"Il n'y aura plus de transfert obligatoire", telle était l'annonce faite le 9 octobre 2024 par le Premier Ministre devant un parterre sénatorial galvanisé à l'idée de voir (enfin) ses doléances prises en compte en ce qui concerne le transfert obligatoire aux communautés de communes des compétences eau potable et assainissement

Pour rappel, la loi n°2015-991 du 7 août 2015, dite "loi NOTRe", avait initié une restructuration des compétences relatives au cycle de l'eau jusqu'alors prises en charge par les communes et les syndicats de communes auxquels tout ou partie de ces compétences avait été transféré. Les compétences eau potable et assainissement devaient ainsi entrer dans le champs des compétences obligatoires des communautés de communes à compter du 1er janvier 2020.

De premiers aménagements de calendrier avaient été apportés par la loi n°2018-702 du 3 août 2018, dite loi "Ferrand-Fesneau". En effet, l'article 1er de la loi du 3 août 2018 avait offert la possibilité, pour les communes membres d'une communauté de communes, d'opter pour un report au 1er janvier 2026 du transfert obligatoire des compétences eau potable et assainissement. Ce report était soumis à une double condition de majorité et de délai puisque la loi imposait qu'au moins 25% des communes membres représentant au moins 20% de la population communautaire s’oppose au transfert avant le 1er juillet 2019. Cette échéance du 1er juillet 2019 avait ensuite était reportée au 31 décembre de la même année par la loi n°2019-1461 du 27 décembre 2019, aussi dénommée "loi Engagement et Proximité", cela afin de prendre en compte les délibérations intervenues au cours du second trimestre 2019. 

La loi n°2022-217 du 21 février 2022, dite « loi 3DS », avait quant à elle introduit un mécanisme de concertation à l’attention des communautés de communes et de leurs membres au cours de l’année précédant le transfert obligatoire des compétences.

Plusieurs propositions de loi étaient intervenues afin de mettre un terme au transfert obligatoire, cela notamment avec la proposition n°75 du 20 octobre 2020 visant à supprimer le transfert en 2026 de l’eau et de l’assainissement aux communautés de communes. Ces propositions étaient toutefois restées lettre morte. Du moins jusqu’à la l’adoption le 17 octobre dernier par le Sénart de la proposition de loi n°556 du 29 avril 2024 portée par le sénateur Jean-Michel Arnaud.

Le texte, désormais transmis pour examen à l’Assemblée Nationale, comporte plusieurs évolutions marquantes s’inscrivant dans la lignée des annonces du Premier Ministre.

De première part, et non des moindres, la suppression du transfert obligatoire au 1er janvier 2026 des compétences eau potable et assainissement pour les communautés des communes n’ayant pas opéré le transfert au 1er janvier 2020. Les compétences doivent ainsi retourner dans le giron des compétences facultatives des communautés de communes.

Des adaptations sont également proposées, avec notamment le maintien de la possibilité pour les communautés de communes prenant en charge les compétences eau potable et/ou assainissement de déléguer celles-ci à des syndicats intracommunautaires.

Cette suppression entraîne aussi un toilettage de plusieurs dispositions législatives devenues sans objet. Il s’agit de la suppression de l’article 1er de la loi Engagement et Proximité qui offrait la possibilité aux conseils communautaires des communautés de communes de transférer l’eau potable et l’assainissement sans avoir à attendre l’échéance du 1er janvier 2026. De même, le mécanisme de concertation préalable au transfert introduit par l’article 30 de la loi 3DS du 21 février 2022 disparaît. Enfin, les dispositions de la loi Engagement et Proximité du 27 décembre 2019 relatives au maintien transitoire des syndicats intracommunautaires sont également supprimées.

S’agissant de deuxième part des communautés de communes ayant opéré un transfert de compétences depuis le 1er janvier 2020, la proposition de loi adoptée ne remet pas en cause leur maintien en compétence obligatoire. Il ne sera donc pas possible pour leurs communes d’envisager des restitutions de compétences de l’article L. 5211-17-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) comme l’envisageait pourtant la version initiale de la proposition de loi. La possibilité d’opérer des délégations de compétences au profit de communes membres ou des syndicats intracommunautaires est en revanche logiquement maintenue.

De troisième part, la proposition de loi confie de nouvelles attributions aux Commissions Départementales de Coopération Intercommunale (CDCI) avec la création d’un article L. 5211-45-1 au sein du CGCT. Selon ces dispositions, il appartiendra ainsi aux CDCI de se réunir au moins une fois par an afin d’évoquer l’organisation territoriale des compétences relatives à l’eau et à l’assainissement. La convocation de la CDCI devra être accompagnée d’un rapport sur l’exercice des compétences à l’échelle du département et présenter les enjeux liés à la qualité et à la quantité de la ressource, ains qu’à la performance des services et à l’efficacité des interconnexions. Il s’agira pour les CDCI de disposer des clés pour apprécier la cohérence de l’exercice de ces compétences à l’échelle départementale au regard des contraintes géographiques, organisationnelles, techniques, administratives et financières propres au territoire. La CDCI pourra également formuler des propositions visant à renforcer la mutualisation des compétences à l’échelle du département.

De quatrième part, la proposition de loi comporte la création d’un article L. 2224-7-8 au sein du CGCT afin de permettre aux intercommunalités de confier aux départements des mandats de maîtrise d’ouvrage pour la réalisation de travaux dans les domaines de la production, du transport et du stockage d’eau potable. Ce mandat devra être conclu à titre gratuit et être conforme au régime du mandat de maîtrise d’ouvrage visé aux articles L. 2422-5 et suivants du code de la commande publique.

De cinquième et dernière part, la proposition de loi introduit un nouvel article L. 2224-7-9 au sein du CGCT, lequel a pour objet de permettre à des syndicats mixtes ouverts composés exclusivement de collectivités territoriales et de leurs groupements de bénéficier de transferts partiels des compétences eau potable et assainissement.

Sans présager des suites et des évolutions qui seront apportées par l’Assemblée nationale, la proposition de loi adoptée ce 17 octobre 2024 par le Sénat marque donc un tournant décisif pour les communautés de communes et leurs communes membres n’ayant pas encore transféré l’eau potable et l’assainissement.  

Pour les communautés de communes ayant d’ores et déjà anticipé le transfert des compétences, plusieurs perspectives semblent se dessiner avec, soit un abandon du transfert des compétences, soit une modulation du calendrier et/ou du périmètre de compétences transférées à l’intercommunalité. Rappelons en effet que depuis la loi 3DS du 21 février 2022 et la création de l’article L. 5211-17-2 du CGCT, une ou plusieurs communes membres d’une communauté de communes peuvent lui transférer tout ou partie de leurs compétences. L’on pourrait ainsi envisager un transfert uniquement de l’eau potable ou de l’assainissement, mais aussi uniquement des misions afférentes à ces compétences qui seraient les plus critiques, et ce par tout ou partie seulement des communes membres de la communauté de communes. Il conviendra cependant de veiller à ce que le « cousu main » ne se transforme par en « usine à gaz » pour ces communautés de communes.

Pour les communautés de communes qui n’avaient pas encore anticipé le transfert au 1er janvier 2026, il y a fort à parier que l’adoption définitive et en l’état de la proposition de loi aboutira à un report sine die de la question du transfert, cela qui plus est au regard des élections municipales et des renouvellements généraux qui approchent à grand pas.

Pour autant, il n’est pas garanti qu’un abandon des transferts de compétences eau potable et assainissement gage d’un avenir apaisé pour les territoires n’ayant pas encore intercommunalisé l’eau potable et l’assainissement. L’ombre d’une victoire à la Pyrrhus plane en effet au regard des enjeux de sécurisation de la ressource, lesquels nécessiteront à la fois de lourds investissements et des coopérations instaurées à des échelons pertinents.

Affaire à suivre donc…

 

La proposition de loi adopté le 17 octobre 2024 par le sénat est consultable ici : proposition de loi n°556 du 29 avril 2024