La sonnette retentit ! Audience au Tribunal de Grande Instance de Grasse. Généralement, les audiences à juge unique dudit jour ne sont pas trop chargées, ce qui nous permet de regagner notre cabinet dans la matinée.

Par ordre du rôle, mon dossier sera appelé en septième position. S'il y a quelques dépôts ça ne devrait pas être trop long. Prendre son mal en patience. Après tout, à 8 h 30, la position horizontale n'étant pas si loin, et le manque de sommeil se faisant sentir, il fait bon se poser quelques instants pour finir sa nuit.

Et tandis que mon attention grandissait au fur et à mesure que je me réveillais, voilà qu'une affaire reflétant les moeurs perverties et malsaines de la société (dixit le demandeur) se voit appelée.

Le cas d'espèce :

Un copropriétaire d'un immeuble bourgeois d'une ville sous le feu des projecteurs a décidé d'installer une webcam dans les escaliers, parties communes, prétextant un risque de cambriolage du fait d'un changement de fermeture de la copropriété...

La caméra était dirigée vers « la montée des marches » de l'escalier, afin de voir l'ensemble des mouvements animant cette copropriété.

Le voisin du dessus, en sa qualité de détective, invoquait la violation de sa vie privée !

Et voilà nos confrères partis dans la diatribe, d'un côté, du caractère malsain et tordu de l'installation, de l'autre, d'une webcam, qui me filme pas, ne prend pas de cliché, mais est simplement là pour voir ce qui se passe, pour surveiller la porte d'entrée en cas d'actes malveillants !

Et ça dure, et ça dure !!!

Et ça se termine enfin, non sans avoir attiré l'attention du chaland qui s'était égaré dans cette pauvre salle désertée attendant désespérément son tour, à entendre parler de webcam, au lieu de projecteur...et de star de cinéma...

Mon tour est arrivé ! Victoire ! Je me lève. Mais voilà, ce que tout le monde redoute à la lecture d'un rôle ou au moins au moment de l'appel des causes, c'est qu'un avocat d'un barreau extérieur, et surtout parisien ne se déplace EN PERSONNE pour plaider, à la place de son postulant.

Ce qui devait arriver arriva, le confrère grassois qui me précède attend son contradicteur, un avocat du Barreau de Paris. Et l'avocat parisien de rentrer dans la salle d'audience à ce moment précis où je me lève ! Miséricorde ! Mais qu'ai-je fait pour mériter ça !!!

Je retourne à ma léthargie en tendant l'oreille par peur de voir un autre dossier me passer devant. Et soudain, j'entends.... caméra, expert ???

Mais non, me dis-je, ils ne vont pas nous la rejouer deux fois, elle a déjà été plaidée c'taffaire ! Zut, ce n'est pas la même ! Pourtant, il y a un lien de connexité !

Le cas d'espèce :

Une dame du monde qui possède une jolie villa dans un endroit chic, déverse des matières fécales chez son voisin du dessous ! Le fonds servant !!!

C'est une plaisanterie ? On retrouve des matières fécales provenant vraisemblablement de l'immeuble dominant sur l'immeuble servant ! Beurk, c'est à vous dégouter d'un café tant espéré qui tarde à être bu.

L'expertise menée était insuffisante pour faire preuve de la responsabilité de la dame du monde, car...selon le confrère parisien, d'une part du fait que l'accédit avait été fixé et connu par l'ensemble des parties, on n'était pas à l'abri d'actes malveillants de la part du propriétaire du fonds servant, et d'autre part, il aurait fallu expertiser les tuyaux d'écoulement des eaux pour savoir s'ils étaient défectueux !

La réflexion toute trouvée du confrère Grassois : Madame le Président, mon client, vu son âge avancé, a autre chose à faire que d'aller déposer ses excréments sur son propre terrain avant une expertise !!

Mon attention est à son apogée quand c'est un peu farfelu ! Et une réflexion lumineuse me traverse l'esprit : Pour faire gagner du temps et faire justice, il n'y a qu'à joindre les deux dossiers, comme ça on ira voir ce qui se passe dans les tuyaux de la dame avec la webcam du monsieur !!!

C'est mon tour, mon dossier est d'une banalité...j'en ai honte ! Audience levée à 11 h 15...