La CA de Versailles vient de rendre une décision importante précisant l'étendue du devoir de conseil de l'avocat fiscaliste face à un risque d'abus de droit, ainsi que l'efficacité des clauses limitatives de responsabilité.

Les faits et la procédure : un contribuable réalise en 2013 une opération d'apport-cession bénéficiant du report d'imposition (art. 150-0 B ter du CGI), incluant une soulte inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus. L'administration fiscale remet en cause l'opération sur le terrain de l'abus de droit (L. 64 LPF), considérant que la soulte avait un but exclusivement fiscal. Après confirmation par le Conseil d'État (CE, 10 juill. 2019, n° 411474), le client assigne son conseil en responsabilité.

L'appréciation de la faute : le cabinet faisait valoir qu'à l'époque des faits (2013), la pratique administrative ne remettait pas en cause les soultes inférieures au seuil de 10 %. La Cour écarte cet argument et retient la responsabilité du conseil. Elle juge que l'avocat devait alerter son client du risque, car l'intention du législateur de lutter contre les schémas d'apport-cession abusifs ressortait clairement des travaux parlementaires de la loi de finances rectificative pour 2012. La CA retient ici une approche in concreto dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation.

L'avocat doit donc intégrer l'intention du législateur et les débats parlementaires dans son analyse de risques.

Sur le préjudice indemnisable, la Cour fait une application stricte des principes de réparation :

  • L'impôt en principal (plus-value en report sur la soulte devenue imposable) reste à la charge du client et ne constitue pas un préjudice indemnisable.
  • Les intérêts de retard ne sont pas indemnisés, faute pour le client de prouver qu'il n'a pas retiré un avantage financier en conservant les sommes dues.
  • Les pénalités et majorations (80 %) constituent le seul préjudice réparable, indemnisé sous forme de perte de chance (fixée ici à 35 %, la CA estimant que le client n'aurait pas nécessairement renoncé à toute restructuration).

Mais, les juges reconnaissent la validité de la clause limitative de responsabilité. En effet, le contrat prévoyait un plafonnement des dommages-intérêts à deux fois le montant des honoraires. Le client tentait d'écarter cette clause en invoquant une faute lourde du conseil. Pour la CA, bien que le manquement au devoir de conseil soit caractérisé, il ne s'agit pas d'une négligence d'une extrême gravité confinant au dol.

Conséquence : La condamnation est plafonnée contractuellement à 314 000 €.

Nota : en outre, les juges accordent 5 000 € de dommages-intérêts au titre du préjudice moral.

Source : CA Versailles, ch. civ. 1 1, 18 nov. 2025, n° 23/06765

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