La décision de la chambre sociale de la Cour de cassation du 11 septembre 2024 [[Cass. soc., 11 sept. 2024, n° 23-12.500 F-D]] apporte un éclairage important sur les prérogatives de l'employeur lorsqu'il conteste la décision du comité social et économique (CSE) de recourir à un expert-comptable dans le cadre d'une procédure d'alerte économique. Cette affaire soulève des questions relatives à l'étendue des pouvoirs de l'employeur pour remettre en cause une expertise décidée par le CSE et les critères qui encadrent le caractère nécessaire ou abusif de celle-ci. Décryptons ensemble les enjeux de cette décision.

 

1. Le contexte de la procédure d'alerte économique

 

La procédure d'alerte économique est un mécanisme permettant au CSE d'exercer un droit de contrôle sur la situation économique de l'entreprise lorsque des indicateurs de difficultés apparaissent. Selon l’article [[L. 2312-63 du Code du travail]], le CSE est habilité à recourir à un expert-comptable pour obtenir une analyse plus approfondie de la situation économique et financière de l’entreprise. L'objectif est de permettre au CSE d'identifier les difficultés potentielles et d'alerter l'employeur afin de prendre les mesures nécessaires pour y remédier.

 

Dans le cas présent, la société Crm92 avait saisi le président du tribunal judiciaire en vue d'annuler la délibération du CSE ayant décidé de recourir à un expert-comptable. L'employeur contestait la nécessité de l'expertise, son coût et le caractère potentiellement abusif de celle-ci.

 

2. L'étendue des pouvoirs de l'employeur en matière de contestation

 

L'article [[L. 2315-86 du Code du travail]] permet à l'employeur de saisir le président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond afin de contester la décision du CSE de recourir à un expert-comptable. Toutefois, la contestation de l'employeur est strictement encadrée : il peut remettre en cause la nécessité de l'expertise, le choix de l'expert, le coût prévisionnel, l'étendue ou la durée de l'expertise, mais ne peut, par voie d'exception, remettre en cause la régularité de la procédure d'alerte économique déclenchée par le CSE.

 

Dans l'arrêt du 11 septembre 2024, la Cour de cassation confirme que le président du tribunal judiciaire n'a pas à statuer sur le bien-fondé du droit d'alerte économique exercé par le CSE, mais uniquement sur la nécessité de l'expertise. Ce point est crucial, car il limite les marges de manœuvre de l'employeur pour contester la décision du CSE, en se concentrant uniquement sur les aspects relatifs à l'expertise elle-même.

 

3. Le caractère nécessaire ou abusif de l'expertise

 

Le président du tribunal judiciaire, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, a estimé que l'expertise n'était pas nécessaire dans ce cas précis. Plusieurs éléments ont été pris en compte :

 

  • D'abord, le CSE avait déjà bénéficié d'une expertise comptable ordonnée le 2 juillet 2022 lors d'une information-consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise. Ainsi, le comité disposait déjà d'informations suffisantes pour comprendre la situation de l'entreprise.
  • Ensuite, le comité avait décidé de recourir à quatorze expertises en deux ans et demi, dont trois dans le cadre du droit d'alerte économique, ce qui suggérait un recours excessif à l'expertise comptable.

Ces éléments ont conduit le tribunal à considérer que l'expertise demandée par le CSE avait un caractère abusif. Ce point est d'autant plus important que la Cour de cassation a validé ce raisonnement, en rappelant que l’expertise doit répondre à une nécessité justifiée par la situation de l'entreprise et ne doit pas être utilisée de manière systématique ou déraisonnable.

 

4. La position de la Cour de cassation

 

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi du CSE et de l'expert-comptable en confirmant que le président du tribunal judiciaire avait exercé correctement son pouvoir d'appréciation. La Cour a souligné que l'employeur ne pouvait contester que la nécessité, l'étendue ou le coût de l'expertise, et non l'exercice du droit d'alerte économique en lui-même.

 

Par ailleurs, la Cour a rappelé que le recours à l'expertise ne doit pas entraîner des dépenses excessives pour l'entreprise, surtout lorsque le CSE dispose déjà d'éléments d'information suffisants. En l'espèce, la dépense de 30 000 euros pour chaque expertise, alors que l'entreprise traversait des difficultés économiques, a été un facteur déterminant dans la qualification de l'expertise comme étant abusive.

 

Conclusion

 

Cette décision de la Cour de cassation clarifie l'étendue des pouvoirs de l'employeur en matière de contestation des expertises comptables dans le cadre d'une procédure d'alerte économique. Elle rappelle que l'employeur ne peut remettre en cause la régularité de la procédure d'alerte déclenchée par le CSE, mais peut contester la nécessité de l'expertise, son coût, son étendue ou sa durée.

 

La Cour insiste également sur le fait que l'expertise doit être proportionnée et nécessaire à la compréhension de la situation de l'entreprise, sous peine d'être qualifiée d'abusive. Ce rappel est d'autant plus pertinent dans un contexte où les expertises comptables peuvent représenter des coûts importants pour l'entreprise.

 

Ainsi, cette décision encourage un usage raisonnable et justifié de l'expertise comptable par le CSE et rappelle aux employeurs les limites de leur droit de contestation.

 

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