer un avis réfléchi en fonction de sa maturité et de son degré de compréhension des événements.

L’audition peut être demandée soit par l’enfant lui-même, soit par ses parents.

Dans le premier cas, elle est de droit sauf lorsque l’enfant a déjà été auditionné par le Juge des Enfants dans un temps proche.

Elle peut être présentée en tout état de la procédure, même pour la première fois en cause d’appel selon l’article 338-2 du Code de Procédure Civile.

Cette audition peut être refusée par une décision spécialement motivée du Juge aux Affaires Familiales uniquement en l’absence de discernement du mineur ou si la procédure ne le concerne pas

Dans le second cas, elle peut aussi être refusée par une décision spécialement motivée du Juge aux Affaires Familiales si cette audition n’est pas nécessaire à la solution du litige ou si elle est contraire à l’intérêt de l’enfant en application de l’article 338-4 du Code de Procédure Civile.

L’audition du mineur n’est pas d’une mesure d’instruction mais l’enfant bénéficie d’un avocat pour l’assister et l’aider à exprimer son ressenti qu’il le choisisse de lui-même ou qu’il soit désigné par le Bâtonnier à la demande de la juridiction.

Un compte-rendu de cette entrevue est transmis aux parents par l’intermédiaire de leurs conseils respectifs afin qu’ils prennent connaissance de l’avis de l’enfant.

Il faut apprécier l’expression de la parole de l’enfant pour ce qu’elle est, une vérité utile et imparfaite.

Des mots sur des maux :

Dans les conflits conjugaux, le spectre du pervers narcissique a pointé le bout de son nez depuis quelques années. Dans les conflits familiaux, c’est l’ombre horrifique de l’aliénation parentale qui plane, cette ascendance excessive de l’ascendant.

Ces monstres du vocabulaire doivent être laissés aux spécialistes aguerris et expérimentés qui savent les dompter, à savoir les psychiatres et psychologues cliniciens.

En pratique, on ne peut nier que les parents ont autorité sur l’enfant qui cherche soit à leur plaire, soit à leur déplaire avant de s’écouter lui-même.

Aussi les pères et/ou mères  peuvent-ils le pousser à demander à être auditionné et orienter ses propos en le manipulant ou le guidant.

Mais le droit d’expression du mineur demeure cependant essentiel, bienfaisant et libérateur.

En effet, la participation de l’enfant à la décision de Justice le concernant a une incidence sur sa conscience de sa place au sein de la famille et sur son estime personnelle.

La parole du mineur est valorisée pour ce qu’elle exprime, un ressenti, parfois une souffrance ou un mal-être qui sera porté à la connaissance des majeurs.

L’audition est un pas vers l’individualisation et l’indépendance pour l’enfant à travers ses mots dans le conflit qui oppose ses figures d’attachement et d’identification.

Aussi, l’absence d’audition induit toujours un risque, celui que la décision rendue ignore ses besoins.

L’article 371-1 du Code Civil souligne que « les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».

Si les parents ne parviennent pas à s’accorder sur les décisions à prendre dans l’intérêt de leur enfant, le Juge aux Affaires Familiales est contraint de se substituer à eux en statuant sur leur litige, l’audition permet de maintenir la concertation de l’enfant.

L’expression du mineur amène parfois les parents à prendre conscience des incidences de leur désaccord sur leur progéniture et de s’interroger utilement sur son bien-être.

La justice peut débloquer les freins qui immobilisent l’enfant dans un silence pudique ou accommodant par crainte de perdre l’affection de ceux qui pourvoient à son éducation.

Elle offre donc une parenthèse de sincérité dont les familles peuvent s’emparer pour améliorer le dialogue et la coparentalité.

La considération primordiale de l’intérêt de l’enfant et son indispensable influence sur la décision du juge sont ainsi liées au recueil de la parole de l’enfant.

Il n’est pas vain que les maux trouvent à s’exprimer par des mots à défaut d’être entendue.

L’insaisissable vérité :

La parole de l’enfant n’est jamais totalement libre car il est un individu sous influence ou plutôt sous des influences :

  • Celle de l’imprégnation parentale :

L’enfant est perméable et voit le monde à travers le regard de ses parents. L’amour inconditionnel qu’il leur porte, la peur de l’abandon ou le désir d’attention peut le pousser à agir dans le but de les satisfaire.

De ce fait, il n’est pas toujours en capacité d’exprimer sereinement sa parole notamment lorsque chacun de ses deux parents tient un discours opposé ou lui fait part de ses attentes quant à ce qu’il pourrait exprimer.

L’instrumentalisation et l’emprise ne sont pas des choses rares ; et même involontaire, la pression parentale peut affecter le mineur tant dans sa volonté d’être entendu que dans les propos exprimés.

  • Celle du tissu familial :

Dans chaque famille, il y a des enjeux relationnels complexes qui tissent un maillage autour de l’enfant et peuvent le ficeler. L’enfant vit au sein d’une tribu avec papa, maman, ses frères et ses sœurs.

Alliance ou rivalité, l’influence d’une fratrie ne doit pas être sous-estimée car chaque enfant prétend à une part de l’affection de ses parents tout prenant soin de ses aînés et de ses cadets.

La loyauté peut donc amener les frères et sœurs à se soutenir envers et contre tous ou à l’inverse, la désir d’éclipser l’autre peut les pousser à s’opposer pour exister individuellement.

  • Celle du ressenti individuel :

François Mauriac écrivit : « L’enfant vivait au pays des merveilles, à l’ombre de ses parents, demi-dieux pleins de perfections. Mais voici l’adolescence, et soudain, autour de lui, se rétrécit, s’obscurcit le monde. Plus de demi-dieux : le père se mue en un despote blessant ; la mère n’est qu’une pauvre femme » (Le jeune homme).

En grandissant, la curiosité naïve fait place à la fervente aspiration à se construire en s’émancipant de ses parents. Le mineur porte ainsi en lui une vérité, la sienne nourrie par ce qu’il est et ce qu’il vit.

Cette vérité n’est pas forcément conforme à la réalité car les outils de compréhension qui viennent avec la maturité ne lui sont pas encore acquis.

  • Celle du profit personnel :

Comme chacun voit midi à sa porte, l’enfant peut trouver son intérêt par le profit qu’il tire des circonstances. Seul un jugement expérimenté lui permettra plus tard de faire une distinction entre ce qu’il veut et ce qui est bon pour lui.

D’évidence, l’enfant envisage la situation familiale sous le prisme d’un désir immédiat sans perception complète des conséquences futures.

Si un jour, il aspire à s’inscrire dans un binôme exclusif avec l’un de ses parents, un autre jour, il peut le rejeter pour sortir d’un cadre qui ne le satisfait plus.

 

 

Pour toutes ses raisons, l’audition de l’enfant ne confère pas à l’enfant la qualité de partie à la procédure comme le souligne l’article 388-1 du Code Civil et reste un droit essentiel pour le mineur d’exprimer librement son opinion.

Si cet avis éclaire le Juge aux Affaires Familiales dans sa prise en considération des sentiments et des besoins exprimés par l’enfant, il n’est donc pas contraint de s’y conformer.

Dans l’instance des parents majeurs, l’enfant n’est pas un petit adulte et l’adolescent est adulte en devenir