Le bail dérogatoire et le bail commercial conclu sur le domaine privé
Sur leur domaine privé, les collectivités concluent des contrats régis par le droit privé.
En particulier s'agissant d'immobilier commercial, la collectivité peut être amenée à conclure un bail commercial dès lors que ce statut d'ordre public est applicable sur le domaine privé.
C'est la situation de l'espèce jugée par la Cour d'appel de Riom (Cour d'appel de Riom, 22 janvier 2025, n° 24/00371), dans laquelle, la commune a conclu un bail précaire avec ses locataires portant un local commercial et un appartement, destiné à une activité de restauration et de débit de boissons avec logement de fonction.
Ce bail dérogatoire étant arrivé à son terme, les parties ont décidé de conclure un véritable bail commercial de neuf ans.
Reprochant aux locataires des activités non-autorisées par le bail, en particulier dans l'appartement (sous-location Airbnb, assistante maternelle, cours de sport), la commune a mis en demeure le locataire de cesser, en invoquant la clause résolutoire stipulée au bail.
L'action en résiliation du bail conclu par la commune et le désistement
En l'absence de réaction des locataires à sa mise en demeure, la commune va les assigner devant le Tribunal Judiciaire afin de faire constater la résiliation du bail et obtenir leur expulsion.
Pour autant, les parties vont parvenir à un accord en cours d'instance. Dans un but de clore le litige et les locataires ayant exprimé leur volonté de quitter les lieux, la commune a proposé d'indemniser les locataires en contrepartie d'une libération rapide des lieux en contrepartie de quoi, la commune abandonne la procédure.
L'indemnisation était fixée à une somme de 80 000 euros, avec à déduire les impayés à date et les dépenses à exposer par la commune le cas échéant pour répondre aux éventuelles dégradations du locataire, qui restaient à identifier dans le cadre d'un état des lieux.
Dans la foulée de la libération des lieux par les locataires, la commune écrit aux locataires pour indiquer qu'elle refuse d'exécuter leur accord, en faisant valoir que "l'état des lieux du 16 avril avait révélé des dégâts graves évalués en première estimation à 32'000 euros soit un montant très supérieur à celui du dépôt de garantie et pour leur faire part de sa volonté de faire procéder rapidement à un chiffrage des réparations par un professionnel" (Cour d'appel de Riom, 22 janvier 2025, n° 24/00371).
L'action en responsabilité contre la commune
Les locataires vont à leur tour assigner la commune pour rechercher sa responsabilité. Le juge va considérer la responsabilité de la commune engagée au motif qu'il ressort du procès-verbal d'état des lieux de sortie rédigé par huissier que la libération des lieux est une contrepartie de l'indemnisation négociée. Il juge en conséquence que le bail n'a pas été valablement résilié puisque l'accord n'a pas été exécuté.
"il résulte également des mentions de ce procès-verbal (page 1) que les preneurs ont accepté de quitter les lieux en raison 'de leur départ négocié des lieux loués'.
Leur départ était donc conditionné à l'accord conclu avec la commune de [Localité 3] sur la résiliation du bail, aux termes duquel M. [E] [U] et Mme [L] [U] devaient quitter les lieux au plus tard le 15 avril 2021 avec un état des lieux au 16 avril 2021 et une acceptation du désistement d'instance de la commune, en contrepartie du paiement d'une indemnité de 80 000 euros sous déduction des loyers et charges dus au 31 mars 2021 (4 490,07 euros), des condamnations prononcées par l'arrêt du 9 septembre 2020 au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ainsi que du coût des travaux de réparations imputables aux locataires s'ils dépassaient le montant du dépôt de garantie de 4 500 euros.
Or, il est constant que cet accord n'a pas été respecté par les parties, la commune de [Localité 3] ayant fait valoir par courriel du 26 avril 2021, soit 10 jours après le départ des lieux de M. [E] [U] et Mme [L] [U], l'existence de 'dégâts graves qui ont fait l'objet d'une première estimation par un agent de la commune à hauteur de 32'000 euros' et M. [E] [U] et Mme [L] [U] ayant refusé en réponse d'accepter le désistement d'instance de la commune de [Localité 3].
Contrairement à ce qu'a retenu le jugement déféré, il résulte de ces éléments qu'aucune résiliation du bail n'était donc intervenue au jour de la destruction de l'immeuble par la commune de [Localité 3]." (Cour d'appel de Riom, 22 janvier 2025, n° 24/00371)
Pour autant, le juge refuse d'indemniser les locataires puisqu'il estime que, bien que la résiliation par la commune soit fautive, le préjudice allégué et chiffré n'est pas justifié :
"Cette démolition fautive de l'immeuble loué sans résiliation préalable du bail caractérise un manquement de la commune de [Localité 3] à l'obligation de mise à la disposition du local loué stipulée à l'article 2 du bail.
Cependant, M. [E] [U] et Mme [L] [U] ne précisent et ne justifient pas de l'existence du préjudice de 100 000 euros qu'ils allèguent, en lien avec la faute commise par la commune de [Localité 3], de sorte que cette demande indemnitaire formée à titre principal sera rejetée.
S'agissant de la demande subsidiaire de 80 000 euros de dommages et intérêts au titre des travaux réalisés par les preneurs dans les locaux loués, présentée sur le fondement de l'accord initial conclu entre les parties, le jugement déféré a justement relevé que cette demande était contradictoire avec le moyen tiré de la caducité de cet accord invoqué par M. [E] [U] et Mme [L] [U] pour démontrer l'absence de résiliation du bail. De plus, la commune fait justement valoir que cette demande d'indemnisation a été définitivement rejetée par le jugement du 29 novembre 2021 et se heurte donc à l'autorité de la chose jugée.
La commune de [Localité 3] fait également valoir à juste titre qu'il n'existe aucun accord secondaire conclu entre les parties sur une indemnisation à hauteur de 32 000 euros des travaux réalisés par les locataires et qu'en toute hypothèse, cette demande de dommages et intérêts se heurte également à l'autorité de la chose jugée.
En conséquence et en l'absence de preuve des préjudices subis par M. [E] [U] et Mme [L] [U], consécutifs à la faute commise par la commune de [Localité 3], la cour, confirmant le jugement de ces chefs, rejette les demandes de dommages et intérêts formées par M. [E] [U] et Mme [L] [U] à hauteur de 100 000 euros, 80 000 euros et 48 000 euros, respectivement à titre principal, à titre subsidiaire et à titre infiniment subsidiaire." (Cour d'appel de Riom, 22 janvier 2025, n° 24/00371)
Sécuriser la résiliation amiable d'un bail portant sur le domaine privé
Les collectivités territoriales doivent se garder de la tentation d'invoquer l'intérêt général pour justifier une résiliation unilatérale d'un contrat de droit privé, portant sur le domaine privé, quand bien même il est question comme ici de démolir l'immeuble et de le réaffecter.
Elles doivent également veiller à sécuriser leurs accords. En particulier, l'hypothèse de dégradations par les locataires aurait dû être cadrée dans l'accord conclu avec les locataires, pour permettre de traiter d'éventuelles difficultés résultant de l'état des lieux.
Cela aurait permis de placer le débat judiciaire uniquement sur l'interprétation du protocole, et non de le voir anéanti. Si en l'espèce les locataires n'ont pas obtenu d'indemnisation, c'est uniquement en raison d'un manque de justificatifs. La faute de la commune a été retenue et elle état exposée à des dommages intérêts.
Enfin, on ne peut qu'inciter les collectivités à veiller à la cohérence des accords conclus avec les courriers ou procès-verbaux de constats, qui peuvent se retourner contre elle a posteriori.
Un protocole de résiliation amiable ne doit en aucun cas être formalisé et exécuté avec légereté.
Le cabinet est à votre écoute pour vous accompagner :
- Dans la revue de titres d'occupation et de baux, ainsi que de protocoles de résiliation ;
- Vous accompagner dans la procédure de résiliation, la négociation et la formalisation de protocole d'accord sécurisés ;
- Cartographier et mesurer les risques induits, ainsi que les mesures correctives à apporter s'agissant de contrat déjà conclus ;
- Vous assister dans la résolution des litiges qui en découlent, le cas échéant.
Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes
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