Commentaire de l’arrêt du 19 mars 2020 de la Cour da cassation,

Chambre Civile 3ème, n°18-25.585

 

Faits et Procédure

La société SRK Immobilier, maître de l’ouvrage, a conclu avec la société Rochatic, un contrat de maîtrise d’œuvre, aux termes duquel, il lui a été confié une « mission de maîtrise d’œuvre complète ».

Le 26 juillet 2012, le maître de l’ouvrage a conclu avec la société FGTP un contrat d’entreprise, lui confiant les travaux de terrassement, VRD, et espaces verts.

Le choix de cette société avait été conseillé par le maître d’œuvre.

Le 20 juillet 2011, la société FGTP avait été placée en redressement judiciaire.

Pendant l’exécution des travaux, le maître de l’ouvrage a reproché à la société FGTP, des non-conformités dans les matériaux utilisés, ainsi que son absence de sécurité financière, en raison de la procédure de redressement judiciaire.

De sorte que le 12 décembre 2012, le maître de l’ouvrage a résilié le contrat de la société FGTP, qui a fait l’objet d’une liquidation judiciaire le 17 avril 2013.

A la suite d’une expertise ayant révélé des non-conformités et des désordres apparus avant réception, le maître de l’ouvrage a assigné en réparation, le maître d’œuvre et son assureur, ainsi que le Liquidateur Judiciaire de la société FGTP.

 

La Cour d’appel de Rennes a jugé que le maître d’œuvre était responsable à 50 % du préjudice subi par le maître de l’ouvrage.

 

Le maître de l’ouvrage a formé un pourvoi en cassation reprochant ainsi à la Cour d’appel d’avoir limité la part de responsabilité du maître d’œuvre à hauteur de 50 %, alors que ce dernier était tenu « d’une mission de maîtrise d’œuvre complète ».

 

Problème de droit

 

Un maître d’œuvre titulaire d’une mission complète d’exécution est-il tenu à la réparation intégrale du préjudice du maître de l’ouvrage ?

 

 

Moyens soulevés par le pourvoi

1er moyen :

Le maître de l’ouvrage reprochait au maître d’œuvre d’avoir manqué à son obligation de conseil et d’avertissement quant au choix de l’entreprise FGTP, dont il était raisonnablement prévisible qu’elle soit placée en liquidation judiciaire.

Il en déduit que le maître d’œuvre aurait dû lui déconseiller le choix de cette entreprise.

Pour cela, le maître de l’ouvrage s’est appuyé sur une clause du contrat stipulant :

« l’architecte déconseille le choix d’une entreprise si elle lui parait ne pas présenter les garanties suffisantes ou ne pas justifier d’une assurance apte à couvrir ses risques professionnels ».

Ne l’ayant pas alerté sur le risque de choisir cette entreprise, le maître de l’ouvrage a considéré que son maître d’œuvre avait commis une faute, le rendant responsable du préjudice lié à la résiliation du contrat de la société FGTP.

Tel n’a pas été l’avis de la Cour d’appel, ni celui de la Cour de cassation.

La Cour d’appel a relevé dans le contrat qui liait le maître de l’ouvrage au maître d’œuvre la clause suivante :

« le maître de l’ouvrage s’assure de la bonne situation financière et juridique de l’entrepreneur susceptible d’être retenu pour réaliser tout ou partie des travaux »,

Selon la Cour de cassation, la Cour d’appel n’a pas dénaturé la clause du contrat soulevée par le maître de l’ouvrage, dans la mesure où le préjudice qui était reproché au maître d’œuvre, résultait directement du propre manquement à l’obligation contractuelle du maître de l’ouvrage.

On voit là resurgir l’exigence pour le créancier d’apporter la preuve du « caractère prévisible » du préjudice, résultant de de l’inexécution de l’obligation de son débiteur.

2ème moyen :

Le maître de l’ouvrage reprochait également à la Cour d’appel d’avoir jugé que les fautes relevées dans la mission de suivi du chantier, s’agissant des travaux de remblais et de terrassements de la société FGBT, n’avaient pas conduit à une réparation intégrale de son préjudice.

 

La Cour d’appel a considéré qu’en raison de la clause contractuelle stipulant :

« l’architecte ne sera responsable que dans la mesure de ses fautes professionnelles et ne pourra être tenu responsable, ni solidairement ni in solidum, des fautes commises par d’autres intervenants (…) ».

Là aussi, on voit que le maître de l’ouvrage tend à faire valoir le principe de la réparation intégrale du dommage, mais il est rattrapé par la nécessité d’apporter la preuve du caractère de « prévisible » et « direct » du préjudice, résultant de l’inexécution d’une obligation contractuelle.

Cela explique la Cour de cassation ait rejeté le moyen en répondant :

« la cour d’appel, qui a constaté que la clause prévoyait que « l’architecte ne peut être tenu responsable de quelque manière que ce soit, et en particulier solidairement, des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d’ouvrage ou des autres intervenants dans l’opération faisant l’objet du présent contrat », a pu en déduire que, en application de cette clause, la responsabilité de l’architecte était limitée aux seuls dommages qui étaient la conséquence directe de ses fautes personnelles, en proportion de sa part de responsabilité ».

En matière de responsabilité contractuelle, le débiteur ne peut être tenu de réparé que les conséquences directement et étroitement liées à l’inexécution de son obligation (cf. Cass.com.13 juin 2019, n°18-10688).

 

 

 

 

3ème moyen :

Le maître de l’ouvrage avait reproché à la Cour d’appel de ne pas lui avoir accordé l’indemnité d’interruption prévue au contrat conclu avec le maître d’œuvre, alors qu’elle avait relevé que ce dernier avait continué de poursuivre l’exécution du chantier avec la société FGBT, malgré l’absence de conformité des travaux.

Dès lors, le maître d’œuvre avait manqué à son obligation de suivi du chantier.

La Cour d’appel, qui a constaté ce manquement à l’obligation contractuelle du maître d’œuvre, n’a toutefois pas sanctionné par le versement de l’indemnité prévue au contrat.

C’est donc à juste titre au visa de l’article 1147 ancien, que la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel, qui n’a pas sanctionné le débiteur, alors que le maître de l’ouvrage avait apporté la preuve du caractère prévisible et direct de son préjudice résultant de l’inexécution de l’obligation contractuelle de son débiteur. 

Cet arrêt tend à rappeler la dichotomie qui existe entre le régime de la responsabilité contractuelle et délictuelle, où par définition, l’auteur du dommage délictuel ne peut connaître à l’avance les conséquences directes de son acte.