La justice en accusation pour avoir placé sur écoute l'avocat d'un sans-papiers 

Publié le 31 mai 2001 à 13h07 - Mis à jour le 31 mai 2001 à 13h07

 

La justice a commis une faute et elle l'a reconnu avec force, mercredi 30 mai, devant la première chambre civile du tribunal de grande instance de Paris. Cette juridiction avait été saisie par Christophe Moysan, avocat à Tours, et son épouse, qui s'estimaient victimes d'un "fonctionnement défectueux du service de la justice".

L'affaire avait commencé en octobre 1997. A l'époque, Bendehiba Selamnia, un Algérien sans papiers, cherchait, pour régulariser sa situation, à épouser une compatriote résidant en France en toute légalité. Mais le maire qui devait célébrer la cérémonie suspecta un mariage de complaisance et alerta le procureur de la République de Tours. Le 10 novembre 1997, celui-ci saisit le juge d'instruction Xavier Rolland pour qu'il ouvre une enquête. On soupçonnait Bendehiba Selamnia d'avoir notamment soutiré de l'argent à sa "promise" et d'avoir exercé des pressions sur elle pour qu'elle l'épouse.

Une semaine plus tard, le magistrat demanda que le cabinet et le domicile de Christophe Moysan, avocat du sans-papiers algérien, soient placés sur écoute téléphonique. La surveillance dura du 20 novembre au 10 décembre 1997. Quarante-deux cassettes furent versées au dossier. Christophe Moysan en apprit l'existence dans des conditions rocambolesques (Le Mondedu 23 juillet 1998). Mais l'avocat ne fut jamais poursuivi ; mieux, le 10 septembre 1998, la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Orléans prononça la nullité des écoutes pratiquées, au motif qu'elles violaient les droits de la défense. Quant à Bendehiba Selamnia, qui passa huit mois en détention provisoire, il fut condamné pour "séjour irrégulier"à deux mois de prison avec sursis (Le Mondedu 29 mars 2000), avant d'être... régularisé par la préfecture d'Indre-et-Loire !

LA NOTION DE "FAUTE LOURDE"

Mercredi, les époux Moysan assignaient donc l'Etat devant une juridiction civile pour obtenir réparation. "Toute la difficulté dans cette affaire est de savoir si l'erreur d'un juge constitue une faute lourde du service public de la justice", a insisté le président, Jean-Claude Magendie. Que disent les textes et la jurisprudence ? D'abord, le secret professionnel de l'avocat est un droit absolu, mais il peut ne plus jouer lorsqu'un avocat est soupçonné d'avoir participé à une infraction. Or "aucun élément du dossier ne permettait de penser que Me Moysan avait quelque chose à se reprocher",a souligné Me Jean-Michel Sieklucki, l'un de ses conseils. En prescrivant des écoutes téléphoniques, le juge Rolland a manié "le marteau-pilon" sans motif valable, selon Me Sieklucki. Ensuite, en matière judiciaire, la "faute lourde" a notamment été définie par un arrêt de la Cour de cassation comme étant celle "commise sous l'influence d'une erreur tellement grossière qu'un magistrat soucieux de ses devoirs n'y eût pas été entraîné". Les écoutes ordonnées par Xavier Rolland correspondent à cette définition, a estimé Me Henri Leclerc, l'autre avocat de Christophe Moysan.