Le Conseil d’Etat a jugé que lorsqu’elles n’ont pas le caractère de remboursements d’apport, les sommes mises à la disposition des associés, lors d’une réduction de capital social non motivée par des pertes, par une société bénéficiaire d’un apport de titres placés sous le régime du sursis d’imposition de l’article 150-0 B du CGI, sont imposables en tant que revenus distribués.

Aux termes de l'article 150-0 A du CGI, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières ou de droits sociaux, sont soumis à l'impôt sur le revenu. Cependant, l'article 150-0 B du CGI, dans sa rédaction applicable au litige, indique que les dispositions de l'article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre d'une opération d'offre publique, de fusion, de scission, d'absorption d'un fonds commun de placement par une société d'investissement à capital variable, de conversion, de division, ou de regroupement, réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. Ces dispositions instituent un sursis d'imposition qui conduit à traiter de plein droit l'opération d'échange de titres comme une opération intercalaire qui, au titre de l'année d'échange, n'est pas retenue pour l'établissement de l'impôt sur le revenu.

L'article 109 du CGI dispose que sont considérés comme revenus distribués toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices. Mais aux termes de l'article 112 du CGI, dans sa rédaction applicable au litige, ne sont pas considérés comme revenus distribués, les répartitions présentant pour les associés ou actionnaires, le caractère de remboursements d'apports ou de primes d'émission, étant entendu qu’une répartition n'est réputée présenter ce caractère que si tous les bénéfices et les réserves, autres que la réserve légale, ont été auparavant répartis.

Au cas particulier, en 2004, en vue d'augmenter le capital d’une société civile dont ils étaient associés, des époux ont apporté à cette société des parts d’une autre société civile d'une valeur unitaire de 15,25 euros, soit un montant total de 15 250 euros ; apports en contrepartie desquels ils ont reçu 200 000 parts de la société civile dont le capital est augmenté, d'une valeur nominale unitaire d'un euro. La plus-value d'apport, réalisée à l'occasion de cette opération, a bénéficié du régime du sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du CGI.

En 2009, l'assemblée générale des actionnaires de la société civile dont le capital a été augmenté a décidé une réduction du capital social de 178 900 euros pour ramener celui-ci de 201 000 euros à 22 110 euros par voie de diminution de la valeur de la part sociale unitaire d'un euro à 0,11 centimes d'euro. A cette occasion, l’assemblée a prévu que cette réduction de capital s'effectuerait sous la forme d'un remboursement partiel aux associés du prix de souscription des parts à hauteur de 0,89 euro par part pour un total de 178 890 euros.

L’administration fiscale a estimé que cette opération de réduction du capital, par voie de diminution du montant nominal des titres de la société dont le capital a été augmenté, devait s'analyser comme une distribution au profit des associés en application du 2° du 1 de l'article 109 du CGI.  L’administration fiscale notifie donc au couple une proposition de rectification qui soumet les sommes à imposition en tant que revenus distribués.

Les contribuables ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2009 ainsi que des pénalités correspondantes, en soutenant que la somme perçue constituait des remboursements d’apports non constitutifs de revenus distribués, conformément à l’article 112, 1 ° du CGI, et n’avait pas à être déclarée au titre de l’année 2009.

Le tribunal a rejeté leur demande. En appel, la cour administrative d'appel de Nancy a ramené le montant des revenus distribués imposables de 48 990 à 42 425 euros. Le couple s’est pourvu en cassation et le Conseil d’Etat a rejeté leur demande.

En effet, pour le Conseil d’Etat, en adoptant les dispositions de l'article 150-0-B du CGI, le législateur a entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines de ces opérations, notamment d'échanges de titres. Le législateur a, pour ce faire, entendu assurer la neutralité au plan fiscal de ces opérations d'échanges de titres et, à cette fin, sauf lorsqu'il en a disposé autrement, regarder de telles opérations comme des opérations intercalaires. Il en résulte que lorsque les titres d'une société sont apportés par un contribuable soumis à l'impôt sur le revenu qui reçoit, en échange, des titres de la société bénéficiaire de l'apport et bénéficie, s'agissant du gain le cas échéant réalisé à cette occasion, du régime du sursis automatique d'imposition prévu par l'article 150-0 B, les titres reçus en rémunération de l'apport doivent être réputés être entrés dans le patrimoine de l'apporteur aux conditions dans lesquelles y étaient entrés les titres dont il a fait apport.

Le Conseil d’Etat conclut que si la société bénéficiaire de l'apport procède à une réduction de son capital social, non motivée par des pertes, par réduction de la valeur nominale de ses titres, les sommes mises en conséquence à la disposition d'un associé qui a acquis ces titres en rémunération de l'apport de titres d'une autre société, ne peuvent constituer des remboursements d'apports non constitutifs de revenus distribués, au sens du 1° de l'article 112 du CGI, et sous réserve du respect des conditions auxquelles ces dispositions subordonnent leur application, que dans la limite des apports initialement consentis par cet associé à la société dont il a apporté les titres.

Ainsi, la circonstance que la plus-value réalisée à l’occasion de l’apport a été placée en sursis d’imposition est sans incidence sur l’imposition dans la catégorie des revenus distribués.

Rappelons que l’article 150-0 B du CGI s'applique en cas d'apport de valeurs mobilières ou de droits sociaux à une société de capitaux ou assimilée soumise à l'impôt sur les sociétés, mais que les dispositions ne s'appliquent pas aux opérations d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent lorsque celle-ci est contrôlée par l'apporteur. Les plus-values issues de ces opérations d'apport de titres ne bénéficient pas du régime du sursis d'imposition, mais sont placées de plein droit en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter du CGI. Rappelons également que dans une décision du 27/02/2019 (CE 8e-3e ch. 27/02/2019 n° 408456),  le Conseil d’Etat a jugé qu’Il ressort des travaux parlementaires ainsi que de la lettre de l'article 150-0 B du CGI, faisant entrer dans le champ d'application du sursis d'imposition un apport de titres à une société soumise à l'IS sans autre précision sur la nature de la société apportée, que l'apport de titres d'une société de personnes, au sens de l'article 8 du CGI, n'est pas exclu de ce dispositif.

 CE 24 octobre 2019, n°417367.

Arnaud Soton

Avocat Fiscaliste

Professeur de droit fiscal