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La loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi « Macron » a modifié l’article L.480-13 du code de l’urbanisme régissant l’action en démolition d’un ouvrage édifié conformément à un permis de construire annulé par le juge administratif, pour y ajouter une condition tenant au secteur dans lequel se trouver le bien édifié. Ce mécanisme dérogatoire du droit commun de la responsabilité civile permet à des tiers lésés par la construction d’un édifice de saisir le juge judiciaire afin d’en obtenir la démolition.
L’article L.480-13 du code de l’urbanisme dans sa version actuelle dispose que :
« Lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire : 1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et si la construction est située dans l'une des zones suivantes… »
Ainsi, la démolition d’une construction illégale dont le permis de construire a été annulé par la juridiction administrative, ne peut être prononcée qu’à plusieurs conditions cumulatives :
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Le permis doit avoir méconnu une règle d’urbanisme ou une servitude d’utilité publique. (Le préjudice doit résulter directement de la violation de l’intérêt qu’entend protéger la règle d’urbanisme ou la servitude d’utilité publique /!\).
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Le permis doit avoir été préalablement annulé par le juge administratif par une décision devenue définitive. Une action en amont est donc nécessaire.
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La démolition ne pourra être prononcée que si la construction litigieuse se situe sur l’une des 14 zones protégées limitativement énumérées par cet article. (Exemple : bande littorale des 100 mètres, les réserves naturelles…). Il s’agit de zones présentant un enjeu pour le patrimoine architectural et/ou environnemental ;
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L'action en démolition doit être engagée dans le délai de deux ans qui suit la décision devenue définitive de la juridiction administrative.
C’est la 3e condition relative au champ d’application de l’action en démolition, que la loi du 6 août 2015 a ajoutée. Jusqu’alors, l’action en démolition pouvait être actionnée à l’encontre de constructions illégales sans condition de localisation. Désormais, cette action n’est recevable qu’à condition que la construction litigieuse se situe sur une zone protégée.
En pratique, la démolition se trouve dorénavant exclue pour l’ensemble des constructions situées en zone urbaine (zones « U ») des PLU/POS.
Ce nouveau dispositif restreint considérablement la possibilité pour le juge judiciaire de prononcer la démolition de constructions illégales, ainsi que la possibilité pour le requérant, généralement voisin ayant obtenu l’annulation du permis devant la juridiction administrative, de la solliciter. Le législateur entend donc réserver le prononcé d’une démolition aux seuls cas où il estime qu’elle s’avère indispensable. Autrement dit, l’obligation de démolir un édifice érigé en exécution d’un permis de construire annulé par le juge administratif, donc illégal, devient une exception.
Les dispositions de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, dans leur rédaction ainsi modifiée dans un sens restrictif, ont été l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité dans le cadre d’un procès pour faire juger leur caractère inconstitutionnel.
A l’occasion d’un litige, deux associations de protection de l’environnement ont obtenu l’annulation d’un permis de construire d’une construction à usage d’habitation par une décision du juge administratif. Ces dernières ont ensuite saisi le juge judiciaire afin d’en obtenir la démolition sur le fondement de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme.
La constitutionnalité de cette condition géographique a donc été posée et a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel (3e civ, 12 septembre 2017, n°17-40.046). Les Sages de la rue de Montpensier ont dû répondre aux interrogations suivantes : les dispositions de l’article L. 480-13 1° du code de l’urbanisme, dans leur version issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 portent-elles atteinte au droit à réparation des victimes d’actes fautifs, à leur droit à un recours juridictionnel effectif (en ce que cette condition nouvelle empêcherait l’exécution d’une décision juridictionnelle d’annulation du permis de construire) au droit à réparation mentionné à l’article 4 de la Charte de l’environnement ?
Dans sa décision QPC n°2017-672 du 10 novembre 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré ce dispositif conforme à la Constitution.
→ Sur le droit à réparation : le Conseil constitutionnel a jugé qu’il ressort de sa jurisprudence que le principe de réparation intégrale n’a pas de valeur constitutionnelle. En outre, le législateur peut aménager des exonérations au principe de responsabilité au nom d’un objectif d’intérêt général suffisant. Dans sa décision, le Conseil estime que cet objectif est caractérisé en ce que le législateur entend « réduire l’incertitude juridique qui pèse sur les projets de construction et prévenir les recours abusifs susceptibles de décourager les investissements ». En d’autres termes, le conseil constitutionnel a considéré que les impératifs économiques de sécurisation des projets immobiliers l’emportent sur ceux liés aux droits des tiers et de l’environnement.
De plus, le Conseil constitutionnel a rappelé, pour justifier encore sa décision, qu’il existe d’autres moyens d’action afin d’obtenir réparation en nature ou sous forme indemnitaire :
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Sur le fondement de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme, l’obtention de la démolition de la construction édifiée conformément à un permis de construire reste possible pour celles situées dans l’une des 14 zones protégées.
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La démolition peut être obtenue sur le fondement de la responsabilité civile lorsque la construction a été édifiée sans permis de construire, en méconnaissance d’un permis de construire, conformément à un permis de construire méconnaissant toutefois une règle de droit privé (servitude de vue, de passage…),
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Une indemnisation peut être obtenue à l’occasion d’une action en responsabilité du constructeur devant le juge judiciaire.
Le constructeur ne pourra être condamné à verser des dommages et intérêts qu’à condition que le permis de construire ait été annulé ou que son illégalité ait été constatée par une décision (en amont) de la juridiction administrative (Cf article L.480-13 2° du code de l’urbanisme) et que l'action en responsabilité civile ait être engagée au plus tard deux ans après l'achèvement des travaux.
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Une indemnisation peut être obtenue devant le juge administratif sur le fondement de l’action en responsabilité de la personne publique ayant délivré le permis de construire irrégulier (Conseil d’Etat, 9 novembre 2015 n°380299).
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On ajoutera la possibilité d’obtenir, devant le juge judiciaire, certes très rarement, la démolition ou une indemnisation dans l’hypothèse où la construction, d’ailleurs même édifiée conformément à un permis de construire, est à l’origine d’un trouble anormal de voisinage.
Enfin, le Conseil constitutionnel a justifié sa décision en expliquant que l’existence des zones protégées, dans lesquelles demeure encore une possibilité de démolir les constructions illégales, résulte de la bienveillance du législateur qui a «veillé à ce que l’action en démolition demeure possible dans les zones présentant une importance particulière pour la protection de l’environnement». Autrement dit, les détracteurs du dispositif et autres défenseurs de l’environnement devraient déjà s’estimer satisfaits de l’existence de telles zones protégées.
→ Sur le droit à un recours juridictionnel effectif : le Conseil constitutionnel a estimé qu’aucune atteinte au droit d’obtenir l’exécution d’une décision de justice n’est portée par la limitation de l’action en démolition. En effet, il explique que la décision d’annulation d’un permis de construire a pour seul effet juridique de « faire disparaitre rétroactivement cette autorisation administrative » et que « la démolition de la construction édifiée sur le fondement du permis annulé, qui constitue une mesure distincte, relevant d’une action spécifique devant le juge judiciaire, ne découle pas nécessairement d’une telle annulation ». Autrement dit, même si le juge administratif prononce l’annulation du permis de construire pour excès de pouvoir, la sanction de démolition n’est pas la conséquence nécessaire de l’annulation du permis ; il peut aussi s’agir d’une réparation en nature, c’est-à-dire indemnitaire.
En conclusion, il faut notamment retenir que :
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La démolition des constructions illégales situées en dehors des zones protégées ne pourra plus être prononcée sur le fondement de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme,
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L’action devant le juge judiciaire, sur le fondement de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, demeurera possible à des fins indemnitaires,
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Lorsqu’elle sera possible, la procédure pour obtenir la démolition sur le fondement de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, devra être menée par le biais de deux actions distinctes, devant deux ordres de juridictions différents : dans un premier temps, devant le juge administratif (afin d’obtenir l’annulation du permis de construire) puis dans un second temps, devant le juge judiciaire (lors de l’action en démolition).
Clairement, le risque est donc celui, pour un voisin auteur d’un recours contre un permis de construire, d’être placé dans une situation de fait accompli, surtout en zone Urbaine : un constructeur ou promoteur pourra être tenté, en dépit de l’existence d’un recours contre le permis de construire et du risque de son annulation, d’accélérer ou en tout cas de mener à terme son projet afin qu’une fois la construction réalisée et le permis de construire annulé, il n’encoure plus la démolition.
Par conséquent, surtout lorsque l’action en démolition ne sera plus possible, l’accent devra impérativement être mis sur le volet préventif, en engageant lorsque ses conditions de mise en œuvre paraîtront satisfaites, un référé-suspension devant le président du Tribunal administratif.
Ce référé aboutit dans un délai d’un mois environ, s’il est couronné de succès, à suspendre l’exécution du permis de construire, empêchant ainsi la réalisation de la construction, étant entendu que la poursuite ou le démarrage de la construction en dépit d’une ordonnance de suspension constitue un délit pénal. Cette procédure permet d’agir préventivement en demandant au juge administratif d’adopter des mesures provisoires dans l’attente du procès qui règlera le litige. Pour ce faire, plusieurs conditions cumulatives doivent être remplies (Article L.521-1 du code de la justice administrative) :
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Un recours au fond contre le permis de construire doit être formé,
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La situation doit être urgente, l’urgence étant toutefois présumée dans le cas des référés-suspension à l’encontre des permis de construire (Conseil d’Etat, 27 juillet 2001 « Commune de Tulle » n°230231),
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Un doute sérieux quant à la légalité du permis de construite doit être établi.
C'est règles sont-elles identiques pour une déclaration de travaux, alors qu'ils peuvent être réalisés à la hâte dans le délai d'un mois du référé suspension, et qu'en outre les conséquences financières d'une démolition sont sans commune mesure avec celle d'un immeuble ?
Qu'en est-il si la déclaration de travaux est obtenu avec des renseignements inexacts dans la demande de travaux, ou des photos anciennes ne montrant pas la réalité et les constructions voisines réellement existantes au moment de la demande ? Merci de votre aide . Cordialement.