Les faits

En Allemagne, un patient sollicite la remise gratuite de la copie de son dossier médical auprès de son chirurgien dentiste qu’il suspecte d’avoir mal effectué ses soins. Le chirurgien dentiste lui répond en lui indiquant qu’il lui fournira la dite copie sous réserve de la prise en charge des frais, conformément au droit allemand.

En effet, en Allemagne tout comme en France,

  • les praticiens doivent tenir des dossiers médicaux reprenant l’ensemble des élements utiles pour le traitement actuel et futur du patient et retraçant l’ensemble de la prise en charge effectuée.
  • ces dossiers sont à conserver pendant 10 ans après la fin de la prise en charge, sauf cas particuliers.
  • le patient peut accéder immédiatement à son dossier médical, sous réserve des droits des tiers.
  • le patient peut également demander la communication de son dossier médical par voie papier ou électronique.
  • le patient doit rembourser les couts engendrés par cette copie.

Or, cette réglementation interne à l’Allemagne est antérieure au RGPD, qui donne matière au patient à contester la légalité du paiement des frais de copie.

La juridiction allemande saisit alors la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) d’une question préjudicielle.

 

   De quoi est saisie la Cour ?

La juridiction allemande pose 3 questions auxquelles la CJUE est venue répondre de façon précise et concrète :

Question 1/ Le RGPD prévoit un droit d’accès aux données détenues en vue d’en prendre connaissance et d’en vérifier la licéité. Or, en l’espèce, la demande d’accès à un objectif autre que celui posé par le RGPD : mettre en jeu la responsabilité du praticien. Dans ces conditions, le droit d’accès prévu par le RGPD et ses conséquences sont ils applicables à la situation ?

Réponse 1/ L’article 12 du RGPD prévoit que la demande d’accès n’entraine aucun frais pour le demandeur concerné par les données conservées. La seule dérogation prévue est à cette gratuité est l’abus de droit, c’est à dire les demandes infondées, excessives, répétitives. L’article 15 du RGPD prévoit que des « frais raisonnables » peuvent être demandés pour toute copie supplémentaire. Par ailleurs, ces articles ne donnent pas la possibilité au responsable de traitement de demander le motif de la demande d’accès aux informations. La motivation de la demande doit donc être indifférente dans l’interprétation à faire quant à la communication des données détenues.

En conséquence, la fourniture d’une première copie des données détenues doit être gratuite quel que soit l’objectif dans lequel est fait cette demande de copie.

 

Question 2/ La demande de remboursement des frais de copie peut-elle s’analyser comme une limitation posée par le responsable de traitement (ici, le dentiste) comme une mesure nécessaire et proportionnée qui respecte les libertés et les droits fondamentaux ; à savoir, cette limitation serait «nécessaire et proportionnée en vue de protéger les intérêts légitimes des praticiens, qui permettrait, en règle générale, de prévenir des demandes de copie sans motif de la part des patients concernés » ?

Réponse 2/ Tout d’abord, la Cour rappelle que les Législations nationales antérieures au RGPD doivent s’y conformer. Puis, la CJUE souligne que « la protection des intérêts économiques des praticiens ne sauraient justifier une mesure conduisant à la remise en cause du droit d’obtenir, à titre gratuit, une première copie et, ce faisant, de l’effet utile du droit d’accès de la personne concernées à ses données  à caractère personnel faisant l’objet d’une traitement », d’autant que sont définies les circonstances engendrant les paiement des frais de copie.

En conséquence, les frais d’une première copie de données médicales ne peuvent pas être mis à la charge du patient afin de protéger les intérêts économiques des praticiens au risque de contrevenir au droit d’accès aux données dans les conditions du RGPD.

 

Question 3/ Satisfait on à la demande de communication en fournissant un extrait des données détenues ou faut il fournir « sous une forme brute (…) l’ensemble des documents médicaux concernant le patient pour autant qu’ils contiennent de telles données » ?

Réponse 3/ La CJUE met en avant le droit d’obtenir une reproduction fidèle des données conservées. Comme la CJUE l’a déjà statué, la copie fournie doit détenir toutes les données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement. La copie de ces données doit être intégrale, fidèle et intelligible. Or, les données de santé sont des données dites sensibles au regard du RGPD, dont la fourniture de résumés, compilations ou extraits serait de nature à péjorer leur compréhension et leur justesse.

Aussi, en matière de santé, le droit d’obtenir une copie des données à caractère personnel doit s’entendre comme « celui d’obtenir la copie intégrale des documents figurant dans son dossier médical »

   Alors, que retenir de cet arrêt du 26 octobre 2023 (affaire C‑307/22) ?

  • La première copie de données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement doit être fournie gratuitement par le responsable de traitement à la personne concernée par ces données.
  • La Législation nationale doit se mettre en conformité avec le RGPD sur ce point et protéger les intérêts économiques du responsable de traitement face au droit d’accès à ses données par la personne concernée.
  • « Dans le cadre d’une relation médecin/patient, le droit d’obtenir une copie des données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement implique qu’il soit remis à la personne concernée une reproduction fidèle et intelligible de l’ensemble de ces données. Ce droit suppose celui d’obtenir la copie intégrale des documents figurant dans son dossier médical qui contiennent, entre autres, lesdites données, si la fourniture d’une telle copie est nécessaire pour permettre à la personne concernée d’en vérifier l’exactitude et l’exhaustivité ainsi que pour garantir leur intelligibilité. S’agissant de données relatives à la santé de la personne concernée, ce droit inclut en tout état de cause celui d’obtenir une copie des données de son dossier médical contenant des informations telles que des diagnostics, des résultats d’examens, des avis de médecins traitants et tout traitement ou intervention administrés à celle‑ci. »

 

   Quelles conséquences pour la France?

Suite à l’arrêt de la CJUE , ces règles de facturation ne sauraient être appliquées pour une première demande de dossier médical.

Il convient donc aux professionnels et établissements de santé, d’être vigilants et attentifs sur le suivi des demandes de communication et de revoir leurs modalités de facturation.

A ce jour, usuellement la copie du dossier médical est payante.

Les frais lié à cet accès payant sont déterminés

  • soit par l’établissement d’un devis préalable sur la base de montants fixés par le responsable de traitement,
  • soit par l’arrêté du 1er octobre 2001 relatif aux conditions de fixation et de détermination du montant des frais de copie d'un document administratif dans les conditions posées par l’article R.311-11 du CRPA.

L’arreté du 5 mars 2004 portant homologation des recommandations de bonnes pratiques relatives à l'accès aux informations concernant la santé d'une personne, et notamment l'accompagnement de cet accès, toujours en vigueur à ce jour, prévoit d’« informer la personne des coûts liés à la reproduction et à l'envoi des documents, du fait de la nature et du volume du dossier. En cas de nécessité, un second courrier est adressé dans les meilleurs délais, présentant une estimation du coût prévisionnel de la reproduction, si le premier courrier ne l'a pas précisé ; proposer une consultation du dossier sur place, notamment quand le coût de reproduction est important »

Cela doit être modifié...

CJUE 26 octobre 2023, C‑307/22