Ma lettre ouverte dans la Gazette du Palais du 19 octobre 2021, n° GPL427t7, p. 3
Le 14 octobre 2021
Monsieur le Ministre,
Mon cher ancien confrère,
Je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps.
Je viens de recevoir mon invitation pour partir aux états généraux de la Justice avant lundi matin.
Monsieur le Ministre, je ne veux pas les faire. Ce n’est pas pour vous fâcher, il faut que je vous dise, ma décision est prise, je m’en vais les déserter.
J’ai, avec une joie non dissimulée, écouté vos interventions nous informant des résultats de vos réformes et de ce budget historique de votre ministère.
Je vous ai ainsi entendu devant la Commission des Lois, lorsque vous avez proclamé « je peux vous le dire sans baisser les yeux, la Justice a désormais les moyens de travailler. »
Bien sûr, on nous en a déjà dit des choses les yeux dans les yeux.
Mais vous êtes un ancien confrère, un habitué du terrain et vous nous parlez presque sous la foi du Palais.
Ainsi en moins de 5 ans, la Justice est passée en 2016 de la clochardisation à la performance.
Bien sûr, cette hausse budgétaire est principalement absorbée par le programme de construction et la pénitentiaire.
Bien sûr, le taux de gestion des vacances à pourvoir n’est pas le chiffre des besoins réels des juridictions pour assurer leurs missions, avec qualité et célérité.
Bien sûr, il y a 13 magistrats pour 100000 habitants en France.
Bien sûr il y a 9000 magistrats en 2021 quand nous en avions 9500 en 1830.
Bien sûr, l’augmentation des effectifs se fait essentiellement par des « sucres rapides », ces contractuels à durée déterminée, qui ne sont ni magistrats, ni greffiers.
Bien sûr, le parc informatique judiciaire est plus proche du minitel que de la Start up nation.
Bien sûr, il pleut dans nos palais.
Mais ne braillons pas sur des détails.
Et puis au-delà du budget, vos réformes sont également venues améliorer la Loi et le fonctionnement de la Justice. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la Justice et le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire en cours de débat ont tout simplifié.
Hormis quelques braillards, pour reprendre votre expression, - à savoir les magistrats, les greffiers, les personnels judiciaires et les avocats, ainsi que le Conseil constitutionnel et les justiciables - bref une minorité, on se réjouit de la multiplicité de réformes de qualité tant rédactionnelle que de fond.
Mais, puisque vous êtes un perfectionniste, vous avez mis en place des états généraux de la Justice quand bien même bien même les moyens sont là, les effectifs au complet, les textes simplifiés et la confiance restaurée.
J’ai appris les dates et les modalités de cette opération par la presse.
Depuis que je suis avocate, j’ai vu augmenter les stocks, j’ai vu s’aggraver les délais, et s’épuiser les acteurs judiciaires.
Monsieur le Ministre, s’il faut donner son temps, oserai-je vous dire, comme le poète, allez donner le vôtre. Vous êtes bon apôtre.
Respectueusement
Votre anciennement bien dévouée
S CHALLAN BELVAL
AVOCAT AU BARREAU DE ROUEN
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