Suspension administrative illégale du permis de conduire et indemnisation.
Le Préfet ou le Sous-préfet dispose de la faculté de suspendre le permis de conduire dans de très nombreuses hypothèses.
Ayant précédemment détaillé comment reconduire au plus vite, il convient désormais d’expliquer comment être indemnisé en cas de suspension administrative injustifiée.
La suspension administrative illégale
La suspension administrative peut être considérée comme illégale dans trois hypothèses.
En premier lieu, en cas de recours dirigé contre la suspension prise par l’autorité préfectorale, le Tribunal administratif peut l’annuler en raison d’une illégalité.
En deuxième lieu, dans l’hypothèse d’une relaxe prononcée par le Tribunal de police ou le Tribunal correctionnel, la suspension administrative doit être regardée comme illégale car dénuée de fondement. Pour rappel, une décision de relaxe est un jugement qui déclare le prévenu non coupable.
En dernier lieu, si le Procureur de la République décide de classer sans suite l’affaire, la suspension administrative peut être considérée comme injustifiée. Cela est encore plus vrai lorsque la décision de classement sans suite a pour motif une infraction insuffisamment caractérisée.
En ce sens, le Tribunal administratif de Versailles a jugé :
« 4. Considérant, en second lieu, que, compte tenu de la décision de classement sans suite prise par le procureur de la République de Nanterre au motif que l’éventuelle infraction d’homicide involontaire qui pouvait être reprochée à M. Y Z n’est pas caractérisée, doit être regardé comme de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions du ministre de l’intérieur dont la suspension est demandée le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 224-9, alinéa 2 du code de la route selon lequel «les mesures administratives prévues [à l’article] L. 224-2 sont considérées comme non avenues en cas d’ordonnance de non-lieu ou de jugement de relaxe ou si la juridiction ne prononce pas effectivement de mesure restrictive du droit de conduire. »
Tribunal administratif de Versailles, 14 novembre 2012, n° 1206631
Les hypothèses ouvrant droit à une indemnisation
Un classement sans suite n’empêche pas une reprise ultérieure des poursuites et par conséquence, n’ouvre pas droit à indemnisation.
Seules deux hypothèses permettent d’envisager une indemnisation du conducteur lésé : une décision de relaxe ou un jugement du Tribunal administratif annulant l’arrêté préfectoral.
Tout d’abord, si le Tribunal administratif a annulé la suspension administrative litigieuse, l’administré peut espérer obtenir une indemnisation.
Ensuite, la responsabilité de l’Etat est engagée, dès lors que le Préfet a suspendu le permis de conduire d’un administré relaxé par la suite, par le juge judiciaire.
Plus précisément, la preuve d’une faute lourde n’est plus nécessaire pour engager la responsabilité de l’État du fait d’une suspension en urgence d’un permis de conduire. L’existence d’une faute simple est suffisante. La plus haute juridiction administrative a ainsi jugé :
« Considérant que, pour estimer que la responsabilité de l’Etat n’était pas engagée, la cour administrative d’appel a jugé que l’illégalité d’une décision de suspension du permis de conduire prise en urgence par le préfet en application de l’article L. 224-2 du code de la route n’était susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat que si elle revêtait le caractère d’une faute lourde ; qu’en subordonnant ainsi l’engagement de la responsabilité de l’Etat à l’existence d’une faute lourde, la cour a commis une erreur de droit ; qu’il s’ensuit que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, l’article 2 de l’arrêt attaqué doit être annulé . »
Conseil d’Etat, 2 février 2011, n° 327760
Puis sur ce fondement, il a été jugé :
« Sur la responsabilité de l’Etat :
2. Considérant qu’il ressort du jugement du tribunal correctionnel de Meaux du 14 juin 2011 que M. Y a fait l’objet d’une relaxe des fins de la poursuite ; que l’infraction à l’origine de la suspension de son permis de conduire doit être regardée comme n’étant pas constituée ; que, par suite, M. Y est fondé à soutenir que la mesure de suspension administrative attaquée, fondée sur des éléments matériellement inexacts, est illégale et donc, fautive ; que cette décision est susceptible d’engager la responsabilité de l’État à son égard .
3. Considérant qu’en tout état de cause, et contrairement à ce que soutient le ministre de l’intérieur, la décision du juge pénal de prononcer la relaxe de M. Y des fins de la poursuite n’est pas motivée par un vice de procédure qui aurait été commis lors du dépistage de l’alcoolémie, le tribunal correctionnel ayant expressément rejeté au fond l’exception de nullité soulevée par le prévenu ; qu’il résulte de cette décision que la matérialité des faits à l’origine de la mesure de suspension n’a pas été reconnue par le juge pénal . »
Tribunal administratif de Melun, 4 juillet 2014, n° 1109001
L’indemnisation en pratique
Dans un premier temps, le conducteur lésé devra transmettre une demande préalable indemnitaire au Préfet ayant suspendu son permis de conduire.
Il s’agit d’une démarche amiable obligatoire. L’envoi doit néanmoins se faire par courrier recommandé, afin d’en conserver une trace.
Ce courrier explique pourquoi la suspension administrative est illégale et chiffre les différents préjudices (perte de gains professionnels, achat d’un véhicule ne nécessitant pas le permis de conduire, atteinte à la respectabilité, etc.).
A compter de la réception de la demande préalable indemnitaire, le Préfet dispose de deux mois pour répondre.
Dans un éventuel second temps, si le Préfet conserve le silence ou refuse de faire droit à la demande, il sera nécessaire de saisir le Tribunal administratif.
Le recours à un avocat est alors obligatoire.
En conclusion
La procédure permettant d’obtenir une indemnisation est souvent longue.
En outre, les résultats obtenus apparaissent relativement modestes en comparaison des préjudices subis et de l’énergie mobilisée pour faire valoir ses droits.
Concrètement, les sommes allouées s’élèvent à quelques milliers d’euros.
Cependant, cette démarche peut constituer la conclusion d’une affaire parfaitement traitée, si l’avocat s’en charge et le justiciable accepte de patienter encore un peu avant de clôturer définitivement une affaire qui – généralement – marque une vie.
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