Le Conseil d’Etat a jugé que le caractère privilégié du régime fiscal auquel est soumise une entité établie à l’étranger doit s’apprécier au regard de l’imposition dont elle ferait l’objet en France si elle y était établie, en tenant compte, s’il y a lieu, du régime des sociétés mères et filles.

D’une part, aux termes de l’article 123 bis du CGI, lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette entité juridique sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants.

Ainsi, les personnes physiques domiciliées en France qui détiennent 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique étrangère soumise à un régime fiscal privilégié et dont le patrimoine est principalement composé d’actifs financiers sont imposables en France, à raison des revenus de cette entité.

D’autre part, aux termes de l’article 238 A du CGI, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de 40 % ou plus à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies.

 Il faut noter que le taux de 40 % s'applique à compter du 1er janvier 2020. Dans la version applicable au litige, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies.

Le Conseil d’État considère dans cette affaire que pour déterminer l’imposition que supporterait en France l’entité étrangère si elle y était établie, il y a lieu de prendre en compte la possibilité dont disposerait, le cas échéant, l’intéressée d’opter pour le régime des sociétés mères défini aux articles 145 et 216 du CGI.

En effet, aux termes de l’article 216 du CGI, les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. La quote-part de frais et charges est fixée à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris.

Dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat, un couple a fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2009 et 2010 et d'un contrôle sur pièces portant sur l'année 2011.

A l’issue de cet ESFP, l'administration fiscale a procédé à des rehaussements de l'impôt sur le revenu et des prélèvement sociaux dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement de l'article 123 bis du CGI, à raison des bénéfices réalisés par une société de droit luxembourgeois dont le couple détenait la totalité du capital.

Les contribuables ont saisi le tribunal administratif de Montreuil, lui demandant de prononcer la décharge des impositions supplémentaires. Par un jugement du 18 juin 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.

En appel, la cour administrative d'appel de Versailles a prononcé un non-lieu pour l'année 2010 à hauteur des sommes dégrevées en cours d'instance et, pour les années 2010 et 2011, prononcé la décharge, en droits et pénalités, de la part des cotisations supplémentaires de contributions sociales ayant résulté de la majoration de 25 % de leur base imposable et rejeté le surplus de leurs demandes.

Les contribuables se pourvoient en cassation devant le Conseil d’Etat contre les arrêts de la  cour administrative d'appel de Versailles en tant qu'ils leur sont défavorables, en soutenant que la cour d’appel a commis une erreur de droit en jugeant qu'ils ne pouvaient se prévaloir du régime des sociétés mères et filiales défini aux articles 145 et 216 du CGI pour apprécier le caractère privilégié du régime fiscal auquel était soumise la société luxembourgeoise.

Le Conseil d’Etat leur donne raison sur ce point. En effet, selon le Conseil d’Etat, en se bornant, pour juger que la société luxembourgeoise relevait d'un régime fiscal privilégié, à relever qu'elle ne pouvait se prévaloir du régime des sociétés mères au motif que ce régime optionnel relèverait d'une décision de gestion, sans rechercher si elle aurait rempli les conditions pour bénéficier du régime des sociétés mères si elle avait été établie en France, la cour a commis une erreur de droit.

Le Conseil d’Etat retient ainsi les contribuables sont fondés à demander l'annulation des arrêts qu'ils attaquent en tant qu'ils portent sur les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu résultant de l'imposition, sur le fondement de l'article 123 bis du CGI, des bénéfices de la société luxembourgeoise,  au titre des années 2010 et 2011 et sur les pénalités correspondantes. Le Conseil d’Etat a annulé les arrêts de la cour administrative d'appel de Versailles.

Il convient de retenir de cette décision que le régime des sociétés mères fait partie des conditions d’imposition de droit commun  visées par l’article 238 A du CGI. C’est donc un régime d’imposition à part entière qui a vocation à s’appliquer à toutes les entreprises éligibles ; une solution qui devrait ainsi valoir également pour les autres dispositions du CGI faisant référence à la notion de régime fiscal privilégié, telles que les articles 57 sur les transferts de bénéfices à l’étranger, ou le 209 B sur bénéfices provenant de sociétés établies dans un paradis fiscal.

L'article 57 du CGI a pour objet d'empêcher le transfert à l'étranger de bénéfices sur lesquels l’entreprise devrait normalement payer l’impôt en France. Les bénéfices irrégulièrement transférés à l’étranger sont ainsi rapportés aux résultats de l'entreprise. Il y a une présomption de transfert indirect lorsque l'administration établit, d'une part, l'existence de liens de dépendance de droit ou de fait entre l'entreprise française et des entreprises étrangères et, d'autre part, l'octroi d'avantages anormaux consenti à ces entreprises sous forme de majorations ou de minorations de prix, ou de tout moyen de transfert analogue.

Cependant, l’entreprise peut toujours échapper à la rectification en apportant la preuve que les avantages ont été justifiés par l'obtention de contreparties au moins équivalentes.

Le Conseil d’Etat a jugé que c’est à l’administration d’établir que les prix payés par la société française étaient supérieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d’autres clients dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des clients dépourvus de liens de dépendance, sans que cet écart ne s’explique par la situation différente de ces clients.

Ainsi, lorsqu’elle constate que les prix payés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont supérieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d’autres clients dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des clients dépourvus de liens de dépendance, sans que cet écart ne s’explique par la situation différente de ces clients, l’administration doit être regardée comme établissant l’existence d’un avantage qu’elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l’entreprise établie en France, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes. A défaut d’avoir procédé à de telles comparaisons, l’administration n’est, en revanche, pas fondée à invoquer une présomption de transfert de bénéfices, mais doit établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu (CE 29 novembre 2017, n°399349).

Constitue un transfert de bénéfices, au sens de l'article 57 du CGI, des ventes à un prix inférieur au prix de revient auprès de sociétés sœurs étrangères (CE 13-7-2021 n° 448139).

Sur une cession par une société française à sa filiale luxembourgeoise des titres d'une société non cotée en bourse à un prix minoré, le Conseil d’Etat a retenu que l'analyse fonctionnelle doit retenir le rôle effectif de la société dans le groupe (CE 4-10-2021 n° 443130 et n° 443133).

Le transfert est reconnu lorsqu’il y a absence de contrepartie à la prise en charge du développement d'une marque de la société-mère (CE 17-6-2021 n° 433985).

En ce qui concerne les bénéfices provenant de sociétés établies dans un pays à régime fiscal privilégié, l’article 209 B du CGI dispose que lorsqu'une personne morale établie en France et passible de l'impôt sur les sociétés exploite une entreprise hors de France ou détient directement ou indirectement plus de 50 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité établie ou constituée hors de France et que cette entreprise ou entité juridique est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A, les bénéfices ou revenus positifs de cette entreprise ou entité juridique sont imposables à l'impôt sur les sociétés.

Cet article a ainsi pour objectif de dissuader les entreprises françaises de localiser leurs bénéfices dans des paradis fiscaux.

Par exception, l'article 209 B n'est pas applicable aux résultats des implantations réalisées dans un Etat de l'Union européenne, si l'exploitation de l'entreprise ou la détention des titres ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel ayant pour but de contourner la législation fiscale française.

Il s’agit de lutter contre des montages qui consistent à créer des sociétés offshores dans des paradis fiscaux, ou encore des montages plus complexes des sociétés telles que les GAFAM (Google, Apple, Facebook et Amazon, Microsoft), comme le sandwich hollandais ou Dutch sandwich (installation d’une holding aux Pays-Bas qui  facture à la filiale en France des services de droits de propriété intellectuelle, la maison mère augmentant le prix de ces services pour que la filiale ait un bénéfice le plus faible possible, malgré un chiffre d’affaires important, le bénéfice remontant en réalité à la maison mère aux Pays Bas, les Pays-Bas, particulièrement reconnue pour la légèreté de leur fiscalité,  bénéfices qui au final sont expédiés dans une autre holding située dans un autre Etat, comme les Antilles Néerlandaises, avec lequel les Pays-Bas ont un accord défiscalisation), ou le  Double Irish and the Dutch sandwich (création d’une première filiale en Irlande, qui détient les droits intellectuels et qui est détenue par une autre société mère implantée dans un Etat tel que les Bermudes ou les Iles Caïmans, et d’une autre seconde filiale aux Pays-Bas, en Suisse ou au Luxembourg, ayant pour objet de gérer l’activité de la marque et récolter l’ensemble du chiffre d’affaires, qu’elle  transfère via la seconde filiale à la première société irlandaise au titre de règlement de royalties, des fonds qui sont transférés, par la suite, aux Bermudes ou aux Iles Caïmans, où est implantée la société mère).

CE 14-2-2022 n° 442061 et 442062

Arnaud Soton

Avocat fiscaliste

Professeur de droit fiscal