Autrement dit, si je vends ma résidence principale, incluant un grand terrain, l'exonération de plus-value s'applique-t-elle aussi au terrain, même si l'acheteur entend faire une opération de promotion en divisant le terrain pour faire construire une nouvelle maison sur une parcelle du terrain détachée de la maison ?
L'administration fiscale considère que l'exonération ne s'applique pas dans une telle situation, à hauteur du terrain à bâtir. Mais la jurisprudence est plus nuancée. L'exonération est possible mais il faut tout vendre en même temps, et démontrer que le terrain était une dépendance immédiate et nécessaire à la maison. C'est sans doute le cas d'un beau jardin d'agrément.
Le principe légal
Il existe une exonération de plus-value en cas de vente de sa résidence principale et de ses dépendances.
L'exonération s'étend aux dépendances mais sous certaines conditions :
"3° Qui constituent les dépendances immédiates et nécessaires des biens mentionnés aux 1° et 2°, à la condition que leur cession intervienne simultanément avec celle desdits immeubles ;" (art. 150 U, II-3° du CGI)
Donc l'exonération de plus-value ne s'applique aux dépendances que si elles sont vendues en même temps que la résidence principale et que si ces dépendances sont immédiates et nécessaires à la résidence principale. Un grand terrain est-il une dépendance immédiate et nécessaire ? Cela se discute.
L'interprétation de la doctrine administrative
Dans sa doctrine, l'administration considère que si le bien est vendu en partie comme un terrain à bâtir, l'exonération de plus-value ne peut s'appliquer à hauteur de ce terrain, car il ne s'agit alors jamais d'une dépendance immédiate et nécessaire à la résidence principale.
"Ainsi, lorsqu'un terrain, qui constitue une dépendance de la résidence principale, est vendu comme terrain à bâtir, l'exonération prévue au 3° du II de l'article 150 U du CGI ne peut s'appliquer, à l'exception des dépendances qui constituent des locaux et aires de stationnement utilisés par le propriétaire comme annexes à son habitation (garage, parking, remise, maison de gardien) ainsi que des cours, des passages, et, en général, de tous les terrains servant de voies d'accès à l'habitation et à ses annexes. En effet, l'exclusion de telles cessions tient à la nature des terrains concernés, soit des terrains à bâtir, qui ne peuvent pas, en toute hypothèse, être considérés comme des dépendances immédiates et nécessaires." (BOI-RFPI-PVI-10-40-10 n° 340)
L'administration admet seulement que l'exonération s'applique aux voies d'accès et au parking.
Donc, du point de vue de l'administration, si votre maison a un grand jardin, très agréable mais vraiment grand, la vente du jardin pour en faire une nouvelle maison ne peut bénéficier de l'exonération, même si cette vente est faite en même temps que celle de la résidence principale.
La position du Conseil d'Etat
Le Conseil d'Etat considère que la question de savoir si le terrain autour de la maison est une dépendance immédiate et nécessaire relève de l'appréciation souveraine du juge du fond. Autrement dit, cette question ne relève pas de sa compétence (CE 18-3-2005 no 257550 : RJF 6/05 no 562, concl. F. Séners BDCF 6/05 no 74 et plus récemment CE 8-4-2022 n° 447694).
Par ailleurs, le fait que le terrain fasse l'objet d'une vente séparée comme un terrain à bâtir n'est pas un argument définitif et suffisant pour refuser l'exonération de plus-value. Ainsi, la position de l'administration est illégale sur ce point.
Mais attention, si la qualité de terrain à bâtir n'est pas un argument définitif, le juge fiscal considère qu'il s'agit quand même d'un indice sérieux tendant à prouver que le terrain n'est pas une dépendance immédiate et nécessaire. L'administration considère que c'est automatique. Le juge fiscal considère que c'est seulement un indice.
L'idée est sans doute à mon avis de faire valoir qu'un tel terrain qui permet de construire un autre bien n'est pas si proche de la résidence principale, ni nécessaire à cette résidence, puisque les règles d'urbanisme donnent le droit de l'utiliser pour construire une autre maison.
Le problème est qu'il n'existe pas de critère clair et précis, une taille maximum par exemple, et donc, en pratique, il faudra convaincre le juge que le terrain est vraiment utile à la résidence principale, malgré sa grande taille.
La question est par exemple alors de savoir si un beau jardin d'agrément peut être considéré comme une dépendance immédiate et nécessaire, même s'il a une grande surface, et qu'il peut être divisé pour faire une nouvelle construction. Il faudra démontrer que le jardin est une dépendance nécessaire de la résidence principale. Si c'est un grand jardin, il faut reconnaître que cela peut se discuter.
Il est intéressant à ce sujet de citer une jurisprudence récente qui va dans le sens du contribuable.
Dans cette décision (CAA Nantes 22-12-2023 n° 23NT00536 : RJF 5/24 n° 388), le vendeur vendait sa maison et le terrain dans un seul acte. L'acheteur achetait en qualité de marchand de biens et déclarait dans l'acte vouloir, d'une part, revendre la maison avec une première partie du terrain, et d'autre part, faire construire une nouvelle maison sur l'autre partie du terrain. La division parcellaire a été faite après l'achat.
Dans ce contexte le juge fiscal admet l'application de l'exonération de plus-value de la vente de la résidence principale en considérant que rien ne prouve que le terrain n'était pas, pour sa totalité, un jardin d'agrément. L'administration fiscale s'était sans doute contentée de faire valoir le projet de construction de l'acheteur, pour considérer que, nécessairement, le terrain n'était pas une dépendance nécessaire et immédiate. Or cela ne va pas de soi, c'est juste un indice.
A mon avis, pour se prémunir d'un rappel, il faut garder la preuve de l'usage du terrain comme jardin d'agrément. Si vous êtes dans cette situation, c'est le moment d'installer une balançoire et un barbecue, et de multiplier les plantations, des tomates et des rosiers par exemple,
Je joins la décision.
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A B ont demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015.
Par un jugement n° 1900289 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 février 2023, M. et Mme B, représentés par
Me Morice-Chauveau, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu mises à leur charge, soit en droits la somme de 11 440 euros et des pénalités de 1 171 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal n'a pas répondu à leurs conclusions et a commis une erreur de droit en considérant que l'acte de vente du 10 avril 2015 n'avait aucune valeur juridique ; ils ont entendu vendre leur résidence principale et non une résidence principale et un terrain à bâtir ainsi que cela ressort de l'acte de vente d'immeuble sous conditions suspensives signé le 10 avril 2015 ; en application des articles 1134 et 1589 du code civil, une promesse synallagmatique de vente vaut vente dès qu'il y a consentement des parties sur la chose et sur le prix ; les énonciations de l'acte authentique postérieur et les énonciations relatives aux engagements pris par l'acquéreur à l'égard de l'administration fiscale ne peuvent leur être opposées ; le formalisme de l'acte authentique n'est pas nécessaire à l'accord des parties et a seulement pour but d'assurer l'exactitude du fichier immobilier et l'opposabilité au tiers de la mutation ;
- ils sont en droit, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, de se prévaloir sur le fondement de l'article L 80 A du Livre des procédures fiscales de la doctrine administrative § 10 du BOI-TVA IMM 10 10 10 20-29/09/2014 ; la définition du terrain à bâtir donnée par cette doctrine administrative renvoie au paragraphe n° 340 du BOI RFPI PVI 10-40-10-20150812 dont ils se prévalent qui concerne "les plus-values immobilières - Exonération résultant de la cession de la résidence principale" qui prévoit une exonération générale de plus-value lors de la cession de la résidence principale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Viéville,
- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte notarié du 21 septembre 2015, M. et Mme B ont cédé à la société Maisons urbaines au prix de 410 000 euros la propriété d'une parcelle de 481 mètres carrés sur laquelle était édifiée une maison à usage d'habitation. À cette occasion ils ont déclaré dans l'acte de cession que ce bien constituait au jour de la cession leur résidence principale et ont bénéficié de l'exonération de plus-value sur le fondement des dispositions du 1° du II de l'article 150 U du code général des impôts. À la suite d'un contrôle sur pièces portant sur l'année 2015, l'administration fiscale a remis en cause l'exonération d'imposition de la plus-value immobilière pour la fraction de l'immeuble vendue comme terrain à bâtir et a notifié à M. et Mme B des rectifications en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales. M. et Mme B relèvent appel du jugement du 30 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015.
Sur l'application de la loi fiscale :
2. Aux termes de l'article 150 U du CGI, dans sa rédaction alors applicable : "I. () les plus-values réalisées par les personnes physiques (), lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis ou de droits relatifs à ces biens, sont passibles de l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues aux articles 150 V à 150 VH. / Ces dispositions s'appliquent, sous réserve de celles prévues au 3° du I de l'article 35, aux plus-values réalisées lors de la cession d'un terrain divisé en lots destinés à être construits. / II. Les dispositions du I ne s'appliquent pas aux immeubles, aux parties d'immeubles ou aux droits relatifs à ces biens : / 1° qui constituent la résidence principale du cédant au jour de la cession ; / () / 3° qui constituent les dépendances immédiates et nécessaires des biens mentionnés aux 1° et 2°, à la condition que leur cession intervienne simultanément avec celle desdits immeubles ; / ()".
3. Il résulte de l'instruction que M. et Mme B ont conclu le 10 avril 2015 une vente d'immeuble sous conditions suspensives avec la société SCOV pour la vente d'une maison d'habitation constituant leur habitation principale sise sur une parcelle cadastrée MW300 d'une superficie de 481 m2. Par acte sous seing privé du 31 août 2015, la société Maison Urbaines s'est substituée à la société SCOV. L'acte authentique du 21 septembre 2015 mentionne que l'objet du contrat porte sur la vente de la même maison d'habitation située sur la même parcelle et que l'acquéreur déclare acquérir les biens en qualité de marchand de biens et que son opération consiste en l'acquisition d'un foncier bâti pour revente de la maison existante en l'état édifiée sur une parcelle d'environ 187 m2 et la construction d'une maison neuve sur la parcelle détachée de 295 m2, le garage édifié sur cette parcelle devant être démoli par l'acquéreur. Cependant, la destination ainsi donnée au bien litigieux par l'acquéreur ne suffit pas en l'absence d'autres éléments au dossier, à remettre en question l'allégation des appelants selon laquelle le terrain en cause constituait leur jardin d'agrément, Par ailleurs, il résulte de ce même acte authentique que l'acquisition de la maison d'habitation de M. et Mme B a été effectuée pour le prix de 410 000 euros, la déclaration de l'acquéreur n'ayant permis que de déterminer les droits de mutation sur la vente du terrain à bâtir et sur la maison d'habitation cédée. Enfin, il résulte de l'instruction que la division parcellaire a été réalisée le 17 novembre 2015 soit postérieurement à la signature de l'acte authentique de vente. Dans ces conditions, et alors qu'aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que le terrain à détacher et à bâtir ne constituait pas une dépendance immédiate et nécessaire de la résidence principale des appelants, M. et Mme B sont fondés à soutenir qu'ils pouvaient bénéficier de l'exonération prévue par le 2° du II de l'article 150 U du code général des impôts.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les frais de justice :
5. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser aux requérants sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Décide :
Article 1er : Le jugement n° 1900289 du 30 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : M. et Mme B sont déchargés, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur le revenu et au contributions sociales au titre de l'année 2015.
Article 3 : l'État versera à M. et Mme B une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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