Impossible de comprendre pourquoi machinalement je prends la route du bureau.
N'y a-t-il pas autre chose ? Une autre réalité qui aurait un sens ?
Pourquoi ne suis-je pas aventurier ? Explorateur ? Moine ?
Ma liberté ?
Je reste prisonnière d'une geôle dont les murs sont l'agressivité la suspicion, la méfiance, le désordre de l'autre.
- Hé vous là, déclinez votre identité, et vite !
(On ne m’avait jamais parlé comme ça, et bien, je suis outrée ! Soit, s’agissant de mon métier, ne faisons pas de zèle et déférons à l’ordre).
- Identité : ben moi
- Âge ?
- Trop jeune assurément, ça nuit à ma réputation !
- Adresse ?
-Mon bureau principal, je vais y installer un lit tellement j’y passe de temps !
- Avez-vous un bureau secondaire ?
-…heu…oui….ma voiture…
- Profession ?
- Navoca très fier !
- Connaîs pas !
- Heuuu éponge à stress...Mais si éloignée de Bob qui a une bonne bouille !
- Ah voilà qui est mieux, expliquez-nous ça :
- Et bien de mon métier (j’aime ce terme plutôt que celui de travail ou de profession, parce que la connotation n’est pas péjorative, ça démontre un certain savoir faire, proche des métiers manuels, faire quelque chose de ses mains) j’ai découvert des facettes dont j’ignorai jusqu'à l’existence.
Loin d’être un homme de droit, je suis une femme oreille, ou pire une femme éponge.
* Il y a les inquiets. Ceux-là même qui me demandent si j'ai peur de l'adversaire qui fait 1 m 80 et 100 kilos, ou qui est si vieux que la connaissance s'est diffusée à défaut d'être perfusée, qui m'implorent d’être bon et de bien les défendre (ce qui démontre leur questionnement à ce sujet) ; répandent sur moi leur flot de rancoeur, de hargne envers l'adversaire (ce qui peut être légitime), de déception, de doute, de renoncement à tout, pour que, forte de mes convictions et des joies de mon métier avant l'audience, je leur dise :
Mais non ! réagissez ! ne vous posez pas en victime, c’est un discours que je ne tolère pas !
Il cherche en fait en dernier ressort (un comble dans une affaire où l'appel est possible), une assistance sociale qui ne pourrait pas les brusquer mais chez qui, il pourrait se délester de leur misère intérieure. Je dois alors leur montrer que je suis forte pour deux, que je suis le sauveur qu’ils dénigreront si mon intervention s’avère vouée à l’échec, quand bien même leur affaire l’était à l'origine, avec ou sans moi.
* Il y a aussi les suspicieux, ceux qui connaissent tout, qui ont des amis partout, surtout au tribunal pour savoir si vous avez bien fait votre travail, si vous ne leur cachez rien. Ils s'épanchent insidieusement.
Il y a ceux qui ne comprennent rien, qui sont gentils mais dont la stupidité aura eu raison de vous, alors que vous n’avez jamais douté de votre résistance. Leur question suivante démontre cruellement qu’ils n’ont pas compris un traite mot de votre longue explication, qui vous appelleront tous les jours sur votre téléphone portable, parce qu’un navoca c’est joignable tout le temps, sinon on en change !
Et malgré tout vous résistez, parce que vous avez un métier !
Un métier ébranlé, mais un métier quand même.
Il faut alors presser l'éponge pour qu'elle redevienne toute neuve, prête pour une nouvelle utilisation. Et cet essorage ne vient pas obligatoirement de clients qui vous féliciteraient. Non ! Sans préavis, il peut survenir au détour d'une audience.
Et bien voilà, aujoud’hui, j’ai rencontré un extraterrestre au Tribunal. Un extra terrestre au discours atypique, tout droit sorti des sentiers battus, loin du formatage qu’il combat en secret, un réconfort d’extraterrestre dont la philosophie me laisse sans voix (un comble pour un navoca qui assiste son client) et qui me fait penser que les avocats sont quelquefois compris au palais, sans rivalité ni clivage de bord selon que l’on est assis ou debout.
Et l'on se met à louer l'ancien système de recrutement des magistrats qui n'avait encore pas prévu de test psychologique à l'époque où il a revêtu sa robe de satin, parce qu'avec le formatage actuel et le moule étriqué, pas sûr qu'il aurait eu sa place pourtant si légitime.
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