Les réseaux au secours de la démocratie locale, vers un libéralisme accru.
Comment l’ère des réseaux sociaux est-elle entrain d’influencer directement les rapports de force entre majorité et opposition au sein des collectivités locales ?
On ne vous apprendra rien en vous indiquant que les réseaux sociaux ont désormais une influence majeure dans tous les domaines de la société, au risque d’enfoncer des portes ouvertes... Cet impact majeur des médias sociaux irrigue désormais la vie publique et politique locale de manière incontestable.
Toutefois, de (très) nombreuses majorités municipales ignorent trop souvent qu’elles sont désormais également dans l’obligation d’octroyer des garanties d’expression sur leurs pages dématérialisées au même titre que le « vieux » bulletin municipal distribué dans les boîtes aux lettres.
Cela n’est pas sans générer un bouleversement majeur dans la mesure ou les pages Facebook voir Twitter des municipalités sont régulièrement suivis par des milliers de « fans ».
Les classements des dix villes les plus suivies, ou les plus actives étant régulièrement publiés...
D’ailleurs, nombreux sont les maires aux ambitions nationales, à avoir compris avant tout le monde l’importance d’alimenter en priorité en terme de contenu éditorial, les pages des réseaux sociaux plutôt que le classique bulletin. En effet, là ou le bulletin papier ne s’adresse qu’aux habitants de la commune, n’importe quel citoyen peut liker, follower, targetter et partager les actualités d’une commune, mettant ainsi en lumière auprès de potentiels milliers de lecteurs, le « fabuleux » dynamisme de certaines villes.
Cela a son importance non seulement dans un contexte de constante élection mais aussi dans un environnement de plus en plus concurrentiel entre les communes (pour un article sur l’impact des nouvelles technologies au niveau territorial).
C’est ainsi que de plus en plus de jurisprudences particulièrement intéressantes ont pu se développer ces dernières années (pour un article relatif aux droits généraux des élus d’opposition).
La démocratie au niveau local suppose donc que les élus d’opposition puissent s’exprimer librement à destination de leurs administrés.
Cette libre communication peut s’exercer à travers les bulletins d’informations de la collectivité. En effet, l’article L.2121-27-1 du CGCT prévoit cette possibilité pour les élus de l’opposition.
C’est le règlement intérieur adopté par le conseil municipal qui définit les modalités dans lesquelles s’exerce ce droit de libre expression (article L.2121-8 du CGCT).
Néanmoins, cette liberté d’expression a dû s’adapter au développement des nouvelles technologies et notamment eu égard à la dématérialisation de l’information et de la communication.
I/ Une confirmation de l’extension de la libre expression des élus de l’opposition.
Avec le développement des nouvelles technologies et notamment celui des réseaux sociaux, les élus de l’opposition ont vu leurs moyens de communication s’élargir.
En effet, l’article L.2121-27-1 du CGCT précité, n’apporte aucune précision sur les supports des moyens d’expression des élus de l’opposition.
Peuvent donc être utilisé aussi bien le support papier mais également le support numérique : les nouvelles technologies de communication et d’information peuvent donc rentrer dans le champ d’application de l’article L.21212-27-7 du CGCT.
Tel est le sens des dernières jurisprudence rendues en la matière.
Il a déjà été admis que la liberté d’expression puisse être exercée à la télévision, sur une chaîne locale.
Cette télévision locale doit réserver un droit d’expression des élus n’appartenant pas à la majorité municipale (TA Lyon 15 février 2007, n°0404876).
En effet, il est constant que « toute mise à disposition du public de messages d’information portant sur les réalisations et la gestion du conseil municipal doit être regardée, quelle que soit la forme qu’elle revêt, comme la diffusion d’un bulletin d’information générale ».
Le support papier n’est donc pas le seul moyen accepté pour permettre les élus de l’opposition pour pouvoir s’exprimer.
C’est à ce titre, qu’a été reconnu comme étant un bulletin d’information, le site internet d’une commune si celui-ci sert à diffuser des informations générales sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, alors même que la collectivité a réservé un espace aux élus de l’opposition d’un un magasine municipale pour exprimer leur droit d’expression (CAA Versailles, 17 avril 2009, N° 06VE00222).
C’est ce qu’a rappelé le tribunal administratif de Dijon dans son jugement du 29 septembre 2016 en estimant que « le site internet de la ville de Migennes ne se borne pas à délivrer des informations pratiques aux habitants de la commune mais comporte notamment un onglet libellé « Les projets » faisant un état commenté des différents chantiers menés par la majorité municipale ».
Dès lors, le site internet de la Commune de Migennes constitue un bulletin d’information général au sens des dispositions de l’article L.2121-27-7 du CGCT.
Il s’agit ici d’une jurisprudence constante.
Si le juge réaffirme la qualification de bulletin d’information général pour la page internet d’une commune, il va également prendre en compte les nouveaux moyens numériques mis à dispositions mais cette reconnaissance doit être tempérée.
II/ Vers un élargissement des supports dématérialisés permettant l’expression des élus de l’opposition.
L’évolution des nouvelles technologies et le développement des réseaux sociaux ont contribué au développement des supports permettant la liberté d’expression des élus de l’opposition.
C’est ainsi que le tribunal administratif de Dijon a pu reconnaître la qualification de bulletin d’information pour la page Facebook d’une commune.
Cette position du tribunal administratif de Dijon confirme un jugement antérieur du tribunal administratif de Montreuil qui avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la question.
Ce dernier avait pu retenir qu’il appartenait au règlement intérieur d’un conseil municipal de prévoir un espace réservé à l’expression des élus d’opposition sur la page Facebook officielle de la commune et d’en fixer les modalités pratiques (TA Montreuil 02 juin 2015, n°1407830).
C’est ainsi que, dans la continuité de ce jugement, le tribunal administratif de Dijon estime : « que, de même, la page Facebook officielle de la ville de Migennes comporte de nombreux documents écrits, photographiques et vidéos retraçant, en temps réel, l’action de la majorité municipale ; qu’en outre, un lien hypertexte invite les internautes consultant le site internet de la ville de Migennes à suivre l’actualité de la ville sur sa page Facebook, créant ainsi un lien permanent entre ces deux outils de communication ; Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, ces deux supports dématérialisés doivent être regardés comme constituant un bulletin d’information générale au sens des dispositions précitées de l’article L. 2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales ; »
Ainsi, la page Facebook d’une commune est assimilée à un bulletin d’information permettant aux élus de l’opposition de s’exprimer, dès lors que celle-ci ne se borne pas à délivrer des informations seulement pratiques aux habitants de la commune.
Dès lors, le champ d’application de l’article L.2121-27-7 est élargi.
Néanmoins cette reconnaissance des nouveaux supports de communications doit être tempérée.
Le tribunal administratif apporte une limite à cette extension du droit de libre expression aux supports dématérialisés. En effet, n’entre pas dans la qualification de bulletin d’information général le compte Twitter de la commune en raison de la définition même et du fonctionnement de ce support dématérialisé, lequel constitue un outil de micro blocage personnalisé, limité en nombre de caractères et fonctionnant en temps réel.
Le compte Twitter d’une commune n’est donc pas constitutif d’un bulletin d’information général et le règlement intérieur d’une commune n’a pas à prévoir un espace à cet effet pour les élus de l’opposition.
Ainsi le droit d’expression des élus de l’opposition d’une commune peut s’exercer librement sur de nombreux supports, notamment dématérialisés, or échappe à la qualification de bulletin d’information général, le compte Twitter d’une Commune dont le fonctionnement (chaque tweet ne pouvant comporter que 140 signes maximum) apparait difficilement conciliable avec la notion d’espace réservé pour les élus de l’opposition.
Pour conclure, ce jugement est non seulement une confirmation de l’extension de la libre expression des élus de l’opposition avec l’aide des supports numériques mais apporte par ailleurs une précision importante sur le développement des réseaux sociaux et leur compatibilité avec cet exercice.
A PROPOS - Benjamin INGELAERE est Avocat en Droit Public à Arras et Paris.
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