Une décision ferme sur la licéité des clauses limitant le droit au recours
Dans un arrêt du 22 janvier 2025 (n° 23-11.033), la chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé l'illicité d'une clause insérée dans un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui subordonnait le versement des indemnities de rupture à l'absence de tout recours judiciaire, qu'il soit engagé par les salariés ou par les instances représentatives du personnel. Ce faisant, la Haute juridiction rappelle que le droit au juge est un principe d'ordre public, à valeur constitutionnelle et conventionnelle, qui ne saurait être limité ou conditionné, même dans un cadre collectif.
Cette jurisprudence, bien qu'émanant d'une affaire initiée sous l'empire du droit antérieur à la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013, conserve toute son actualité au regard de la protection constante du droit d'accès à la justice.
Une clause limitant le recours, insérée dans le PSE de la société Rexel France
Dans cette affaire, la société Rexel France avait prévu, dans le cadre d'un licenciement collectif pour motif économique, une clause dans le PSE conditionnant le versement des indemnités au respect par les salariés et leurs représentants d'une obligation de non-recours. Plus précisément, était exigée l'absence :
- de contentieux collectif engagé par les institutions représentatives du personnel sur la procédure ou les mesures de reclassement ;
- de contestation individuelle portant sur le motif économique du licenciement.
Malgré cette stipulation, plusieurs salariés ont saisi le conseil de prud'hommes. L'employeur a soutenu que cette clause, bien qu'insérée dans le PSE, n'avait pas été mise en oeuvre, aucun salarié n'ayant été privé de ses indemnités. Il contestait donc toute existence de préjudice.
L'encadrement juridique du droit d'agir en justice
Le droit au juge, un droit fondamental
Le droit pour toute personne d'accéder à un tribunal pour faire valoir ses droits est reconnu comme fondamental. Il est protégé par :
- l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
- l'article L. 1121-1 du Code du travail, interdisant les restrictions non justifiées et disproportionnées aux droits des salariés ;
- la jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui interdit toute renonciation anticipée aux règles protectrices du droit du travail (art. L. 1231-4 du Code du travail).
Une clause qui conditionne un droit (ici, une indemnisation prévue par un PSE) à la non-contestation d'une procédure ou d'un motif de licenciement est, par nature, de nature à dissuader le recours. Elle est donc nulle.
Les apports de la jurisprudence sociale
La Cour de cassation avait déjà sanctionné des pratiques similaires :
- en 2006, elle avait annulé une clause subordonnant l'indemnité de PSE à la signature d'une transaction (Cass. soc., 14 juin 2006, n° 04-48.157) ;
- en 2007, elle avait censuré la substitution d'une mesure de reclassement par une indemnité conditionnée à une renonciation à tout recours (Cass. soc., 20 nov. 2007, n° 06-41.410).
L'arrêt de 2025 s'inscrit dans la même logique : garantir aux salariés un accès effectif au juge, sans contrepartie ni intimidation.
Un préjudice moral reconnu et indemnisé
Une pression injustifiée, même sans exécution de la clause
Ce qui est remarquable dans cette affaire, c'est que la clause n'avait pas été appliquée. Les salariés ont bénéficié des indemnités du PSE et ont pu saisir le juge. Pourtant, la Cour d'appel a estimé que la simple existence de la clause constituait une forme de pression psychologique suffisante pour caractériser un préjudice.
Cette approche est approuvée par la Cour de cassation, qui reconnaît le pouvoir souverain des juges du fond dans l'appréciation d'un dommage moral immatériel.
Une indemnité de 2 500 euros confirmée par la Cour de cassation
La Cour valide le montant alloué par la juridiction du fond : 2 500 euros à chacun des salariés concernés. Cela consacre le principe selon lequel une clause portant atteinte à une liberté fondamentale peut générer un préjudice réparable, même si elle n'a jamais été mise en application.
Un principe clair pour la pratique des relations sociales
Cet arrêt rappelle avec clarté que les employeurs doivent proscrire toute clause à visée dissuasive dans les accords collectifs, et notamment les PSE. Le droit d'agir en justice, en ce qu'il permet de faire valoir l'ensemble des droits reconnus par le droit du travail, ne peut être restreint, même indirectement.
La négociation collective, même lorsqu'elle vise à garantir la paix sociale, ne peut se faire au prix d'une atteinte aux droits fondamentaux des salariés. Les directions juridiques doivent en tenir compte, tant dans la rédaction des accords que dans leur mise en œuvre. Une clause illicite, même symbolique, peut être source de contentieux et de condamnations pécuniaires.
LE BOUARD AVOCATS
4 place Hoche,
78000, Versailles
https://www.lebouard-avocats.fr/
Pas de contribution, soyez le premier