Dans un arrêt du 19 mars 2025 (n° 23-19.154), la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la recevabilité de témoignages anonymisés dans le cadre d’un contentieux prud’homal.
Elle rappelle que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur de tels témoignages, leur prise en compte reste possible dès lors qu’ils sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence.
En l’absence de tels éléments, la Haute juridiction censure la décision de la cour d’appel qui avait refusé d’attribuer une valeur probante à des témoignages anonymisés recueillis par huissier, sans examiner leur nécessité à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte au procès équitable était strictement proportionnée au but poursuivi.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence récente qui cherche à concilier le droit à la preuve avec les principes fondamentaux du procès civil.
Analyse.
L’arrêt prolonge une tendance jurisprudentielle amorcée par la Cour de cassation et inspirée du droit européen illustrant la volonté de concilier le droit à la preuve et les garanties procédurales du procès équitable. En effet, l’arrêt fondateur du 4 juillet 2018 (n° 17-18.241) pose le principe selon lequel un juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, en s’inspirant de la jurisprudence de la CEDH [1].
Cependant, face aux critiques doctrinales et à l’évolution de la jurisprudence, la Cour de cassation a assoupli cette position avec les arrêts du 19 avril 2023 (n° 21-20.308 et n° 21-20.310), qui admettent l’utilisation de témoignages anonymisés, sous réserve qu’ils soient corroborés par d’autres éléments de preuve.
Dans cette affaire, la cour rappelle ainsi que si le principe de la liberté de la preuve prévaut en matière prud’homale, il n’exonère pas pour autant du respect des règles légales et jurisprudentielles relatives à l’admissibilité des éléments de preuve. L’article 9 du Code de procédure civile impose en effet que la preuve soit rapportée « conformément à la loi », et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille à ce que le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, inclut la possibilité pour les parties de présenter leurs preuves.
La question posée par l’arrêt du 19 mars 2025 porte sur la recevabilité des témoignages anonymisés, c’est-à-dire des témoignages dont l’identité des auteurs a été masquée par l’huissier pour des raisons de protection, mais dont l’employeur connaît l’identité et tient l’original à disposition des juges. Il convient de distinguer les témoignages anonymisés des témoignages véritablement anonymes, qui sont en principe exclus en raison de leur moindre crédibilité et de leur impact sur les droits de la défense.
Cet arrêt consacre ainsi l’admissibilité des témoignages anonymisés dès lors qu’ils sont accompagnés d’éléments concordants permettant d’en apprécier la crédibilité. Il réaffirme ainsi la nécessité de concilier droit à la preuve et respect des garanties procédurales fondamentales, cette approche visant à garantir un juste équilibre entre le droit à la preuve et les droits de la défense, tout en protégeant les témoins contre d’éventuelles représailles. Cet équilibre est essentiel dans un contexte où les témoignages peuvent être cruciaux pour établir certains faits, notamment en matière de harcèlement ou de discriminations au travail. De ce fait, le contrôle opéré par les juges du fond revêt une importance particulière car ils conservent leur pouvoir souverain d’appréciation quant à la valeur probante des éléments de preuve produits.
En définitive, la Cour de cassation confirme ici une solution pragmatique, à la croisée des impératifs de protection des salariés et des exigences du procès équitable.
L’impact de cette décision sur les contentieux en droit du travail sera donc à surveiller, notamment en ce qui concerne l’appréciation par les juges du fond de la nécessité et de la proportionnalité de l’anonymisation des témoignages.
Une tendance vers une flexibilité accrue pourrait se dessiner, à condition que les juges du fond adoptent une approche rigoureuse dans l’examen des éléments de preuve.
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Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
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