RESPONSABILITE DU NOTAIRE

CIVIL | Responsabilité
Le notaire qui manque à son devoir d’assurer l’efficacité juridique de l’acte reçu par ses soins doit réparer le dommage directement causé par sa faute, quand bien même la victime aurait disposé, dans le procès qui en découle, d’un moyen de défense qui aurait permis de limiter les effets préjudiciables de la situation dommageable.

Civ. 1re, 22 sept. 2016, FS-P+B, n° 15-13.840

Dans une importante série de décisions, dont celle-ci concerne un notaire, la première chambre civile rappelle que la « responsabilité des professionnels du droit ne présente pas un caractère subsidiaire ». Bien sûr, cette formulation n’est pas neuve et le caractère subsidiaire de la responsabilité des professionnels du droit avait déjà été affirmé par la Cour de cassation, dans une autre série d’arrêts rendus récemment (Civ. 1re, 25 nov. 2015, nos 14-26.245 et 15-11.115, Dalloz actualité, 9 déc. 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 2502 ; ibid. 2016. 553, chron. D. Sindres ; AJDI 2016. 288 , obs. J.-P. Borel ; RTD civ. 2016. 351, obs. H. Barbier ; v. égal. 9 déc. 2015, n° 14-24.854 ; sur ces trois décisions, v. O. Deshayes, RDC 2016. 221 ; et avant, 5 févr. 1991, n° 89-13.528, Bull. civ. I, n° 46 ; 13 févr. 1996, n° 93-18.809, Bull. civ. I, n° 81). De cette règle de principe, rappelée sur le fondement d’un moyen relevé d’office et au visa de l’article 1382 du code civil, la Cour en déduit une conséquence très nette : le notaire qui manque à son devoir d’assurer l’efficacité juridique de l’acte qu’il reçoit doit réparer le dommage directement causé par sa faute, ce, quand bien même la victime aurait disposé, dans le procès engagé contre elle par un tiers en conséquence de la faute professionnelle de l’officier ministériel, d’un moyen de défense de nature à limiter les effets préjudiciables de la situation dommageable.

En l’espèce, l’acquéreur de deux parcelles s’était trouvé confronté à l’action en revendication du véritable propriétaire de l’une d’entre elles, ce qui avait conduit au prononcé d’une décision, devenue irrévocable, d’expulsion et de démolition de la maison d’habitation qu’il y avait édifiée. Aussi l’acquéreur évincé avait assigné le notaire en responsabilité afin d’obtenir réparation du préjudice subi. La cour d’appel avait entendu limiter la responsabilité du notaire, estimant que l’acquéreur avait lui-même commis une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage. En effet, il s’était abstenu de revendiquer, sur le fondement de l’article 555, alinéa 4, du code civil, sa qualité de constructeur de bonne foi dans le litige l’ayant opposé au propriétaire de la parcelle. Or ce moyen, selon la Cour, lui aurait permis d’obtenir l’indemnisation de son préjudice au titre de la démolition. Les motifs de la cour d’appel sont censurés par la première chambre civile pour les raisons précédemment évoquées. Le notaire doit réparer le dommage directement causé par sa faute, peu important que la victime dispose ou non d’un moyen de défense dans le procès qu’il a contribué à susciter. C’est bien par la faute de l’officier ministériel que cette instance a été engagée, parce qu’il a commis une erreur au moment où il instrumentait.

Avec cette solution, la Cour de cassation persiste alors que l’arrêt du 25 novembre 2015 n’avait pas levé tous les doutes (V. en ce sens la note de D. Sindres, D. 2016. 553 ; v. égal. O. Deshayes, note préc.). Au vu de l’ensemble de ces arrêts, en les rapprochant, on peut tout de même s’entendre sur les conséquences pratiques de cette règle affirmant le caractère non subsidiaire de la responsabilité des professionnels du droit. Au-delà de l’absence d’incidence sur le principe même de la responsabilité d’un moyen de défense susceptible de limiter le préjudice subi, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser, à propos d’un avocat, que la mise en jeu de sa responsabilité « n’est pas subordonnée au succès de poursuites préalables contre un débiteur et qu’est certain le dommage subi par sa faute quand bien même la victime disposerait, contre un tiers, d’une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice » (Civ. 1re, 22 sept. 2016, n° 15-20.565, D. 2016. 1926 ; v. égal., à propos d’un notaire, 22 sept. 2016, n° 15-21.566). La notion de professionnel du droit est suffisamment générale pour englober l’ensemble des professions judiciaires. Il semble que la solution devrait être la même pour les professionnels du chiffre (v. D. Sindres, préc. ; sont également concernés les généalogistes, v. O. Deshayes, note préc.). En effet, dès lors que de telles solutions se réclament des principes mêmes du droit de la responsabilité civile, ils seront certainement concernés.

par Thibault de Ravel d'Esclaponle 5 octobre 2016