Par un arrêt rendu le 26 septembre 2019, la Première chambre civile de la Cour de cassation a rappelé la primauté de la loi du 29 juillet 1881 dans toute instance ayant pour objet le retrait ou l'interdiction de publication de propos qui seraient diffamatoires ou injurieux, quand bien même il s'agirait d'une instance en référé introduite au visa de l'article 809 du Code de procédure civile.
Dans cette affaire, un grand groupe privé français a assigné la société France Télévisions, le rédacteur en chef d'une émission ainsi qu'un journaliste, devant la juridiction des référés selon la procédure d'heure à heure, en soutenant que la société France Télévisions s'apprêtait à diffuser un reportage consacré au harcèlement sexuel en entreprise, et dans lequel une ancienne salariée du groupe mettait en cause le Président de cette société.
Se prévalant des dispositions de la loi de 1881 sur la presse, les défendeurs ont invoqué la nullité de l'assignation, en ce que l'acte introductif d'instance n'avait pas précisément articulé, précisé et qualifié les propos prétendument diffamatoires.
Pour cause, puisque le reportage n'ayant pas encore été diffusé, il était difficile pour les demandeurs de citer expressément les passages incriminés.
On sait cependant que la loi sur la presse impose au plaideur d'indiquer très précisément quels sont les propos incriminés et de les qualifier en indiquant en quoi ils constitueraient un abus à la liberté d'expression.
Les juges du fond ont cependant cru devoir rejeter cette argumentation, et écarter les moyens de nullité, en retenant que l'assignation ayant été délivrée au visa de l'article 809 du Code de procédure civile, il ne pouvait être imposé le respect de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881.
En réalité, ce qui avait incité la Cour d'appel à juger en ce sens était la circonstance que dans cette espèce, le reportage n'avait pas encore été diffusé, et les demandeurs ne pouvaient donc précisément indiquer les propos qu'ils estimaient injurieux ou diffamatoires.
Las, la Cour de cassation censure lapidairement l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, en indiquant que dès lors que le demandeur "invoquait une atteinte à son image et à sa réputation, [...] ces faits, constitutifs de diffamation, ne pouvaient être poursuivis que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881".
Par cet arrêt, la Haute Cour confirme donc une nouvelle fois que les abus de la liberté d'expression ne peuvent être poursuivis et réprimés que sous l'angle de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, quand bien même l'instance aurait été introduite devant le juge des référés ou préalablement à toute publication.
Que le plaideur intente un procès civil ou pénal, l'article 53 de la loi de 1881, qui a envoyé par le fond nombre de procédures en diffamation, demeure incontournable et doit être appliqué. Le défendeur doit pouvoir déterminer précisément les propos qui lui sont imputés, et savoir s'il doit se défendre sur le plan de l'injure ou de la diffamation.
Si ce n'est pas la première fois que l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 est reconnu applicable à la procédure de référé, la Cour de cassation opère ici un nouveau rappel par un arrêt publié au Bulletin.
Il est entendu qu'empêcher toute publication d'un reportage, dont on sait ou présume qu'il sera diffamatoire, sans connaître précisément son contenu ou les propos qui y seront reproduits, s'avèrera particulièrement délicat.
C'est cependant l'esprit de la loi de 1881 : primauté à la liberté d'expression, ses abus n'ayant vocation à être réprimés le cas échéant qu'une fois que "le mal a été fait".
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