Une idée de roman d'anticipation :
Tout commencerait avec "l'objectivation" de principes et autres règles du droit, dans des matières aussi diverses que le droit de la consommation -avec des présupposés au cœur desquels se trouveraient le consommateur, faible et désarmé, face au professionnel, puissant et de mauvaise foi-, le droit du travail -avec, mais cela n'est toujours que pure invention, des tableaux de barèmes d'indemnisation dans le droit du licenciement, si précis que des conseillers prud'hommes n'auraient plus qu'à les appliquer aveuglément-, le droit pénal -avec des peines "plancher"…mais il semble que là, cela ait été le cas entre 2007 et 2014-, etc.
A l'appréciation in concreto du juge judiciaire, le législateur, soucieux de prévoir -ou contrôler ?- le fonctionnement d'un service public de la Justice, aurait substitué des postulats, des préceptes, bref des critères "automatisant" -sous couvert de rendre le droit plus sûr, plus lisible, voire prévisible, surtout à destination du "monde économique"-, à la réflexion des magistrats.
A cela, nul n'aurait dans l'ensemble trouvé à y redire ; et même, bien mieux : cela entrerait dans la logique de "normalisation" des décisions de justice.
Quoi de mieux pour rassurer la population d'un pays, dans cette hypothèse heureuse où la Justice deviendrait aussi prévisible que la météorologie ?
Sécurité et justice seraient enfin réunies !
Quoi de mieux en effet que de pouvoir, sur l'ensemble du territoire de notre République, attachée à son principe d'égalité, amener tels ou tels magistrats à faire une seule et même application d'une règle de droit, qui ne lui laisserait plus de marges de manœuvres pour trancher ?
Forts de ce type d'assentiment, nous avancerions donc vers une Justice sous tendue par des critères objectifs, libérée des appréciations -et des humeurs- de tel ou tel juge, qui serait différente de celle de tel ou tel autre...L'homme ne serait plus au centre des décisions. Il ne serait plus qu'un "outil désincarné".
Bref, nous entrerions -pardonnez le ridicule de l'expression- dans une ère judiciaire "moderne" : la justice du futur -ou du XXIème siècle, mais cela a déjà été pris...
Mais cette "modernité" n'aurait pas à s'arrêter là :
Puisque tout serait en place pour rendre prévisible l'application à tel ou tel litige d'une règle de droit devant être "objectivée", pourquoi ne pas imaginer aussi des partitions comportant ici des blancs, et là des cases noires...et les insérer dans un automate ?
Serait ainsi jouée, partout et en tous lieux, la même musique.
Il suffirait de "tourner la manivelle".
Et, d'humaine, la justice, dénuée de toute passion, de toute casuistique, de tout aléa, fonctionnerait comme une machine.
Pour le coup, l'expression "machine judiciaire" ne serait -à ce moment-là de mon roman d'anticipation- pas usurpée !
Une justice sûre, prévisible, assistée des machines : magnifique roman d'anticipation, belle utopie !
Mais ce roman se terminerait-il nécessairement bien ?
Et si nous poursuivions notre histoire (Tome II, "Le retour de bâton") :
Un grand "bouillonnement" serait connu alors du monde judiciaire, avec ses expérimentations en cours, ses plateformes logicielles confiées à des acteurs privés, des fonds jurisprudentiels que telles ou telles officines se disputeraient pour nourrir leurs bases de données...
Le service public de la justice serait ainsi servi par -ou asservi à ?- des algorithmes.
Efficacité, rapidité, prévisibilité…un monde parfait : car la Justice serait devenue une science exacte !
Dans cette phase ab initio du fonctionnement de la justice, le magistrat pourrait encore avoir sa place.
En effet, le fonds jurisprudentiel à sa disposition, serait dans son état premier encore "hétérogène" - on le qualifierait "d'état primitif"-.
Mais, dans sa phase "aboutie", voire "terminale", quand ce fonds jurisprudentiel résulterait des décisions rendues avec ces "tech-procédés" ; donc quand il sera "homogène", que devrait-il se passer alors ?
Le raisonnement algorithmique de la machine ne prendrait-il pas le dessus, sur le raisonnement casuistique du magistrat ?
Et, pour le service (encore public ?) de la Justice dans ce futur-là, cette science conserverait-elle encore sa part d'humanité(s) ?
D'une belle idée de roman d'anticipation, je ne parviens toujours pas à en faire autre chose qu'une dystopie.
Quelqu'un aurait-il une idée de dénouement plus heureux ?
Philippe CANO
Mars 2023
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