L’article 4 A, alinéa 2, du Code Général des Impôt pose le principe de l’imposition des contribuables même non fiscalement domiciliés en France à raison de leurs seuls revenus de source française.

Mais le droit européen est venu s’insinuer dans ce principe du droit fiscal pour permettre d’établir un équilibre entre la protection sociale et la libre circulation.

En 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est penché sur le sort des contributions sociales françaises sur les revenus du patrimoine.

Elle a placé le travailleur migrant dans une situation égalitaire face à un ressortissant national se trouvant dans la même situation.

Si son arrêt du 26 février 2015 est une belle illustration du rôle du droit européen dans le quotidien des ressortissants des États membres, il témoigne surtout des bénéfices qu’il apporte dans de nombreux domaines.

Celui de la fiscalité qui semblait jusqu’alors intouchable, a lui aussi été ébranlé

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a donc du tiré les conséquences de la jurisprudence de la Cour en procédant à une redéfinition des mécanismes d’affectation des prélèvements sociaux pesant sur le capital.

Le 19 juillet dernier, le Conseil d’État qui a fait sienne la jurisprudence De Ruyter, a précisé les contours de l’évolution du cadre de l’imposition au titre de prélèvements sociaux des revenus de source française.

  • Le sort de la CSG ainsi que de la CRDS  et le financement de la sécurité sociale française :

En application de l’article  L 136-6 du Code de la Sécurité Sociale issue de l’article 29-I-A de la Loi  no 2012-958 du 16 août 2012, les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France sont assujetties à la contribution sociale sur les revenus du patrimoine.

Elles sont donc tenues de supporter plusieurs prélèvements sociaux tels que la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS).

En effet, l’article 29 de la loi de finances rectificative pour 2012 soumet à ces prélèvements sociaux les revenus immobiliers et plus-values immobilières de source française perçus par les personnes physiques fiscalement domiciliées hors de France.

Depuis, 2000, la nature de ces deux contributions précitées a été déterminée par la Cour de Justice des Communautés Européennes.

La Haute Juridiction considère que ces prélèvements sociaux présentent un lien direct et suffisamment pertinent avec la sécurité sociale, du fait qu’elles ont pour objet spécifique et direct de financer la sécurité sociale française ou d’apurer les déficits du régime général de sécurité sociale français.

CJCE 15 février 2000 affaire C-169/98

Elles sont donc assimilées à un règlement destiné au fonctionnement du régime de sécurité sociale français.

Aussi la question s’est-elle posée de savoir si ces prélèvements opérés sur les revenus du patrimoine de source française pouvaient conduire à un ressortissant européen à  financer même partiellement  la sécurité sociale de la FRANCE alors qu’il est affilié à la sécurité sociale d’un autre État membre ?

La Cour de Justice de l’Union Européenne a répondu que le principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale qui tend à supprimer les inégalités de traitement qui, pour les personnes se déplaçant à l’intérieur de l’Union, seraient la conséquence d’un cumul partiel ou total des législations applicables, s’oppose à l’assujettissement des revenus en cause à la CSG et à la CRDS.

Elle a ainsi jugé que le règlement CEE n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement CE n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement CE n° 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998, doit être interprété en ce sens que des prélèvements sur les revenus du patrimoine présentent, lorsqu’ils participent au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 de ce règlement CEE n° 1408/71, et relèvent donc du champ d’application dudit règlement, alors même que ces prélèvements sont assis sur les revenus du patrimoine des personnes assujetties, indépendamment de l’exercice par ces dernières de toute activité professionnelle.

CJUE 26 février 2015 affaire 623/13

La législation européenne pose donc une interdiction de cumul qui la vocation à s’appliquer indépendamment de l’origine des revenus perçus par la personne concernée.

L’élément déterminant de son application résulte du fait qu’une personne est assurée, de manière obligatoire ou facultative, dans le cadre d’un régime général ou particulier de sécurité sociale.

Suite à l’arrêt de De Ruyter, le Conseil d’État a pris acte de cette appréciation de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

A son tour, il a jugé que la CSG et la CRDS assises sur les rentes viagères à titre onéreux perçues de sources néerlandaises entraient bel et bien dans le champ du règlement du Conseil du 14 juin 1971 dès lors qu’elles participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale. Par voie de conséquence, elles étaient soumises au principe d’unicité de législation.

Conseil d’État 27 juillet 2015 No 334551

 

  • Le sort de la contribution additionnelle au prélèvement social et le financement du RSA :

Devant la position des hautes juridictions européennes et françaises, le Ministre des Finances et des Comptes Publics n’a eu d’autres choix que d’informer les contribuables par communiqués de presse du 20 octobre 2015 de la possibilité de présenter  une réclamation aux fins de remboursement des impositions concernées.

Cependant, le prélèvement de solidarité de 2 % dû avant le 1er janvier 2015, dans la mesure où il ne finance pas des branches de la sécurité sociale, devait ne pas être concerné.

L’imposition des revenus de source française s’est donc mise en conformité avec principe d’unicité de législation applicable en matière de sécurité sociale posant l’interdiction de cumul.

De ce fait, le travailleur migrant couvert par la législation d’un seul pays ne paie de cotisations de sécurité sociales que dans ce seul pays.

Mais si les revenus de source française d’un ressortissant européen ne peuvent être soumis à la CRDS et la CSG pour les raisons évoquées ci avant, peuvent-ils être assujettis à d’autres prélèvements sociaux ?

Le Conseil d’état a eu à s’interroger sur le cas sur la contribution additionnelle au prélèvement social.

En l’espèce, deux conjoints de nationalité néerlandaise affiliés au régime de sécurité sociale de leur pays, avaient  demandé et obtenu de la Cour Administrative d’Appel de BORDEAUX d’être déchargés des cotisations de la CSG, de CRDS sur les produits de placement ainsi que des contributions additionnelles à ce dernier prélèvement social.

Fort de la jurisprudence DE RUYTER, le ministre des finances et des comptes publics a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat afin d’annuler l’arrêt d’appel en tant qu’il a prononcé la décharge des cotisations de contribution additionnelle au prélèvement social prévue par l’article L. 262-24 du Code de l’Action Sociale et des Familles.

Le Conseil d’état remet en cause l’analyse de la juridiction d’appel au regard de la nature de l’imposition.

Les Sages retiennent que  la contribution additionnelle au prélèvement social sur les produits de placement, dès lors qu’elle est spécifiquement affectée au financement du revenu de solidarité active (RSA), prestation qui ne relève pas du champ d’application du règlement CEE n° 1408/71 du 14 juin 1971, n’entre pas elle-même dans le champ d’application de ce règlement.

Le principe du non cumul est écarté dès lors que la législation européenne relative à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs migrants et à la coordination des systèmes de sécurité sociale ne s’applique pas.

En effet, la contribution additionnelle était destiné à financé le revenu de solidarité active qui, selon l’article L262-1 du Code l’Action Sociale et des Familles « a pour objet d’assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d’existence de lutter contre la pauvreté et de favoriser l’insertion sociale et professionnelle ».

Ce revenu de substitution est un mécanisme de lutte contre la précarité lié à l’activité professionnelle.

Son attribution est donc régie par deux conditions principales et cumulatives de la qualité de travailleur ou de demandeur d’emploi et l’absence de bénéfice d’autres dispositifs de protection assurant un revenu de substitution.

De par sa nature, le RSA n’entre pas du règlement CEE n° 1408/71 du 14 juin 1971, ses modalités de financement ont donc conduit le Conseil d’Etat à la conclusion suivante :

« Aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 du règlement du Conseil du 14 juin 1971 :  » Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent : / a) les prestations de maladie et de maternité ; / b) les prestations d’invalidité, y compris celles qui sont destinées à maintenir ou à améliorer la capacité de gain ; / c) les prestations de vieillesse ; / d) les prestations de survivants ; / e) les prestations d’accident du travail et de maladie professionnelle ; / f) les allocations de décès ; / g) les prestations de chômage ; / h) les prestations familiales « . Le paragraphe 2 bis de cet article, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que :  » Le présent article s’applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif relevant d’une législation qui, de par son champ d’application personnel, ses objectifs et/ou ses conditions d’éligibilité, possède les caractéristiques à la fois de la législation en matière de sécurité sociale visée au paragraphe 1, et de l’assistance sociale. / On entend par ‘prestations spéciales en espèces à caractère non contributif’, les prestations qui sont destinées : / i) à couvrir à titre complémentaire, subsidiaire ou de remplacement, les risques correspondants aux branches de la sécurité sociale visées au paragraphe 1, et à garantir aux intéressés un revenu minimal de subsistance eu égard à l’environnement économique et social dans l’État membre concerné, ou / (…) et / b) qui sont financées exclusivement par des contributions fiscales obligatoires destinées à couvrir des dépenses publiques générales et dont les conditions d’attribution et les modalités de calcul ne sont pas fonction d’une quelconque contribution pour ce qui concerne leurs bénéficiaires (…), et / c) qui sont énumérées à l’annexe II bis « . Enfin, le paragraphe 4 de cet article prévoit que :  » Le présent règlement ne s’applique ni à l’assistance sociale et médicale, ni aux régimes de prestations en faveur des victimes de la guerre (…) « . Ces dispositions sont reprises, à compter du 1er mai 2010, aux articles 3 et 70 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui renvoient à l’annexe X de ce règlement. Il résulte clairement de ces dispositions qu’une prestation non contributive relevant de l’assistance sociale n’entre dans le champ d’application de ces règlements que lorsqu’elle possède également les caractéristiques de la législation en matière de sécurité sociale visée au paragraphe 1 de leurs articles 4 et 3 respectifs et à la condition, notamment, qu’elle soit mentionnée à l’annexe à laquelle ces articles renvoient ».

Conseil d’État 19 juillet 2016 N° 392784