Un secteur composé d’une vingtaine de maisons et d’un camping pourvu d’un faible nombre de constructions n’est pas un village au sens de la loi littoral.

 

 

Par un arrêt rendu le 23 avril 2024, numéro 22 NT01455, la Cour Administrative d’appel de Nantes a jugé que le secteur de Trez Perros, à Plouhinec (Finistère), est une zone d’urbanisation diffuse malgré la présence d’une vingtaine d’habitations avec en son centre un camping communal.

 

Contexte du dossier :

 

M. et Mme A ont demandé au Tribunal administratif d’annuler le certificat d’urbanisme opérationnel négatif que leur avait opposé le maire de Plouhinec, en déclarant non réalisable leur projet de construction d’une maison d’habitation, en raison des dispositions de la loi littoral (en l’occurrence de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme).

 

N.B. : Notons d’emblée que la contestation d’un certificat d’urbanisme négatif et moins protectrice en cas d’annulation que celle d’un refus de permis de construire. En effet, en cas d’annulation du certificat d’urbanisme négatif, le maire devra réexaminer la demande au regard des règles d’urbanisme opposable au jour de ce réexamen. Par conséquent, des nouvelles normes moins favorables sont susceptibles de fonder un nouveau certificat d’urbanisme négatif. À l’inverse, en présence d’une annulation de permis de construire, les dispositions de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme imposent au maire de réinstruire la nouvelle demande de permis de construire au regard des règles existantes à la date du refus censuré (ce qui évite que le maire se prévale de nouvelles règles urbanisme intervenues entre temps).

 

 

Décision du Tribunal administratif en première instance :

 

Par un jugement du 11 mars 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande. M. et Mme A ont fait appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Nantes.

 

 

Motif du rejet par la Cour :

 

La Cour Administrative d’Appel rappelle tout d’abord en application de l’article L 121-3 du code de l’urbanisme c’est en principe au Schéma de COhérence Territoriale (ci-après SCOT) de déterminer « les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisées » ; puis que l’article L 121-8 du même code prévoit que «« L’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. »

 

Il est vrai que la jurisprudence administrative a déjà repris à son compte les dispositions de l’article L 121-3 du code de l’urbanisme, faisant du SCOT le prisme par lequel la loi littoral devait être en principe appréhendée (en ce sens, Conseil d’Etat, 6ème – 5ème chambres réunies, 11 mars 2020, n°419861 ; Conseil d’Etat,  9 juillet 2021, n°445118).

 

Ajoutons que la notion de village, selon la jurisprudence administrative, ne s’intéresse pas à l’aspect historique ou sociologique du lieux, mais simplement à la densité du bâti et au nombre de constructions. Autrement dit, elle impose à un secteur, pour être qualifié de village, d’être pourvu d’« un nombre et une densité significatifs de constructions » (en ce sens, Conseil d’Etat, 27 septembre 2006, n°275924 ; Conseil, 9 novembre 2015, n°372531).

 

 

A cet égard, le nombre significatifs de constructions exigé par la jurisprudence est de l’ordre d’une quarantaine de constructions (sous réserve d’un SCOT plus prescriptif) et la densité, qui doit elle aussi être significative, est de l’ordre d’une maison pour 1000 à 1400 m² de terrain (en ce sens, CAA de Nantes, 9 mars 2012, n°10NT01691 ; CAA de Nantes, 6 mars 2020, n°19NT02933).

 

 

En l’espèce, la Cour Administrative d’Appel de Nantes confirme le jugement estimant que le secteur de Trez Perros n’est pas un village en raison de trop faible nombre et de la trop faible densité de construction. Il affirme :

 

« 6. Il ressort des pièces du dossier que les parcelles destinées à supporter la maison d’habitation projetée par M. et Mme A sont situées au lieu-dit Trez Perros à une centaine de mètres du rivage, dont elles sont séparées par des terrains à caractère naturel. Sur ses cotés est et ouest, le terrain d’assiette du projet est bordé de parcelles supportant des habitations et au nord, de l’autre côté de l’impasse qui le dessert, par un terrain de camping. D’une part, le lieu-dit Trez Perros est isolé du reste des pôles urbanisés de la commune par des espaces naturels, dont le lieu-dit Bremoder situé à l’ouest dont il est séparé par un cours d’eau aux abords végétalisés. En conséquence, il ne se rattache pas à une agglomération existante. D’autre part, ce même lieu-dit ne comporte qu’une vingtaine d’habitations avec, en son centre, un camping ne comprenant, à titre de construction, que trois bâtiments abritant l’administration du camping et des équipements nécessaires aux campeurs. L’existence alléguée d’emplacements supportant des habitations légères de loisir dans ce camping ne saurait être qualifiée d’urbanisation existante dès lors qu’il s’agit, ainsi que mentionné à l’article R. 111-37 du code de l’urbanisme, de « constructions démontables ou transportables ». Enfin les maisons avoisinantes sont implantées pour l’essentiel sur de grandes parcelles et constituent une urbanisation diffuse. Ce lieu-dit n’appartient donc pas davantage à un village existant au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme eu égard au faible nombre de constructions, à leur emprise au sol limitée et à leur dispersion. Par ailleurs, le schéma de cohérence territoriale de l’Ouest Cornouaille dans sa rédaction approuvée le 21 mai 2015 n’identifie pas le lieu-dit Trez Perros en tant qu’agglomération ou village au sens de la loi dite Littoral. En conséquence, c’est par une exacte application des dispositions précitées de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme que le maire de Plouhinec a opposé aux époux A le caractère irréalisable de leur projet de construction d’une maison d’habitation. »

 

 

Il est à noter qu’en ne tenant compte que des constructions pérennes du camping, c’est-à-dire non amovibles, excluant donc toute appréciation de la densité en fonction du nombre de mobil-homes, la Cour reprend la solution déjà jugé par le Conseil d’Etat (dans son arrêt du 11 juillet 2018, n°410084).

 

 

De même, si l’on peut regretter que la Cour n’ait pas qualifié la parcelle comme étant situé dans une « dent creuse » d’un « secteur déjà urbanisé » -dispositif introduit à l’article L 121-8 alinéa 2 du code de l’urbanisme par la loi ELAN du 23 novembre 2018)- permettant d’urbaniser certaines parcelles en dehors des village, c’est en raison de la restriction apportée par l’article L 121-8 alinéa 2 qui n’est pas applicable dans les espaces proches du rivage.

 

 

Une nouvelle décision qui illustre la complexité de la loi littoral.

 

Ronan Blanquet

Avocat

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