Par un arrêt du 6 janvier 2023 (n° 449405), le Conseil d’Etat a précisé les obligations de la juridiction administrative qui, dans le litige à trancher par elle, envisage de relever d’office un moyen dans le cadre de l’article R. 611-7 du code de justice administrative.

L’affaire concernait les suites du licenciement pour insuffisance professionnelle, par une décision du président d’une communauté de communes du 27 janvier 2014, de l’agent non titulaire qui avait été recruté comme responsable de la gestion des ordures ménagères.

Cette décision avait été annulée par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 6 octobre 2015, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 4 avril 2017.

La communauté de communes avait alors procédé à la réintégration juridique de l’agent illégalement licencié, mais sans le réintégrer effectivement dans son ancien emploi, celui-ci ayant été pourvu par un agent titulaire.

Par un jugement du 17 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble avait annulé la décision du 11 janvier 2016 par laquelle l’agent non titulaire avait été à nouveau licencié.

Sur appel de la communauté de communes, la cour administrative d'appel de Lyon avait annulé ce jugement et rejeté la requête de l’agent contre la décision du 11 janvier 2016, par un arrêt n° 18LY02117 du 17 décembre 2020.

Par courrier du 23 novembre 2020, elle avait au préalable informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qu’elle était  susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité du moyen tiré de l'illégalité, soulevée par la voie de l'exception, de la décision du 27 août 2015 nommant un agent titulaire aux fonctions précédemment occupées par l’ancien agent contractuel requérant, cette décision étant devenue définitive à la date à laquelle ce moyen avait été soulevé.

S’en était suivie la production, vraisemblablement relative à ce moyen, les 24 et 26 novembre 2020, respectivement par la communauté de communes appelante et par l’agent intimé, de mémoires, qui, selon les indications de l’arrêt du 17 décembre 2020, n’ont pas été communiqués aux parties concernées.

L’agent licencié s’est pourvu en cassation contre l’arrêt n° 18LY02117 du 17 décembre 2020 de la cour administrative d'appel de Lyon devant le Conseil d’Etat, qui, par son arrêt du 6 janvier 2023, vient de l’annuler, pour vice de procédure, et de lui renvoyer l’affaire.

On sait que, suivant l’article R. 611-7 du code de justice administrative, « lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué. »

Dans ce cadre, il avait déjà été jugé que, « lorsque, postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge informe les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative cité ci-dessus, que sa décision est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, cette information n'a pas par elle-même pour effet de rouvrir l'instruction. La communication par le juge, à l'ensemble des parties, des observations reçues sur ce moyen relevé d'office n'a pas non plus par elle-même pour effet de rouvrir l'instruction, y compris dans le cas où, par l'argumentation qu'elle développe, une partie doit être regardée comme ayant expressément repris le moyen énoncé par le juge et soulevé ainsi un nouveau moyen. La réception d'observations sur un moyen relevé d'office n'impose en effet au juge de rouvrir l'instruction, conformément à la règle applicable à tout mémoire reçu postérieurement à la clôture de l'instruction, que si ces observations contiennent l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction » (CE Sect. 25 janvier 2021, n° 425539 ; cf. CE 10 octobre 2022, n° 455573).

L’arrêt du 6 janvier 2023 précise que « le juge administratif est tenu de communiquer aux autres parties, même après la clôture de l'instruction, les observations présentées sur un moyen qu'il envisage de relever d'office, à la suite de l'information effectuée conformément aux dispositions de cet article ».

Par suite, le Conseil d’Etat a jugé qu’en « omettant de se conformer à cette obligation, alors qu'elle avait informé les parties de ce qu'elle était susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité du moyen tiré de l'illégalité, soulevée par la voie de l'exception, de la décision du 27 août 2015 nommant Mme A... aux fonctions précédemment occupées par M. C..., et en ne communiquant pas par suite à M. C... les observations présentées par la commune en réponse à ce moyen, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'irrégularité. Il en résulte, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, que M. C... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ».

Le juge administratif doit ainsi veiller au respect du contradictoire, par la communication aux parties des observations adverses sur le moyen qu’il envisage de relever d’office et leur a communiqué en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative (cf. CE 28 mars 2018, n° 410552 : « le motif d'irrecevabilité de la demande de première instance de Me C...sur lequel s'est fondée la cour administrative d'appel appelait un débat contradictoire portant sur d'autres éléments que ceux relatifs à la fin de non-recevoir pour tardiveté soulevée par M. B...; que ce motif ne pouvait, par suite, être régulièrement soulevé d'office par la cour qu'après qu'ont été respectées les dispositions citées ci-dessus de l'article R. 611-7 du code de justice administrative »).

Est ainsi assuré le respect de l’article L. 5 du code de justice administrative (« L'instruction des affaires est contradictoire ») et des exigences de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pour autant que celui-ci soit applicable, notamment dans son volet civil, au litige à trancher par le juge administratif, dès lors que « la notion de procès équitable implique aussi en principe le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge, (…), en vue d’influencer sa décision, et de la discuter » (CEDH, Grande Chambre, 7 juin 2001, Kress c. France, n° 39594/98, paragraphe 74 ; cf. CEDH 13 octobre 2005, Clinique des Acacias et autres c. France, n° 65399/01 et autres, paragraphes 37 et suivants, et 5 septembre 2013, Čepek c. République tchèque, n° 9815/10, paragraphes 44 et 45).