L’ouverture au contrôle du caractère abusif de la clause de garantie d’un contrat d’assurance emprunteur – Cass.Civ.2ème 07 mai 2025 n° 23-14.896
Pour garantir le paiement d’un prêt immobilier, un assuré a adhéré au contrat d’assurance souscrit par sa banque auprès d’un assureur.
Le contrat prévoyait notamment une garantie « Invalidité permanente totale » définie comme la « réduction permanente totale rendant l’assuré inapte à toute activité lui procurant gain ou profit, en raison d’un handicap physique ou psychique résultant d’une maladie ou d’un accident. Le taux d’invalidité doit être supérieur ou égal à 66 %. Ce taux est déterminé par voie d’expertise médicale à l’aide des taux d’incapacité permanente personnelle et professionnelle figurant au tableau intégré dans le contenu des garanties. »
Placé en arrêt de travail, l’assuré sollicite la mobilisation de la garantie auprès de l’assureur qui la lui refuse à défaut de présenter un taux, post consolidation, supérieur ou égal à 66%. Une expertise judiciaire est ordonnée à la suite de laquelle une assignation est délivré à l’encontre de l’assureur aux fins d’exécution de ses obligations contractuelles. Le tribunal rejette la demande de l’assuré et la Cour d’Appel de Grenoble confirme le jugement rendu.
Un pourvoi en cassation est formé et la Cour de Cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel au motif que :
« […] la clause litigieuse, qui porte sur l'objet principal du contrat et prévoit que l'invalidité n'est garantie que si elle égale ou excède un certain taux, déterminé en fonction des taux d'incapacité permanente fonctionnelle et professionnelle figurant à un tableau joint, ne contient aucune définition de ces deux incapacités, ni d'élément permettant de comprendre le calcul du taux d'invalidité lorsque ces incapacités ne sont pas évaluées en dizaines, de sorte qu'elle ne comporte pas les informations suffisantes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le calcul du taux d'invalidité déterminant l'octroi de la rente et n'est, dès lors, pas claire et compréhensible, […] » (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 7 mai 2025, 23-14.896)
Autrement dit, et à travers cette décision, la Cour de Cassation considère que la clause d’assurance définissant l’invalidité au moyen d’un tableau croisé n’est ni claire et compréhensible dès lors que les notions d’incapacités fonctionnelle et professionnelle ne sont pas définies et que les taux y figurant ne sont exprimés qu’en dizaine.
Cela permet ainsi de la soumettre au contrôle des clauses abusives.
En effet, et en application de l’article L 212-1 du code de la consommation, la clause portant sur l’objet principal du contrat ne peut être contrôlée au titre des clauses abusives que s’il est démontré qu’elle n’est pas rédigée de façon claire et compréhensible.
Il est constant et non contesté que la clause définissant l’état d’invalidité permanente et absolue porte sur l’objet principal du contrat et ne peut en conséquence donner lieu à une appréciation de son caractère abusif si elle est regardée comme claire et précise.
Il en va différemment dès lors qu’il est démontré que ladite clause manque de clarté et de compréhension.
Aux termes d’un arrêt rendu le 23 avril 2013, la CJUE a précisé les critères d’appréciation de la notion de « rédaction claire et compréhensible » d’une part :
« […] La Cour a eu l’occasion de préciser que l’exigence de transparence des clauses contractuelles, posée par la directive 93/13, ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de celles-ci. Au contraire, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 reposant sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne, notamment, le niveau d’information, cette exigence de transparence doit être entendue de manière extensive (voir, en ce sens, arrêts Kásler et Káslerné Rábai, C-26/13, EU:C:2014:282, points 71 et 72, ainsi que Matei, C-143/13, EU:C:2015:127, point 73).
Revêtent ainsi pour le consommateur une importance essentielle aux fins du respect de l’exigence de transparence non seulement l’information donnée préalablement à la conclusion du contrat sur les conditions de l’engagement, mais également l’exposé des particularités du mécanisme de prise en charge des échéances dues au prêteur en cas d’incapacité totale de travail de l’emprunteur ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui. Il en va ainsi dans la mesure où le consommateur décidera, au regard de ces deux types d’éléments, s’il souhaite se lier contractuellement à un professionnel en adhérant aux conditions rédigées préalablement par celui-ci (voir, par analogie, arrêts RWE Vertrieb,C-92/11, EU:C:2013:180, point 44; Kásler et Káslerné Rábai, C-26/13, EU:C:2014:282, points 70 et 73,ainsi que Matei, C-143/13, EU:C:2015:127, point 74). »
Dès lors, et pour être claire et compréhensible, il ne suffit pas que la clause soit grammaticalement correcte, il faut que l’assuré consommateur ait pu la comprendre afin de pouvoir comparer la garantie offerte par l’assureur avec d’autres garanties.
La CJUE a également précisé qu’il appartenait au juge :
« […] de déterminer si, au regard de l’ensemble des éléments de fait pertinents, dont la publicité et l’information fournies par l’assureur dans le cadre de la négociation du contrat d’assurance ainsi que, plus généralement, de l’ensemble contractuel, un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé pouvait comprendre […] » du contrat. (23.04.2015 aff.C-96/14 Van Hove c/ CNP assurances.)
La Cour de Cassation adoptait déjà une conception large de la notion de clause claire et compréhensible en invitant une cour d’appel à rechercher si une clause d’un contrat d’assurance vie : « […]était rédigée de façon claire et compréhensible et permettait à l'adhérent d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlaient pour lui, et, dans le cas contraire, si elle n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du non-professionnel ou consommateur. » (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 14 octobre 2021, n°19-11.758)
Cette décision s’inscrit dans sa jurisprudence.
Désormais, il appartient à la Cour d’Appel de renvoi saisi d’apprécier ou non le caractère abusif de la clause.
Or, et en l’absence de définition précise des deux notions d’invalidité, l’assuré, s’il connait le montant de la prime qu’il doit verser à l’assureur, ignore, compte tenu des imprécisions du contrat, l’étendue de cette garantie.
Il faut donc examiner la différence entre les attentes légitimes du consommateur moyen et la substance de la garantie.
Ainsi, et lorsqu’un adhérent se voit attribuer une pension d’invalidité par la sécurité sociale, il s’attend légitiment à être également couvert par son assureur quand bien même la définition contractuelle retenue par l’assureur serait plus restrictive.
Or, il existe un écart abyssal entre la définition retenue par le code de la sécurité sociale et la mise en œuvre du tableau croisé.
En effet, et si un bénéficiaire d’un pension invalidité catégorie 2 veut prétendre au bénéfice de la garantie invalidité, son incapacité fonctionnelle doit approximativement être fixée à 47 % suivant une incapacité professionnelle fixée à 100%.
En deçà, il n’a droit à rien.
Il serait donc légitime de considérer qu’il existe un déséquilibre significatif entre les droits et obligations de l’assuré dès lors qu’il n’a aucune connaissance de l’étendue de la garantie invalidité.
Si la Cour d’Appel devait retenir le caractère abusif d’une telle clause, il conviendrait de retenir que seule doit être réputée non écrite la clause relative au calcul du taux d’invalidité laissant ainsi subsister la garantie invalidité en elle-même caractérisée par l’inaptitude à toute activité rémunérée.


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