Onze ans après l’entrée en vigueur de la réforme qui offre aux praticiens (juges et mandataires judiciaires à la protection des majeurs) les moyens de mettre en place une protection juridique sur mesure en faveur d’une plus grande autonomie des majeurs protégés : qu’en est-il ?

En pratique le constat est alarmant et les entraves à l'exercice des droits de la défense sont quasi permanentes.

La cause de ces dérives :

  • est-ce le manque de moyens et de formation spécifique dans le domaine du droit des majeurs protégés ? 
  • la conviction qu'un avocat est inutile dès lors que le curateur/tuteur agit au mieux des intérêts du majeur protégé ?
  • rester entre soi ? 
  • la volonté d’écarter l'avocat gênant certaines pratiques contestables dans l’exercice des mesures... ?

La situation des majeurs dits "protégés" devient préoccupante.

Les ouvertures de mesures hâtives sur le fondement d’un certificat médical obtenu dans des conditions contestables se généralisent : examen pratiqué sans rendez-vous et par surprise, la personne à protéger subissant un véritable interrogatoire dans un lieu et/ou un moment peu propices sans être informée des conséquences de cette visite médicale impromptue.

Pour le respect des droits et libertés des personnes vulnérables, il devient impérieux de rappeler qu'ont notamment valeur constitutionnelle :

  • La liberté, le droit au respect de sa vie privée et familiale,
  • le droit de choisir sa résidence,
  • l’interdiction de toute discrimination et de traitements cruels.

Au-delà du Code civil, ces droits fondamentaux sont protégés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC, art. 4), la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH, art. 5, 8, 14, Protocole 12 et 4) ainsi que par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH, art. 5 et 13).

L'article 66 de la Constitution confie la protection des libertés individuelles à l'autorité judiciaire.

Alors, pourquoi tant de maltraitances psychologiques et verbales vis-à-vis des personnes protégées ?

Pourquoi ce manque de considération ou cette agressivité déploré lors des auditions ?

Pourquoi les majeurs protégés, déjà victimes de leur vulnérabilité, ont-ils le sentiment d’être traités comme des délinquants ?

Pourquoi les aidants bienveillants sont-ils méprisés ? Est-ce pour mieux isoler le majeur protégé ?

Pourquoi tant de barrages à l’exercice des droits de la défense ?

Les entraves se multiplient :

  • défaut de réponse à courrier ou à requête,
  • refus de communiquer la copie des éléments du dossier,
  • non-respect du contradictoire,
  • pressions exercées sur le majeur vulnérable pour qu’il renonce à être défendu par un avocat ou alors pour qu’il change d’avocat si celui-ci devient trop « gênant »,
  • contestation de la légitimité du mandat de l’avocat du majeur protégé qui n’est pas toujours en mesure de faire seul les démarches pour être défendu,
  • exigence d'un pouvoir de l'avocat de représenter son client alors que la loi l'en dispense,
  • refus de régler les honoraires en misant sur le découragement de la défense,
  • prise de décision du Juge des tutelles écartant la priorité familiale pour le choix du tuteur  sans entendre le majeur protégé, ni son avocat,
  • audition ou devrais-je dire "interrogratoire" du majeur protégé sans son avocat pour le questionner sur le choix de son conseil et les raisons de ce choix…

Il est rare que deux auditions soient pratiquées par le même juge qui, de ce fait, ne connait ni le majeur protégé ou à protéger, ni son histoire, ni sa famille. Alors comment statuer de façon adaptée à la situation personnelle et patrimoniale de la personne sauf à faire une confiance absolue - sans contrôle - au mandataire judiciaire ?

Pourquoi ne pas remplacer sans délai un mandataire lorsque le majeur protégé est en souffrance du fait de l’exercice de la mesure (manque d’informations, abus d’autorité, infantilisation) ?

Pourquoi est-il si difficile, voire impossible de quitter un EHPAD quand on est sous curatelle ou tutelle ?

Pourquoi est-il si difficile, voire impossible d’entretenir des relations personnelles sentimentales avec la personne de son choix lorsque le tuteur ou le curateur s’y opposent injustement ?

Pourquoi lorsque de toute évidence une personne protégée est en danger et ses droits bafoués, certains Juges, certains Parquets Civils, ne répondent aux signalements alors qu’en application de l’article 416 du Code civil, le Juge des tutelles et le procureur de la République exercent une surveillance générale des mesures de protection dans leur ressort.

Quand plus de 150 000 euros en espèces ont été dilapidés en quelques mois sans justificatifs, par un couple âgé sous curatelle renforcée, sans jamais avoir été auditionnés par un Juge des tutelles, pourquoi les juges n’engagent-ils pas la responsabilité civile du mandataire judiciaire et/ou celle de l’État :

Il est constant que Mme Y (mandataire judiciaire à la protection des majeurs) n’a pas dressé d’inventaire du patrimoine des époux X (…).

La curatrice ne s’est pas assurée de l’utilisation par ses protégés des sommes importantes qu’elle leur remettait chaque mois (en espèces).

C’est à bon droit que les premiers juges en ont conclu que la mesure de curatelle n’a pas permis d’assurer une gestion rigoureuse des ressources des époux X.

Pour autant cette attitude n’a pas, comme l’a relevé également le tribunal généré un préjudice tant aux époux X qu’à leur fils au décès de ses parents.

Les modalités de gestion n’ont eu aucune incidence sur la qualité de vie des personnes protégés dont l’ensemble des besoins ont pu être satisfaits. (…)

La gestion par la curatrice de l’excédent des revenus après paiement des dépenses courantes n’a eu aucune conséquence négative de ce point de vue (Cour d’appel de T. 25 mai 2020).

Faudrait-il en déduire qu’il serait légal de spolier une personne sous curatelle renforcée ou tutelle, pourvu que son train de vie soit maintenu ?

Il est donc permis de s’interroger sur la finalité des mesures de protection juridique.

Certes, il reste la voie pénale mais la majorité des plaintes sont classées sans suite.

Alors les majeurs protégés seraient-ils otages d'une zone de non-droit dans laquelle la garantie des droits fondamentaux et libertés seraient occultée ?

Au pays des Droits de l’Homme, ce constat n’est pas acceptable.


Claudia CANINI

Avocat à la Cour - Droit des majeurs protégés

www.canini-avocat.com