Par un arrêt du 15 janvier 2025, (CE, 9e et 10e ch., 15 janv. 2025, n° 489721, Sté RAGT Semences), le Conseil d’Etat complète sa jurisprudence relative à la qualité pour agir, en cas de cession de créance Dailly, en jugeant que le cédant peut introduire directement une action devant le juge de l’impôt, sur la base d’une réclamation préalable présentée par le cessionnaire.
La qualité déjà reconnue au cessionnaire pour agir devant le juge de l’impôt au même titre que le cédant.
La saisine du juge de l’impôt est possible pour le cessionnaire d’une créance fiscale. En effet, le Conseil d’Etat a jugé qu’en cas de cession d’une créance fiscale dont le bien-fondé est contesté, le droit de saisir le juge de l’impôt n’est pas réservé au contribuable cédant. Si la cession est antérieure à la saisine du juge, le cessionnaire a, au même titre que le cédant, qualité pour agir (CE 9e-10e ch. 20-9-2017 n° 393271).
En l’espèce, une société a demandé, sur le fondement du IV de l’article 271 du code général des impôts et conformément aux modalités fixées à l’article 242-0 C de l’annexe II à ce code, le remboursement de crédits TVA au titre des mois de juin et juillet 2007. En l’absence de réponse de l’administration fiscale à cette demande, la Banque, à qui cette créance avait été cédée par conventions des 12 juin et 1er août 2007, a saisi le tribunal administratif qui, par un jugement du 26 février 2013, a rejeté sa demande tendant au remboursement des crédits TVA. La cour administrative d’appel ayant rejeté son appel contre ce jugement, la Banque se pourvoit en cassation devant le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat a considéré que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que la Banque n’était pas recevable à saisir le juge de l’impôt en sa qualité de cessionnaire de la créance sur le Trésor, au motif que le juge ne peut être valablement saisi d’une contestation relative à l’existence ou au montant d’un crédit de taxe sur la valeur ajoutée que par l’assujetti bénéficiaire du droit à déduction. La cour a également commis une erreur de droit en jugeant que la Banque n’était pas titulaire d’une créance sur le Trésor au motif que l’administration fiscale avait refusé le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée demandé par la société, alors que la contestation par l’administration fiscale du bien-fondé de la créance ne saurait avoir en elle-même d’incidence sur l’existence d’une telle créance, ni sur la qualité pour agir de son cessionnaire.
Ainsi, si le contribuable titulaire d’une créance fiscale qu’il cède dans le cadre de la loi Dailly conserve la qualité de contribuable et donc la qualité pour agir devant le tribunal, l’établissement de crédit cessionnaire, comme le cédant, a qualité pour agir devant le juge de l’impôt afin d’obtenir le paiement de cette créance, indépendamment des procédures de notification ou d’acceptation de la cession, lorsque la cession de la créance intervient avant la présentation de la demande au tribunal.
Le cessionnaire d’une créance fiscale, notamment un crédit TVA, dont le remboursement a été régulièrement demandé par le cédant mais dont l’administration conteste le bien-fondé peut ainsi saisir le juge de l’impôt d’une contestation relative à l’existence ou au montant de ce crédit, alors même qu’il n’est pas l’assujetti bénéficiaire du droit à déduction et que la cession n’a pas été notifiée à l’administration.
Cette solution est complétée par la décision du conseil d’Etat du 22 juill. 2022 qui retient que si le cessionnaire s'est directement adressé au tribunal, il peut même se prévaloir de la réclamation préalable adressée précédemment à l'administration fiscale par le cédant (CE, 9e et 10e ch., 22 juill. 2022, n° 451251, min. c/ Sté Monte Paschi Banque).
L'hypothèse d’une réclamation préalable présentée par le cessionnaire et d'une action directement introduite devant le juge de l’impôt par le cédant.
En matière fiscale, il y a un principe de la réclamation préalable. En effet, aux termes de l’article R*190-1 du LPF, le contribuable qui désire contester tout ou partie d'un impôt qui le concerne doit d'abord adresser une réclamation au service territorial, selon le cas, de la direction générale des finances publiques ou de la direction générale des douanes et droits indirects dont dépend le lieu de l'imposition. Le contribuable qui souhaite contester une imposition ne peut donc jamais saisir directement le juge de l’impôt. Il faut nécessairement d’abord s’adresser à l’administration elle-même dans un premier temps. Quel que soit l’impôt contesté, le contribuable a l’obligation de présenter à l’administration une réclamation préalable. La réclamation constitue la première étape de la procédure contentieuse.
Aux termes de l’article L199 du LPF, les décisions rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui ne donnent pas entière satisfaction aux intéressés peuvent être portées devant le tribunal administratif ou le tribunal judiciaire, selon l’impôt concerné. Ce n’est donc au cas où la réponse à la réclamation préalable déposée devant l’administration ne donne pas entière satisfaction au contribuable que ce dernier peut envisager de saisir le juge de l’impôt.
C’est la réclamation préalable qui fait démarrer la procédure contentieuse, en ce sens que seuls les impôts que le contribuable conteste dans sa réclamation préalable peuvent ensuite être contestés devant le juge. Il est donc important de faire attention à ce qui est demandé dans la réclamation préalable. C’est ainsi par exemple que le contribuable qui ne demande qu’une réduction de son imposition dans la réclamation préalable ne peut pas demander, ensuite au juge, la décharge de l’imposition.
La question dans cet arrêt du 15 janv. 2025 est de savoir si le cédant peut, en cas de cession de créance Dailly, introduire directement une action devant le juge de l’impôt, sur la base d’une réclamation préalable présentée par le cessionnaire.
Au cas particulier, la société RAGT Semences, société mère d'un groupe fiscalement intégré auquel appartient sa filiale, la société RAGT 2N, a déclaré en octobre 2015 et septembre 2016 des crédits d'impôt recherche à raison de dépenses exposées par sa filiale au titre des exercices clos en 2014 et 2015.
Par deux conventions conclues en juin 2016 et janvier 2017, la société a cédé à Natixis, les créances de crédit d'impôt qu'elle estimait détenir à ce titre sur le Trésor. C’est alors que Natixis, cessionnaire de ces créances, a présenté, en janvier 2019 et en janvier 2020, des réclamations préalables à l’administration fiscale, tendant au remboursement de ces créances. L'administration n'a fait que partiellement droit à la demande.
La société RAGT Semences, cédante, a saisi le tribunal administratif de Toulouse, sur la base de la réclamation préalable présentée par Natixis, cessionnaire, d’une requête tendant au remboursement du reliquat des créances en cause, correspondant tout de même, à une créance de crédit d'impôt recherche d'un montant de 1 202 752 d’euros. Le tribunal ayant rejeté sa demande (TA Toulouse, n° 1902973 19 octobre 2021), la société fait appel devant la cour administrative d’appel de Toulouse. Les juges de la cour administrative d’appel n’étaient pas plus convaincus que leurs homologues du tribunal administratif, et ont donc logiquement rejeté le recours de la demanderesse, dans des arrêts du 28 septembre 2023 (CAA Toulouse, n° 21TL24539 du 28 novembre 2023). Ainsi pour le tribunal administratif, comme pour la cour administrative d’appel, la société ne pouvait se prévaloir des réclamations préalables présentées par Natixis, établissement de crédit cessionnaire, pour justifier de la recevabilité des instances qu'elle avait directement introduites devant le tribunal administratif afin d'obtenir que les créances cédées soient remboursées.
La société RAGT Semences n’avait d’autre choix que de se pourvoir en cassation, et elle avait bien raison. En effet, les arrêts nos 21TL24539 et 21TL24540 de la cour administrative d'appel de Toulouse du 28 septembre 2023 sont annulés par le Conseil d’Etat qui profite pour compléter sa jurisprudence en la matière. Le Conseil d’Etat rappelle d’abord, comme évoqué plus haut, que lorsque la cession de créance professionnelle effectuée dans les conditions prévues aux articles L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier intervient avant la présentation de la demande tendant au remboursement de cette créance devant un tribunal, l'établissement de crédit cessionnaire, comme le cédant, a qualité pour agir devant le juge de l'impôt afin d'obtenir le paiement de cette créance, indépendamment des procédures de notification de la cession de créance ou d'acceptation de cette cession par le débiteur. Pour justifier de la recevabilité de l'instance qu'il a directement introduite devant le tribunal administratif tendant au paiement de la créance qu'elle a cédée, l'entreprise cédante peut se prévaloir de la réclamation préalable présentée par l'établissement cessionnaire à l'administration fiscale, eu égard à l'objet de celle-ci. Le Conseil d’Etat en déduit qu’en jugeant, comme elle l’a fait, que société ne pouvait se prévaloir des réclamations préalables présentées par Natixis pour justifier de la recevabilité des instances qu'elle avait directement introduites devant le tribunal administratif afin d'obtenir que les créances cédées soient remboursées, la cour d’appel a commis une erreur de droit. Les arrêts rendus par la cour ne peuvent donc qu’être annulés (CE, 9e et 10e ch., 15 janv. 2025, n° 489721, Sté RAGT Semences).
La position prise par la cour administrative d’appel de Toulouse est tout de même curieuse, car son arrêt intervient en septembre 2023, alors même que le Conseil d’Etat avait déjà retenu dans son arrêt du 22 juill. 2022 que si le cessionnaire s'est directement adressé au tribunal, il peut même se prévaloir de la réclamation préalable adressée précédemment à l'administration fiscale par le cédant. On peut en déduire, par raisonnement analogique, qu’une réclamation préalable déposée par le cessionnaire devrait permettre au cédant de s’adresser directement au juge de l’impôt. Autant, le jugement du tribunal administratif de Toulouse étant intervenu en octobre 2021, on peut comprendre la position de ce tribunal sur sa décision de rejet. Mais la cour administrative d’appel, en revanche, a pris le risque d’adopter une position dont la censure par le Conseil d’Etat ne peut qu’être évidente.
La morale de l’histoire : en cas de cession Dailly, tout est permutable, et le juge de l’impôt doit recevoir tout le monde, sans distinction.
Arnaud Soton
Avocat fiscaliste
Professeur de droit fiscal.
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