I. La S.A.F.E.R. ou le Monopoly agricole…
MISSIONS DES SAFER :
Les S.A.F.E.R (Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural), qui sont aujourd’hui au nombre de 26, ont été créées par la Loi d’Orientation Agricole de 1960 sous forme de personnes morales de droit privé (sociétés anonymes), sans but lucratif, sous tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances.
Leurs objectifs initiaux consistaient à réorganiser les exploitations agricoles, dans le cadre de la mise en place d’une agriculture plus productive et de l’installation de jeunes agriculteurs, par la régulation et la maîtrise du marché foncier agricole.
Elles sont désormais investies de missions d'intérêt général :
- Protection des espaces agricoles, naturel et forestiers, en favorisant l’installation, le maintien et la consolidation d’exploitations agricoles afin que celles-ci atteignent une dimension économique viable au regard du SDREA, ainsi que l’amélioration de la répartition parcellaire des exploitations. Ces interventions doivent concourir à la diversité des systèmes de production, notamment ceux permettant de combiner les performances économique, sociale et environnementale et ceux relevant de l’agriculture biologique.
- Diversité des paysages, protection des ressources naturelles et maintien de la diversité biologique ;
- Développement durable des territoires ruraux ;
- Transparence et régulation du marché foncier.
Les SAFER ont également pour mission de lutter contre la spéculation foncière et le développement urbain en devenant des instruments d’aménagement et de développement rural et forestier, contribuant notamment à la protection de l’environnement et des paysages.
OBJECTIFS DU DROIT DE PREEMPTION
Le principal moyen d’action des SAFER est le droit de préemption qui lui a été conféré en 1962 et qui peut (car la SAFER n’est jamais « obligée » de préempter) être utilisé pour remplir un ou plusieurs des objectifs suivants (version 2014) :
1° L'installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs ;
2° La consolidation d'exploitations afin de permettre à celles-ci d'atteindre une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles et l'amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes, conformément au SDREA.
3° La préservation de l'équilibre des exploitations lorsqu'il est compromis par l'emprise de travaux d'intérêt public ;
4° La sauvegarde du caractère familial de l'exploitation ;
5° La lutte contre la spéculation foncière ;
6° La conservation d'exploitations viables existantes lorsqu'elle est compromise par la cession séparée des terres et de bâtiments d'habitation ou d'exploitation ;
7° La mise en valeur et la protection de la forêt ainsi que l'amélioration des structures sylvicoles dans le cadre des conventions passées avec l'État ;
8° La protection de l'environnement, principalement par la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées, dans le cadre de stratégies définies par l'État, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics ou approuvées par ces personnes ;
9° La protection et la mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (préemption pour le compte des collectivités).
Chose importante et souvent ignorée, il n’existe pas de hiérarchie entre ces différents objectifs et la SAFER peut motiver ses décisions de préemption et de rétrocession (après avis du comité technique et des commissaires du gouvernement) par référence à l’un et/ou l’autre de ces objectifs (mais en faisant état d’éléments concrets), ce qui rend relativement difficile toute éventuelle contestation judiciaire (devant les juridictions civiles), sauf en cas d’abus manifeste ou d’erreur de « procédure » qui sont désormais de plus en plus rares.
La contestation de la décision de préemption peut présenter un intérêt certain pour l’acheteur initial évincé par la préemption SAFER qui emportera finalement la vente en cas de succès de son action.
En revanche, l’action dirigée contre la seule décision de rétrocession paraît relativement peu intéressante pour l’acheteur évincé dans la mesure où, en cas de succès, la SAFER redevient propriétaire du bien dont la rétrocession est annulée et elle n’a plus qu’à remettre en œuvre une procédure de rétrocession que le contestataire n’est pas assuré de remporter, les Tribunaux n’ayant pas le pouvoir de substituer le demandeur à l’action au rétrocessionnaire qui avait été retenu par la SAFER.
CHAMP D’APPLICATION DU DROIT DE PREEMPTION
Classiquement, le droit de préemption de la SAFER s'applique aux aliénations d’immeubles agricoles à titre onéreux, telle que la vente, quelle que soit la forme revêtue par l'acte translatif (vente de gré à gré, adjudications volontaires ou forcées, apports en société), hors les cessions dans le cadre des procédures collectives.
Certaines aliénations échappent au droit de préemption, tels que :
- les échanges,
- ainsi que les partages d’indivision et cessions entre indivisaires, dépourvus d’effet translatif,
- ou encore les apports de biens à un groupement foncier agricole ou rural constitué entre membres de la même famille jusqu'au quatrième degré inclus,
- et les apports faits à un tel groupement par un propriétaire exploitant lesdits biens.
Par ailleurs, le droit de préemption du fermier en place depuis plus de 3 ans prime, classiquement, celui de la SAFER (d’où l’intérêt de louer un bien agricole avant de l’acheter, si toutefois le bail n’est pas « fictif » et que le preneur est en règle au regard du contrôle des structures…).
PROCEDURE
La notification des conditions de la vente faite à la SAFER par le Notaire du vendeur (ou par le rédacteur d’acte pour les droits sociaux) vaut offre de vente et, en cas d’exercice de son droit par la SAFER, la vente est parfaite, sans que les parties originelles ne puissent soumettre la validité de la vente à une condition de non exercice de son droit de préemption par la SAFER (ne s’applique pas aux apports en société qui peuvent être réalisés sous condition de non-préemption de la SAFER).
Précisons que la SAFER peut contester le prix qui est fixé entre les parties originelles et en proposer un moindre, ne laissant alors au vendeur d’autre ressource que :
- de l’accepter,
- de demander la fixation judiciaire du prix,
- ou de retirer le bien de la vente (son silence pendant 6 mois valant acceptation du prix proposé par la SAFER, sauf s’il décède pendant ce délai), même en cas de fixation judiciaire qui ne le satisfait pas.
ELARGISSEMENT DU DROIT DE PREEMPTION PAR LA LOI DE 2014
Afin de contrecarrer diverses tentatives de contournement, la loi d’Avenir pour l’Agriculture et la Forêt du 13 octobre 2014 a étendu, à compter du 1er janvier 2016, le droit de préemption des SAFER :
- Aux cessions de parts sociales ou actions de sociétés (de forme civile ou commerciale) à objet principalement agricole lorsque 100 % du capital est transmis et pour l’installation d’un agriculteur.
Cette réforme laisse les commentateurs quelque peu dubitatifs dans la mesure où :
- Il semble presque « trop » aisé d’échapper à la préemption en ne cédant pas 100 % du capital de la société ou en le cédant en deux temps…
- Certaines sociétés doivent avoir plusieurs associés (SA ou GAEC) et/ou ne peuvent avoir que des associés personnes physiques exploitants (GAEC) ce qui implique que la SAFER dispose immédiatement de candidats à la rétrocession remplissant ces conditions ;
- Même si des informations financières doivent être communiquées à la SAFER par le rédacteur de l’acte (bilans, etc.), une cession de titres est souvent complexe et périlleuse pour l’acquéreur et suppose en pratique de nombreuses investigations et audits préalables (juridique, comptables, financiers, sociaux, techniques, etc.) que la SAFER n’aura peut-être pas le temps ni les moyens de conduire (ce qui devrait la conduire à la plus grande prudence…) ;
- Aux donations (cessions à titre gratuit), à moins qu’elles ne soient réalisées dans le cadre familial (entre ascendants et descendants, entre collatéraux jusqu’au 6ème degré, entre époux ou partenaires de pacs ou entre une personne et les descendants de son conjoint ou partenaire de pacs). Attention, dès lors, de ne pas « sous-évaluer » les biens dans la donation à un tiers à la famille comme on le fait souvent pour tenter de limiter l’assiette des droits de donation…
- Aux aliénations à titre onéreux de l'usufruit ou de la nue-propriété (hors les cas où l’acquisition qui lui est notifiée a pour objet de reconstituer la pleine propriété d’un bien). L'acquisition prioritaire de la nue-propriété, admise tardivement au cours des débats parlementaires, est cependant subordonnée à des conditions spéciales : lorsqu'elle détient déjà l'usufruit du même bien, lorsqu'elle est en mesure d'acquérir l'usufruit concomitamment (difficile….) ou lorsque la durée de l'usufruit restant à courir ne dépasse pas deux ans (ce qui exclut tous les usufruits viagers dont le terme est incertain).
Notons que le Conseil Constitutionnel a censuré une disposition de la Loi qui permettait aux SAFER de préempter la nue-propriété dans le but de la rétrocéder dans les 5 ans à l’usufruitier, faute de garantie légale pour faire respecter ce délai.
Enfin, la loi de 2014 a créé un droit de préemption « partiel » en cas de cession de biens mixtes (vente simultanée de biens indivisibles soumis au droit de préemption et d’autres qui ne le sont pas), avec faculté pour le vendeur, toutefois, d’exiger que la préemption porte sur le tout ou de solliciter une indemnisation pour compenser la perte de valeur des immeubles non préemptés.
ACTIVITE DES SAFER
A titre illustratif, les SAFER ont exercé 1.360 préemptions en 2012 (souvent sur demande d’un acquéreur potentiel tiers à la vente notifiée…), pour une surface de 6.900 ha et une valeur de 53 M€ (0,7% du nombre total des notifications de vente transmises par les notaires aux SAFER).
Toutefois ces acquisitions par préemption ne représentent que 14% du nombre, 8% de la surface et 5% de la valeur de l'ensemble des acquisitions réalisées par les SAFER.
Cela signifie que les vendeurs de biens susceptibles d’être préemptés privilégient généralement les ventes amiables à la SAFER en lui consentant une promesse de vente avec faculté de substitution.
Pour un autre exemple plus récent et plus proche de nous, en 2015, la SAFER Aquitaine Atlantique a réalisé en Gironde 533 acquisitions pour 2098 ha (26 %, en surface, du marché foncier accessible, c’est-à-dire l’ensemble des biens notifiés à la SAFER à l’exception des achats des fermiers en place et des exemptions, et 13 % en valeur) pour une valeur de 85,2 M€, dont 71 ha seulement acquis par l’exercice du droit de préemption, soit moins de 3,5 %.
80 % de ces acquisitions concernent des lots inférieurs à 5 ha et les ¾ des opérations portent sur des biens d’une valeur inférieure à 75.000 € (10 % sur des biens d’une valeur supérieure à 300.000 €), ce qui démontre la forte implication de la SAFER sur les simples mutations de parcelles dans un but de restructuration foncière, plus que sur les propriétés entières.
L’acquéreur d’un bien agricole qui n’a pas été évincé par la SAFER (ou celui qui a finalement choisi de le prendre à bail) va se heurter à un second obstacle étatique de taille : le contrôle des structures.
2. Le contrôle des structures, ou la nécessité de requérir et d’obtenir une autorisation administrative pour exploiter un bien agricole ou agrandir son exploitation existante.
J’achète, on me donne, je loue ou je veux reprendre un bien agricole que j’avais donné à bail, ai-je pour autant le droit de l’exploiter ?
OBJECTIFS DU CONTROLE DES STRUCTURES :
Le contrôle des structures, anciennement dénommé « contrôle des cumuls » et visant historiquement à empêcher une trop grande concentration de terres agricoles entre les mêmes mains ou encore un démembrement d’exploitations viables, est un outil de mise en application de la politique d’orientation agricole de l’Etat dont les objectifs actuels sont, dans l’ordre :
- Un objectif prioritaire : l’installation d’agriculteurs, y compris dans une démarche d’installation progressive.
- Et trois objectifs alternatifs :
1° Consolidation ou maintien des exploitations existantes leur permettant d’atteindre ou de conserver une taille économiquement viable ;
2° Développement des systèmes de production combinant performances économique et performance environnementale (apport de 2014) ;
3° Maintien d’une agriculture diversifiée, riche en emplois et génératrice de valeur ajoutée, notamment en limitant les agrandissements et les concentrations d’exploitations au bénéfice, direct ou indirect, d’une même personne physique ou morale excessifs au regard des critères précisés par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.
Institué par une loi du 15 juin 1949 et codifié dans le Code Rural et de la Pêche Maritime, il a fait l’objet de nombreuses réformes de renforcement ou d’assouplissement (1958, 1962, 1980, 1984, 1990, 1995, 1999, 2005 et 2006) jusqu’à la Loi d’Avenir du 13 octobre 2014 supposée mettre en place, selon le ministère, « un régime renforcé, simplifié et régionalisé pour éviter les stratégies de contournement (notamment en utilisant le cadre sociétaire, mais on va voir que certaines mesure n’ont pas plu au Conseil Constitutionnel…)et en harmoniser l’application sur le territoire national ».
PARTICULARITES DU CONTROLE DES STRUCTURES
Il s’agit d’un contrôle national, unique en Europe (il s’applique aux exploitations sur le sol français, y compris pour les exploitants étrangers, mais en ne tenant pas compte des terres exploitées à l’étranger) et administratif (arrêté préfectoral = acte administratif unilatéral, avec possibilité de recours devant le Tribunal Administratif) qui s’applique non pas aux transferts de propriété, mais aux créations ou aux modifications de l’exploitation d’un fonds agricole (installation, agrandissement, réunion, reprise ou suppression d’exploitation, etc.) quel que soit le statut juridique de l’entité exploitante (personne physique ou société).
CHAMP D’APPLICATION : qu’est-ce qui est soumis à contrôle ?
En conséquence, certaines opérations qui peuvent être envisagées par des agriculteurs en exercice ou de futurs agriculteurs sont soumises à contrôle de l’administration régionale (autrefois départementale) en fonction des critères, tenant aux superficies, aux personnes ou aux distances entre exploitations, fixés par la Loi et explicités par le Schéma Directeur Régional des Exploitations Agricoles (SDREA, adopté en Aquitaine le 31 décembre 2015, anciennement départemental) :
1. Dépassement du seuil de superficie : Installations, agrandissements ou réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole, d'une ou plusieurs personnes physiques ou morales, d'une superficie supérieure au seuil de déclenchement fixé par le S.D.R.E.A. qui, en Aquitaine, est celui de la Surface Agricole Utile Régionale Moyenne de 34,2 ha[1], pondéré par des coefficients d’équivalence en fonction des types de productions ou des régions naturelles.
Les seuils ont sérieusement été rabaissés afin d’élargir le contrôle à un plus grand nombre d’opérations.
Exemples :
Vignes du groupe 1 (Bordeaux, Bordeaux Sup, Côtes de blaye, etc.) coeff. 2,01, soit 17 ha[2] ;
Vignes du groupe 4 (Pauillac, Pomerol, Pessac Léognan, etc.) coeff. 6,84, soit 5 ha.
2. Installations, agrandissements ou réunions d'exploitations portant atteinte à une autre exploitation (exemple : reprise de parcelles louées) :
- supprimant une exploitation agricole dont la superficie excède le seuil fixé par le SDREA ;
- démantelant une exploitation en ramenant sa superficie en deçà de ce seuil ;
ou la privant d'un bâtiment essentiel (sauf reconstruction ou remplacement).
3. Conditions tenant aux personnes : Quelle que soit la surface, les installations, agrandissements ou réunions d'exploitations au bénéfice d'une exploitation agricole :
- dont l'un des membres ayant la qualité d'exploitant ne remplit pas les conditions de capacité (diplômes agricoles) ou d'expérience professionnelle (+ 5 ans sur au moins le 1/3 de la SAUR moyenne).
- ne comportant pas de membre ayant la qualité d'exploitant,
- d'un exploitant pluriactif remplissant les conditions de capacité ou d'expérience professionnelle, mais dont les revenus (personnels et non du foyer fiscal, nouveauté 2014) extra-agricoles excèdent 3120 fois le montant horaire du SMIC (hors le cas des « exploitants [pluriactifs dont les revenus excèdent le seuil] engagés dans un dispositif d’installation progressive, au sens de l’article L. 330-2 », nouveauté 2014) ;
suppression du critère de contrôle lié à l’âge par la Loi de 2014.
4. Agrandissements ou réunions d'exploitations avec des parcelles dont la distance par rapport au siège est supérieure à un seuil fixé (de manière manifestement facultative) par le S.D.R.E.A. (art. L. 331-2-I-4°). 10 km en Aquitaine = distance orthodromique[3] entre le siège de l’exploitation du demandeur et le point le plus proche de chaque parcelle faisant l’objet de la demande d’autorisation d’exploiter.
OPERATIONS LIBRES :
A contrario, les autres opérations ne relevant pas de l’un ou l’autre des critères ci-dessus sont « libres » (elles peuvent être réalisées sans autorisation), ainsi que celles résultant de l’apport en société des exploitations individuelles de deux époux ou partenaires de pacs (nouveauté 2014) ou de la transformation, sans modification, d’une exploitation individuelle en exploitation sociétaire.
REGIME DE FAVEUR DE LA DECLARATION PREALABLE POUR LES OPERATIONS FAMILIALES :
Il existe également un régime de simple déclaration préalable, donc beaucoup plus souple, pour certaines opérations dites « familiales » correspondant à mise en valeur d’un bien reçu d’un parent ou allié jusqu’au 3e degré inclus par donation ou succession, par location ou par vente, qui est applicable lorsque sont réunies 4 conditions cumulatives :
- Capacité ou expérience professionnelle du demandeur ;
- Bien libre de location au jour de la déclaration ;
- Bien détenu par le parent ou allié jusqu’au 3e degré depuis au moins 9 ans directement ou par l’intermédiaire d’une société familiale et dont les parts ne peuvent représenter que les biens détenus en propriété.
Nouvelle condition Loi de 2014 : Les biens sont destinés à l’installation d’un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l’exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle-ci après consolidation n’excède pas le seuil de surface fixé par le S.D.R.E.A. (ne concerne donc pas, a priori, l’installation, qui peut porter sur une superficie excédant le seuil) : restriction importante apportée par la Loi de 2014, qui était souhaitée par diverses organisations agricoles.
LES OPERATIONS SAFER ET LE CONTROLE DES STRUCTURES
La SAFER est sortie plutôt gagnante de la Loi de 2014 s’agissant de la soumission de ses opérations au contrôle des structures (le régime était relativement compliqué auparavant, en fonction des cas de figure) dans la mesure où tient tout simplement lieu d’autorisation l’avis favorable donné à la rétrocession par le commissaire du Gouvernement représentant le ministre chargé de l’agriculture (qui doit tout de même tenir compte, dans son avis et en cas de candidatures multiples, non seulement des motifs de rétrocession de la SAFER, mais aussi du SDREA).
La question peut se poser de savoir si cet avis, qui s’apparente désormais plus à une décision faisant grief, pourrait être attaqué devant les juridictions administratives ?
LA DECISION PREFECTORALE D’AUTORISATION OU DE REFUS D’AUTORISATION D’EXPLOITER
S’agissant de la décision du Préfet de Région (prise dans un délai de 4 mois pouvant être porté à 6 mois, après consultation, manifestement facultative désormais, de la Commission Départementale d’Orientation de l’Agriculture), selon le nouvel article L. 331-3-1 du Code Rural : « L’autorisation mentionnée à l’article L. 331-2 peut être refusée :
1° Lorsqu’il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l’article L. 312-1 ;
2° Lorsque l’opération compromet la viabilité de l’exploitation du preneur en place ;
3° Si l’opération conduit à un agrandissement ou à une concentration d’exploitations au bénéfice d’une même personne excessifs au regard des critères définis au 3° de l’article L. 331-1 et précisés par le schéma directeur régional des structures agricoles en application de l’article L. 312-1[4], sauf dans le cas où il n’y a pas d’autre candidat à la reprise de l’exploitation ou du bien considéré, ni de preneur en place[5] ;
4° Dans le cas d’une mise à disposition de terres à une société, lorsque celle-ci entraîne une réduction du nombre d’emplois salariés ou non-salariés, permanents ou saisonniers, sur les exploitations concernées. »
Le Préfet de la Région va également, désormais, départager les candidatures relevant du même rang de priorité en utilisant une grille de critères très précis, définis dans le SDREA et permettant « noter » l’intérêt économique et environnemental des différents projets concurrents.
En présence de plusieurs candidats à égalité de rang, ce n’est que lorsque l’écart de points sera inférieur ou égal à 10 que pourront être délivrées plusieurs autorisations.
LES OPERATIONS SOCIETAIRES
S’agissant de l’épineuse question des opérations sociétaires[6], la Loi avait envisagé de soumettre à contrôle, en la qualifiant d’agrandissement ou de réunion d’exploitation, toute prise de participation directe ou indirecte d’un agriculteur dans une société agricole.
Cette disposition a été censurée le 9 octobre 2014 par le Conseil Constitutionnel qui a considéré qu’en ne réservant pas cette qualification aux prises de participation significatives, ces dispositions portaient une atteinte disproportionnée, au regard de l’objectif poursuivi, au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre.
La question reste de savoir si, aujourd’hui, une prise de contrôle « significative » par un agriculteur dans une autre société agricole (dont il peut également devenir associé exploitant et pourquoi pas gérant) peut être constitutive d’un agrandissement (ou d’une réunion) d’exploitation sachant que, avant la Loi de 2014, l’administration contrôlait la « double participation » conformément à deux circulaires ministérielles de 2006 et 2008 interprétant des dispositions du Code Rural, inchangées par la Loi de 2014, selon lesquelles :
- Est qualifié d’exploitation agricole l’ensemble des unités de production mises en valeur, directement ou indirectement, par la même personne, quels qu’en soient le statut, la forme ou le mode d’organisation juridique ».
- Est qualifié d’agrandissement d’exploitation ou de réunion d’exploitations au bénéfice d’une personne le fait, pour celle-ci, mettant en valeur une exploitation à titre individuel ou dans le cadre d’une personne morale, d’accroître la superficie de cette exploitation ».
- Pour déterminer la superficie totale mise en valeur, il est tenu compte de l’ensemble des superficies exploitées par le demandeur, sous quelque forme que ce soit et toutes productions confondues […].
- Une personne associée d'une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de ces unités de production
A défaut de maintien de ce contrôle de la « double participation » (que la Loi de 2014 voulait renforcer « excessivement » selon le Conseil Constitutionnel) toute la règlementation relative au contrôle des structures ne deviendrait qu’un lointain souvenir tant il serait aisé de la contourner.
SANCTIONS EN CAS D’EXPLOITATION SANS AUTORISATION
Enfin, règlementation du contrôle des structures, afin d’en assurer l’efficacité, prévoit un régime de sanctions civiles et administratives (les sanctions pénales ayant été supprimées en 1999) à savoir :
- d’une part, la nullité du bail à ferme, le cas échéant, dont la validité est subordonnée à l’obtention de l’autorisation d’exploiter si elle est nécessaire. Le préfet, le bailleur ou parfois la SAFER peut donc saisir le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux (TPBR) pour voir prononcer ladite nullité ;
- D’autre part, le refus des aides publiques à l’agriculture et des amendes administratives (304,90 à 914,70 €/ha).
La procédure de sanction est assez complexe, le contrevenant étant d’abord mis en demeure de régulariser sa situation (ce qu’il ne peut pas faire s’il exploite en dépit d’une décision de refus d’autorisation d’exploiter déjà rendue), puis de cesser l’exploitation des terres concernées.
Il peut ensuite contester les sanctions pécuniaires prises à son encontre devant une commission des recours.
BAIL FORCE
Mais la véritable « sanction » est que si à l’expiration de l’année culturale au cours de laquelle la mise en demeure de cesser d’exploiter est devenue définitive un nouveau titulaire du droit d’exploiter n’a pas été retenu, toute personne intéressée peut demander au TPBR le droit d’exploiter le fond, celui-ci fixant les conditions de jouissance (en cas de pluralité de candidats, le TPBR choisi en fonction des priorités définies au SDREA).
En d’autres termes, par exemple, si, en franchissant l’obstacle du droit de préemption de la SAFER, je me porte acquéreur d’une propriété agricole en vue de l’exploiter sans prendre la précaution de conditionner la vente à l’obtention de mon autorisation d’exploiter, je risque donc de me retrouver privé du droit d’exploiter et obligé de louer cette propriété à un tiers qui m’est prioritaire au regard du SDREA…
N’est donc pas exploitant agricole qui veut, loin s’en faut…
Wladimir BLANCHY, Avocat au Barreau de Bordeaux
Associé du cabinet de SEZE & BLANCHY - JPA WINE & SPIRITS
w.blanchy@dsb-avocats.com
[1] Autrefois UR = 22 ha de vignes de Bx Rouge, soit 120 ha pour les grandes cultures et l’élevage et seuil de contrôle à 1,5 UR
[2] Autrefois 1,5 UR, soit 33 ha de vignes de Bx Rouge et 15 ha pour Pomerol, Pauillac, etc.
[3] Du grec orthodromeîn : courir en ligne droite (« à vol d’oiseau » n’était manifestement pas suffisamment technocratique…).
[4] En Aquitaine, un agrandissement (ou une concentration d’exploitations) est considéré comme excessif lorsque la surface pondérée qu’il est envisagé d’exploité dépasse 4 fois la SAU régionale moyenne par Agriculteur à Titre Principal (à relativiser, donc, dans les sociétés ayant plusieurs associés exploitants).
[5] Sachant qu’autrefois, la jurisprudence avait pu considérer que l’unicité de candidature n’obligeait pas à la délivrance d’une autorisation (CA Douai 30 jan. 2003 ; RDRur 2003 p. 283 et 475).
[6] On se souviendra, à ce propos, que la loi de 2006, procédant à un assouplissement, était revenue sur l’assimilation à un agrandissement de toute diminution du nombre d’associés exploitants dans une société édictée par la loi de 1999 qui était particulièrement sévère (système du « quotient »).
Si le Notaire a correctement notifié la vente à la SAFER, celle-ci dispose d'un délai de deux mois pour prendre position. En cas de silence de sa part (qui n'a évidemment pas à être "motivé"...) passé ce délai, elle est réputée avoir renoncé à exercer son droit de préemption et la vente peut donc être régularisée entre le vendeur et l'acquéreur originel. En d'autres termes, et sous réserves d'autres difficultés dont je ne serais pas informé, si le Notaire a régulièrement notifié la vente à la SAFER le 4 octobre 2018 et que celle-ci n'a pas répondu, vous pouvez immédiatement prendre rendez-vous avec le vendeur et le Notaire pour aller signer l'acte authentique en l'Etude de ce dernier.