Par un jugement du 15 octobre 2019, le Conseil de prud’hommes de Nantes a condamné la société GENERALI à verser à une ancienne salariée la somme de 161 000 € en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination salariale dont elle avait fait l’objet durant sa carrière.

 

En effet, la salariée démontrait avoir été moins rémunérée que ses collègues masculins occupant des postes similaires.

 

Réflexions sur la méthodologie utilisée par le Conseil de prud’hommes en quatre points.

 

1. Trouver un point de comparaison

 

Le principe de non-discrimination salariale entre les femmes et les hommes est très simple : à travail égal, rémunération égale (article L. 3221-2 du Code du travail).

 

Cependant, il peut s’avérer bien plus compliqué dans sa mise en application.

 

La première étape est de trouver un point de comparaison.

 

Concrètement, il s’agissait pour la salariée d’avoir accès aux bulletins de salaire d’un homme ayant une ancienneté similaire au sein de la société, occupant le même poste et ayant la même qualification.

 

Or, la seule personne en possession de ces informations est précisément la société, laquelle ne transmet bien évidemment pas ces informations sans qu’on l’y contraigne.

 

Dans le cas d’espèce, la salariée avait alors, avant d’introduire une procédure au fond aux prud’hommes, recouru à une procédure en référé. Dans ce cadre, elle avait demandé à ce qu’il soit ordonné à la société de produire la classification et la rémunération de salariés hommes ayant une ancienneté et des postes comparables (article 145 du Code de procédure civile).

 

Dans une décision de 2012 publiée au Bulletin, la Cour de cassation a rappelé qu’il suffisait pour le salarié ou la salariée de justifier d’un motif légitime pour qu’il soit fait droit à sa demande de communication de documents qui sont uniquement en la possession de l’employeur (Cour de cassation, 19 décembre 2012, n° 10-20526).

 

Dans le cas d’espèce, la société GENERALI, bien consciente du caractère capital de la bataille sur la communication de ces informations, est allée jusqu’à former un pourvoi en cassation pour ne pas transmettre lesdits documents.

 

La société GENERALI a alors perdu son pourvoi et a été contrainte de communiquer les informations que la cour d’appel de Rennes lui avait ordonné de produire, à savoir une liste de dix hommes identifiés, entrés en poste à partir de 1978 et positionnés sur la même classification que la salariée en cause, ainsi que leurs grilles de rémunération et de classification.

 

La société GENERALI a prétendu ne trouver que deux hommes répondant à ces critères, entrés en poste en 2006.

 

Or, la salariée avait, par ailleurs (il n’est pas précisé comment), eu accès aux bulletins de salaire de deux salariés hommes entrés en poste à la même date qu’elle (1978) et positionnés sur la même classification.

 

Ces deux salariés hommes n’étaient pas ceux opportunément « trouvés » par GENERALI.

 

Le Conseil des prud’hommes retient finalement comme point de comparaison les salariés hommes dont la demanderesse avait obtenu les bulletins de salaire.

 

Conclusion : mieux vaut avoir sous le coude les bulletins de salaire de collègues masculins occupant un poste similaire que compter sur la société employeur pour transmettre de manière transparente les informations, même quand une décision de justice l’y contraint.

 

Le point de comparaison est donc finalement trouvé : la société GENERALI n’en proposant pas d’autre, il s’agira de Monsieur X, un collègue de la salariée demanderesse, dont cette dernière a elle-même produit le bulletin de salaire, embauché quasiment à la même date et occupant le même poste et la même classification.

 

2. Comparer et attendre

 

Il est donc démontré que Monsieur X, embauché en 1979, occupant un poste de technicien d’opérations d’assurance, classe 4, a une rémunération brute de 2 770,45 €.

 

Madame Y, la demanderesse, a été embauchée en 1978, occupait un poste de technicien d’opérations d’assurance, classe 4, et avait en 2015 une rémunération de 2 384,12 €.

 

Il existe donc une différence objective de salaire, et ainsi un élément matériel qui laisse supposer l’existence d’une discrimination au sens de l’article L. 1134-1 du Code du travail.

 

A ce stade, l’employeur peut encore s’en sortir en démontrant l’existence d’éléments objectifs justifiant la différence de traitement.

 

Le Conseil de prud’hommes juge que les arguments avancés par GENERALI pour justifier de l’existence d’un traitement différent sont inexistants.

 

Au préalable, le Conseil de prud’hommes a rappelé qu’à chacune des évaluations annuelles de Madame Y depuis 2005, la société avait été extrêmement satisfaite de son travail de celle-ci.

 

Une chance pour cette dernière puisque, dans ce cas, l’employeur n’a pu se retrancher derrière le moindre petit défaut de la salariée pour justifier une différence de traitement.

Conclusion : si vous souhaitez faire reconnaître une discrimination entre une femme et un homme, mieux vaut être irréprochable.

 

La discrimination étant maintenant établie, il faut calculer le préjudice subi par la salariée.

 

3. Calculer le montant du préjudice

 

Une précision préalable : dans le cas d’espèce, la salariée a demandé des dommages et intérêts pour discrimination et non des rappels de salaire.

 

En premier lieu, le Conseil de prud’hommes nous apporte une précision très importante : les demandes de la salariée peuvent remonter à la date de son recrutement, en 1978.

 

En effet, la prescription n’a pas commencé à courir puisqu’à ce moment-là, la salariée n’avait pas en sa possession les éléments lui permettant de savoir qu’elle était victime d’une discrimination.

 

Or, le Code du travail comme le Code civil prévoient que la prescription ne court qu’à compter du jour où la personne qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit (article L. 1471-1 du Code du travail, article 2224 du Code civil).

 

Ensuite, le Conseil de prud’hommes applique une méthode dite « Clerc » ou du « triangle » pour calculer le montant du préjudice de la salariée.

Dans un premier temps, il calcule le montant de la différence de salaire entre Madame Y et Monsieur X. Cette différence est de 416,05 € mensuels.

 

Le Conseil multiplie ensuite cette différence par le nombre de mois durant lesquels la salarié a été discriminée, qui correspond en l’occurrence à son ancienneté dans l’entreprise, à savoir 493 mois, puis divise cette somme par deux.

 

La division de la somme par deux est justifiée par un principe de réalité qui veut que les salaires des deux protagonistes (Madame X et Monsieur Y) ne sont pas figés dans le temps. La différence entre leurs deux salaires a donc varié. La division par deux prend en compte cette variation et indemnise la différence de progression du salaire de Madame X par rapport à celui de Monsieur Y pendant la durée d’exposition à la discrimination.

 

Pour plus de précisions sur la méthode établie par François CLERC, voir « Affaire Chibanis : évaluation du préjudice résultant de la discrimination » (Dalloz actualité, février 2018).

 

Le Conseil de prud’hommes fixe donc le préjudice relatif à la perte de salaire à plus de 100 000 € et ajoute 48 % au titre du préjudice de retraite.

En effet, la perte de salaire entraîne un préjudice de retraite puisque les cotisations versées à la caisse sont moindres que ce qu’elles auraient dû être.

 

Le préjudice est ainsi fixé à 151 000 €, auxquels sont ensuite ajoutés 10 000 € de préjudice moral et de non-respect de l’accord d’entreprise relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

 

4. Continuer le combat

 

Même si le jugement représente en soi une victoire, on peut relever un bémol.

 

En effet, il ressort du jugement que Madame X avait également demandé que son salaire soit comparé avec celui d’un autre collègue, Monsieur Z, entré dans l’entreprise en 1981 et exerçant une fonction identique à la sienne mais positionné sur une qualification plus élevée : alors que Madame X était « classe 4 », Monsieur Z, qui, lui, percevait un salaire de plus de 2 900 €, était « classe 5 ».

Ainsi, d’une part, le Conseil de prud’hommes ne retient pas Monsieur Z comme point de comparaison puisque, n’ayant pas la même classification, il n’est pas dans une situation identique à Madame X.

 

D’autre part, le Conseil de prud’hommes refuse la demande de Madame X de bénéficier de la « classe 5 » dans la mesure ou elle ne démontre pas que cela résulte d’une attitude discriminatoire de la part de son employeur.

 

Cela traduit une difficulté bien réelle : il reste très compliqué d’apporter la preuve d’une discrimination non pas uniquement salariale mais également dans l’évolution de carrière.

 

Or, c’est précisément la différence dans l’évolution de carrière qui reste une des sources les plus patentes des différences de salaire entre les femmes et les hommes.