Voici un panorama de décisions rendues en droit immobilier, de l'urbanisme et en droit public sur la période janvier-février 2025.
(disponible également sur mon site web : https://www.clairegiordanoavocat.fr)
1) CE, 16 janvier 2025, n°23-17.265
Construction
Sur le fondement de la garantie décennale (art. 1792 du code civil), le maitre de l'ouvrage a le choix entre demander la réparation en nature des désordres, ou demander une réparation "par équivalent" (le préjudice étant alors chiffré et indemnisé).
Le principe bien établi en jurisprudence est que « l'entrepreneur, responsable de désordres de construction, ne peut imposer à la victime la réparation en nature du préjudice subi par celle-ci » (Civ. 3e, 28 septembre 2005, n° 04-14.586), notamment lorsque celle-ci opte pour la réparation "par équivalent".
Il en est de même du juge.
La Cour de Cassation a, en effet, eu l'occasion d'affirmer que « le juge du fond ne peut condamner un constructeur responsable de désordres à procéder à leur reprise en nature, lorsque le maître de l'ouvrage s'y oppose ».
2) CE 4 février 2025, n°494180, Lebon
Urbanisme
L’article R. 423-19 du Code de l’urbanisme prévoit spécifiquement que « le délai d'instruction court à compter de la réception en mairie d'un dossier complet ».
Dans l'hypothèse où le dossier ne serait pas complet, le Conseil d'Etat rappelle qu'il n’existe que deux conditions pour qu’une demande de pièces complémentaires interrompe le délai d'instruction et fasse ainsi obstacle à la naissance d’un permis tacite :
- elle doit être faite dans délai d’un mois à compter de la date de dépôt de la demande (art. R. 423-38 du Code de l’urbanisme),
- elle doit porter a minima sur une pièce pouvant légalement être exigée, c'est-à-dire sur une pièce énumérée dans le livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme (V. en ce sens CE, Section, 9 décembre 2022, Commune de Saint-Herblain, n° 454521),
Peu importe que la pièce demandée présente une utilité pour l’instruction du dossier.
3) Civ. 3e, 23 janv. 2025, n° 23-19.970, FS-B
Servitude
Il existe un principe bien établi selon lequel le locataire d'une propriété ne peut agir afin de faire reconnaitre l'existence d'une servitude de passage au profit du fonds qu'il loue.
La Cour de cassation a toutefois reconnu que le locataire n'était pas dépourvu de toute action relative à une servitude de passage.
Dans l'arrêt commenté, le juge affirme que le locataire peut agir en référé en cas d'atteinte au droit de passage bénéficiant à ce fonds, pour que l'accès soit rétabli.
4) Cass. 3e civ., 9 janv. 2025, n°23-20665, FS–B
Domaine
L'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime définit les chemins et sentiers d'exploitation comme ceux servant exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation.
Rappelons qu'en l'absence de titre, les chemins d'exploitation "sont présumés appartenir aux propriétaires riverains", et leur usage est "commun à tous les intéressés".
Dans cet arrêt, la Cour de Cassation a eu l'occasion de rappeler que "le droit de propriété d'un riverain sur le sol du chemin n'exclut ni la qualification de chemin d'exploitation (3e Civ., 23 octobre 1974, pourvoi n° 73-13.139, Bull., III, n° 377 ; 3e Civ., 9 mars 1977, pourvoi n° 75-13.647, Bull., III, n° 116) ni le droit d'usage de celui-ci par les autres propriétaires riverains du chemin (3e Civ., 26 février 1986, pourvoi n° 84-11.706, Bull., III, n° 19 ; 3e Civ., 5 février 1997, pourvoi n° 95-12.106, Bull., III, n° 31 ; 3e Civ., 24 novembre 2010, pourvoi n° 09-70.917, Bull., III, n° 208)".
En d'autres termes, la propriété privée d'un chemin ne fait pas obstacle à l'application de l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime.
5) Civ. 3e, 16 janv. 2025, n° 23-21.174, FS-B
Expropriation
Rappelons que l'introduction d'un recours devant le juge administratif aux fins d'annulation d'une déclaration d'utilité publique ou d'un arrêté de cessibilité ne fait pas obstacle à ce que la procédure d'expropriation soit poursuivie, et que le transfert de propriété soit prononcé.
Toutefois, en cas d'annulation d'une de ces décisions par le juge administratif, l'ordonnance d'expropriation sera nécessairement dépourvue de base légale, et devra donc être annulée.
Pour ce faire, le Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, en son article L.223-2, offre la possibilité à l'exproprié de faire constater par le juge de l'expropriation "que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale" afin qu'il en tire toutes les conséquences.
La Cour de Cassation a longtemps considéré que " cette faculté ne faisait pas obstacle, pour l'exproprié, (...) de former un pourvoi en cassation avant le prononcé de cette annulation, pour demander la cassation par voie de conséquence de l'annulation à intervenir (3e Civ., 17 décembre 2008, pourvoi n° 07-17.739, publié)".
Par cet arrêt, le juge va toutefois mettre fin à cette pratique.
Il considère désormais que "l'annulation à intervenir de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité ne donne pas lieu à ouverture à cassation de l'ordonnance d'expropriation pour perte de fondement légal".
6) Cass., 3ème 16 janvier 2025, n° 23.20925
Expropriation
Dans le cadre d'une procédure contentieuse relative à une expropriation, l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation impose à l'appelant, à peine d'irrecevabilité de son appel, de déposer ses conclusions et ses pièces dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel.
Cet article avait toujours été apprécié sévèrement par le juge en ce sens qu'il imposait que les conclusions mais également l'ensemble des pièces soient déposées dans ce délai de trois mois.
La Cour de Cassation a toutefois décidé d'assouplir sa position en estimant que la recevabilité de l'appel n'est conditionnée qu'au seul dépôt des conclusions dans le délai de trois mois.
Ainsi, l'appelant peut transmettre les pièces à la juridiction au-delà du délai de trois mois sans risquer de se voir opposer une irrecevabilité de sa demande
7) CE, 4 février 2025, n° 493747
Domaine
L'article L.240 du code de l'urbanisme attribue aux communes un droit de priorité spécifique sur certains projets de cession d'immeubles ou droits sociaux.
Elles disposent, en effet, d'un droit de priorité sur tout projet de cession d'un immeuble ou de droits sociaux donnant vocation à l'attribution en propriété ou en jouissance d'un immeuble ou d'une partie d'immeuble situé sur leur territoire et appartenant à l'Etat, à des sociétés dont il détient la majorité du capital et à certains établissements publics, en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, d'actions ou d'opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation de telles actions ou opérations.
Dans cet arrêt, le CE vient affirmer que la cession d’immeubles appartenant à la SNCF en vue de réaliser une opération d’intérêt national est toutefois exclue du champ d’application de ce droit de priorité spécifique.
8) CE, 17 février 2025 n°493120
Urbanisme
Rappelons qu'en vertu de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme, lorsqu'un lotissement "a fait l'objet d'une déclaration préalable, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de non-opposition à la déclaration préalable, et ce pendant cinq ans à compter de cette même date. "
Cette cristallisation est toutefois "subordonnée à la division effective de l'unité foncière par le transfert, avant l'expiration du délai de trois ans suivant la non-opposition à la déclaration préalable, de la propriété ou de la jouissance d'au moins un des lots créés".
Le juge admet que la signature d'une promesse de vente "assortie d'une condition suspensive telle que celle tenant à l'obtention d'un permis de construire" peut constituer un tel transfert.
Toutefois, il considère que "la seule modification du cadastre ou la seule mise en vente de tout ou partie des terrains ne permet pas, en revanche, de regarder cette condition de division effective comme remplie".
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