L’allocution présidentielle au soir du 16 mars 2020 avait fait naître beaucoup d’espoir pour les locataires sur le sort des loyers commerciaux et notamment de l’obligation à paiement du loyer alors que dans le même temps l’activité et l’exploitation commerciale du bien loué par le professionnel étaient soit interdites, soit fortement ralenties.

 

Passée l’euphorie de l’effet d’annonce et fidèle à l’adage selon lequel les promesses n’engagent que ceux qui y croient, l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 « relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 » était publiée.

 

Le juriste tatillon ne manquait pas de constater immédiatement que le terme « suspension » [des loyers] prononcé par le Président lors de son allocution était désespérément absent tant de la dénomination de l’ordonnance que de son contenu.

 

Dans ce contexte particulier où la fiabilité de l’information juridique est sujette à caution, il revient à l’avocat d’offrir une analyse objective, claire et vulgarisée sans être erronée.

 

L’objet de ce billet est de répondre à 8 questions concrètes qui vous donneront un panorama complet de l’influence de cette ordonnance sur votre situation personnelle que vous soyez preneur à bail commercial ou bailleur.

 

 

1°/ QUI EST CONCERNE ?

Sources textuelles :

L’article 1 de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19 renvoie à l’article 1 de l’ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020 portant création d'un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation qui elle-même est précisée par le Décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

 

Concrètement, les principales personnes concernées sont les suivantes :

- Les personnes physiques ou personnes morales de droit privé ayant débuté leur activité avant le 1er février 2020 dont l’effectif est inférieur ou égal à 10 salariés ;

Et

- Un chiffre d’affaire de moins d’1 million d’euros hors taxe sur le dernier exercice clos ;

 

Conditions alternatives supplémentaires à remplir :

- Faire l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ;

Ou

- Subir une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ;

 

Exclusion :

Les personnes physiques ou morales ayant déclaré un bénéfice imposable de plus de 60 000 euros au titre du dernier exercice clos.

 

2°/ LES LOYERS COMMERCIAUX SONT – ILS ANNULES ?

3°/ SUIS-JE EXONERE DU PAIEMENT DU LOYER ?

Non, à aucun moment le décret ne prévoit une annulation ou une exonération du paiement mensuel du loyer commercial.

 

4°/ LE PAIEMENT DES LOYERS COMMERCIAUX EST-IL SUSPENDU ?

Non, à aucun moment le décret ne prévoit une suspension de l’obligation à paiement du loyer commercial.

 

5°/ QUE PREVOIT L’ORDONNANCE ?

Source textuelle :

L’article 4 alinéa 1 du décret prévoit que « Les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce. »

 

Concrètement, en cas de non-paiement de votre loyer, votre bailleur ne peut plus vous facturer de pénalités ou intérêts de retard de quelque nature que ce soit.

 

Votre bailleur ne peut plus non plus faire courir le délai d’acquisition de la clause résolutoire au contrat de bail.

 

Ce dernier point est fondamental mais provisoire.

 

Ce point est fondamental car en cas d’impayé locatif la première étape obligatoire et préalable à toute chose est la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire. Cet acte est délivré à l’initiative du bailleur par Huissier de Justice et vous confère un délai d’un mois (en matière commercial) pour vous acquitter de votre dette locative. Passé ce délai d’un mois et à défaut de régularisation dans le délai, votre bailleur a la possibilité de saisir le Tribunal compétent afin de faire constater la résiliation du bail commercial.

 

Or, si le décret n’interdit pas expressément la délivrance d’un commandement de payer, il indique clairement en revanche que le délai d’1 mois ne commence pas à courir. Ainsi, si ce délai ne court pas, le préalable à l’action en Justice du bailleur à l’égard du locataire n’est pas rempli. Le bailleur ne peut donc pas saisir le Tribunal.

 

6°/ PENDANT QUEL DELAI L’ORDONNANCE S’APPLIQUE-T-ELLE ?

Source textuelle :

L’article 4 alinéa 2 du décret prévoit que « Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée. »

 

Concrètement l’ordonnance s’applique pour les loyers à échéance du 12 mars 2020 jusqu’au 24 juillet 2020 (au jour de rédaction du présent le 10 avril 2020, la date de fin étant susceptible d’être prorogée).

 

7°/ QUELLES CONCLUSIONS TIRER DE L’ORDONNANCE :

L’ordonnance permet de figer la situation dans le cas d’un preneur professionnel qui n’a plus d’activité ou qui a une activité très réduite.

 

En effet, l’obligation à paiement du locataire demeure mais le non-respect de cette obligation n’entraine aucune conséquence pour lui jusqu’au 24 juillet 2020 (date susceptible d’être prorogée, voir supra). Pas de résiliation de bail, pas d’action en paiement.

 

Ainsi, de fait, l’ordonnance a maintenue une obligation existante (celle de payer son loyer conformément aux stipulations du bail) tout en privant temporairement le bailleur de la possibilité de faire sanctionner son inexécution.

 

8°/ ET APRES LES 2 MOIS SUIVANT LA FIN DE L’ETAT D’URGENCE SANITAIRE ?

L’ordonnance cessera de produire ses effets et le bailleur recouvrera son entière liberté d’action et pourra faire sanctionner les non-respects des obligations par toutes voies de droit.

 

Les locataires les plus prévoyant auront mis cette « trêve » à profit pour envisager, avec leur avocat habituel, les possibilités qui s’offrent à eux pour tenter d’obtenir l’exonération de tout ou partie des échéances de loyers dus.

 

En effet, si la présente ordonnance ne permet aucune exonération des loyers mais simplement un arrêt provisoire des sanctions, pénalités et voies de droit relatives au bail, d’autres mécanismes issus du droit commun ont vocation à s’appliquer ici afin de tenter d’obtenir une exonération des loyers.

 

Compte tenu de l’ampleur sans précédant de cette crise sanitaire la jurisprudence des Tribunaux se construira au fur et à mesure des contentieux qui ne manqueront pas de naître au sortir de cette crise afin d’obtenir une remise totale ou partielle du montant des échéances du loyer.

 

Le droit commun des contrats sera d’un apport inestimable au soutien des locataires, on pense bien entendu en premier lieu à la notion de force majeure, la théorie de l’imprévision ainsi qu’aux mécanisme commerciaux de la conciliation et de la procédure de sauvegarde. Ces notions mériteraient à elle seules d’autres développements.

 

 

Me Xavier USUBELLI

Avocat à la Cour

61, rue Nationale

B.P. 7

78200 MANTES-LA-JOLIE

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