Les entreprises françaises recrutent à l’étranger et de nombreux salariés saisissent l’opportunité de travailler hors de nos frontières. Comment est taxé le salarié en situation de mobilité et le changement touchant nos sociétés quant au mode d’exercice du travail impacte-t-il les règles fiscales ?

Pour déterminer la situation fiscale d’un salarié en mobilité internationale, deux questions doivent être posées : dans quel pays son domicile fiscal se trouve-t-il ? De quels pays ses différents revenus tirent-ils leur source ?

Les réponses ne sont pas simples et se complexifient avec le développement dans nos sociétés du télétravail, accéléré par la crise COVID et la révolution numérique.

 

Les réponses du Code general des impots  (CGI)

Prenons l’exemple d’un salarié qui s’est vu proposé un contrat de travail en Suisse. Il laisse en France son conjoint et ses enfants scolarisés et revient toutes les fins de semaine et pendant ses périodes de congés.

Son domicile fiscal demeurera en France car son foyer y est resté et ce, quel que soit le nombre de jours qu’il passera en Suisse dans le cadre de son travail.

Le critère du foyer est en effet le premier des critères alternatifs édictés par l’article 4 B du CGI pour apprécier le lieu du domicile fiscal.

Ce salarié sera en principe imposé en France sur ses revenus mondiaux, c’est-à-dire sur ses revenus de source française (les rémunérations françaises de son conjoint) et sur ses revenus de source étrangère (ses salaires suisses). On parle aussi d’obligation fiscale illimitée.

Mais cette dernière règle d’imposition fixée à l’article 4 A du CCI s’applique sous réserve des dispositions de la convention fiscale signée entre la France et la Suisse. Nous reviendrons sur ce point un peu plus loin.

Si le salarié décide de déménager à l’étranger avec toute sa famille, de donner en location son ancienne résidence principale et de transférer l’essentiel de ses avoirs en Suisse, il sera taxé en France en tant que non-résident. Il sera redevable de l’impôt français sur ses seuls revenus de source française (les loyers). Il ne sera donc plus soumis qu’à une obligation fiscale limitée.

 

La suprématie des réponses données par les conventions fiscales

Une convention fiscale, qui est négociée entre deux pays, a un triple objet :

- trancher la question de la résidence fiscale dans le cas où une personne est considérée comme résidente fiscale des deux Etats selon leur droit interne ;

- répartir entre les deux pays le droit d’imposer les différentes catégories de revenus ;

- donner les méthodes d’élimination de la double imposition. Pour le pays à qui le droit d’imposer le revenu est retiré, cela passera soit par une exonération, soit par un crédit d’impôt.

Les règles arrêtées par les conventions fiscales sont supérieures aux règles internes de chaque pays.

La plupart des conventions fiscales sont rédigées selon un même modèle adopté au sein de l’OCDE.

Par exemple, pour l’imposition des salaires du secteur privé, il est généralement prévu par les conventions que c’est le pays du lieu d’exercice de l’activité qui a le droit de les taxer (sauf en cas de mission temporaire).

Reprenons le cas de notre salarié qui laisse sa famille en France cinq jours par semaine pour travailler en Suisse. Ses salaires sont à déclarer en Suisse pour y être taxés par application de la règle conventionnelle qui fait échec à la règle de droit interne prévue à l’article 4 A du CGI.

Mais il y a une subtilité pas toujours très simple à saisir : les salaires suisses seront tout de même à porter dans la déclaration française des revenus. Leur taxation en France sera effacée par l’octroi d’un crédit d’impôt, calculé par l’administration au moment où elle éditera l’avis d’imposition.

Toutefois, les salaires suisses auront été pris en compte pour le calcul du taux d’imposition en France des autres revenus du foyer de source française (salaires du conjoint ou loyers par exemple). Ce qui permet de rétablir la progressivité de l’impôt.

 

L’impact de la crise COVID sur les règles fiscales

Avec la crise sanitaire, de nombreux salariés en poste à l’étranger ont été rapatriés par leur entreprise et sont restés de longs mois confinés en France. Ils ont toutefois pu continuer à exercer leur activité professionnelle grâce à la mise en place du télétravail.

L’administration fiscale française a donc dû provisoirement adapter les règles.

Ainsi, la doctrine administrative a rapidement pris le soin de préciser qu’exceptionnellement une prolongation de la durée du confinement liée à la crise sanitaire n’avait pas d’impact sur l’appréciation du lieu de la résidence fiscale pour les personnes domiciliées hors de France mais empêchées de rentrer chez elles (www.impôt.gouv.fr/international-particulier/residence-fiscale-et-confinement-crise-covid).

Un expatrié dont le séjour se prolonge en France devra toutefois pouvoir justifier qu’il est vraiment dans l’impossibilité de rentrer dans l’Etat où il était précédemment fiscalement domicilié et que ce n’est pas par convenance personnelle.

En ce qui concerne les conventions fiscales, il est intéressant de relever que l’OCDE a publié des commentaires pour orienter les pays confrontés à cette nouvelle forme de mobilité internationale. Elle les a invités à une coordination exceptionnelle en matière d’imposition en vue d’assurer une position cohérente et symétrique.

Pour en revenir au cas précis de notre salarié travaillant en Suisse, un accord amiable a été conclu entre la France et la Suisse en mai 2020, puis reconduit à plusieurs reprises au moins jusqu’au 30 juin 2022.

Cet accord prévoit « à titre exceptionnel et provisoire » que les jours travaillés en France à domicile pour le compte d’un employeur situé en Suisse, en raison des mesures prises pour lutter contre la propagation du COVID-19 sont considérés comme des jours travaillés en Suisse.

Est ainsi assurée la neutralité fiscale des jours télétravaillés à domicile. Ce qui signifie que le droit d’imposer ces salaires reste à la Suisse même s’ils correspondent à des heures de travail exercées en France pendant la crise sanitaire.

A noter que le contribuable est libre de décider de ne pas bénéficier de cet accord.

 

Les changements sociétaux et les adaptations fiscales nécessaires

Ces aménagements sont temporaires alors que les changements affectant nos sociétés, notamment quant au mode d’exercice de l’activité professionnelle, vont s’installer durablement au-delà de la crise sanitaire. Et ils sont boostés par le développement des outils numériques.

Ainsi, certaines entreprises envisagent de proposer de manière définitive à leurs salariés de continuer à travailler quelques jours par mois en télétravail depuis leur pays d’origine.

Dans une telle situation, les jours travaillés en France tels que cela pourrait être fixé par un avenant au contrat de travail génèreront des revenus de source française dont le droit d’imposer reviendra à la France.

Et pour le cas d’un salarié qui avait fait le choix de s’établir dans le pays de son employeur mais qui conserve un pied à terre en France, si le nombre de jours télétravaillés en France venait à dépasser un certain seuil, la question se poserait à nouveau du lieu de sa résidence fiscale.

L’analyse de chaque situation doit donc être minutieusement effectuée en fonction des faits qui lui sont propres. Il n’y pas de règle uniforme en la matière, tout relève d’une appréciation au cas par cas.

L’enjeu ne se limite pas au calcul de l’impôt sur le revenu du salarié car cela peut aussi avoir des incidences sur les droits de succession ou de donation et sur l’impôt sur la fortune immobilière.

L’employeur est également impacté car pèsent sur lui des obligations fiscales au titre du prélèvement ou de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu.

En conclusion, avec la mutation du mode d’exercice de l’activité professionnelle, les fiscalistes n’en ont pas fini avec l’exercice délicat de détermination du lieu de résidence fiscale d’un salarié en mobilité internationale et la détermination des modalités d’imposition de ses revenus. Et l’exercice s’étend nécessairement en matière de sécurité sociale.