Crise sanitaire oblige, depuis le 20 juillet 2020, le port du masque est rendu obligatoire dans les lieux publics clos pour toute personne de 11 ans et plus, en complément de l’application des gestes barrières.

Qu’en est-il du régime juridique du port de la barbe ? A priori, cette interrogation apparaît saugrenue, voire futile, en cette période estivale où, plus que jamais, nous recherchons tous un peu de légèreté. Et pourtant…

Le port de la barbe n’intéresse plus seulement les fashion victims : il s’agit là d’un sujet d’actualité qui « hérisse le poil », agite magistrats et doctrine, et renvoie à d’épineux débats de société. Preuve en est, l’arrêt rendu par la Cour de cassation qui, pour la première fois, éclaire l’employeur sur ses marges de manœuvre pour imposer la taille d’une barbe jugée provocante (Cass. soc. 8-7-2020 n° 18-23.743 FS-PBRI A. c/ Sté Risk & Co).

L’affaire concernait le licenciement pour faute grave d’un salarié cadre, consultant en sûreté au sein de la société Risk & Co, entreprise de prestations de services dans le domaine de la sécurité et de la défense. Il lui était reproché le port d’une barbe « taillée d’une manière volontairement signifiante aux doubles plans religieux et politiques », ce qui aurait mis en péril la sécurité de sa mission, en l’occurrence au Yémen.

Avant de le licencier, l’employeur l’avait enjoint au préalable de « revenir à un port de barbe exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission », injonction qu’il estimait ne pas être attentatoire à la liberté religieuse. Cette injonction demeurant infructueuse, l’employeur justifiait alors le licenciement par « le refus du salarié de revenir à une barbe d’apparence plus neutre ».

Les poils du salarié se sont alors dressés, et celui-ci a contesté et demandé la nullité de son licenciement, fondé pour lui, sur un motif discriminatoire. La Cour d’appel de Versailles lui a donné raison (CA Versailles 27-9-2018 no 17/02375). Les juges du fond ont bien jugé le licenciement discriminatoire, faute pour l’employeur, de justifier objectivement en quoi le port de la barbe constituait une provocation politique et religieuse. Pour motiver leur décision, les juges versaillais ont fait état que l’employeur n’avait pas défini la façon de tailler la barbe qui aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité avancés. Dès lors, selon la Cour d’appel, l’employeur n’a pas démontré les risques spécifiques de sécurité (liés au port de la barbe dans le cadre de l’exécution de sa mission au Yémen) de nature à « constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés du salarié », prévalant valablement celui-ci à une discrimination. La Cour de cassation, saisie par l’employeur, a confirmé la position des juges du fond, à savoir la nullité du licenciement en l’espèce, fondé « au moins pour partie, sur le motif discriminatoire pris de ce que l’employeur considérait comme l’expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe ».

Cet arrêt, largement commenté et diffusé, marque une nouvelle étape « dans l’élaboration de la jurisprudence relative aux libertés et droits fondamentaux du salarié dans l’entreprise », comme le souligne la Cour de cassation dans la note explicative de sa décision.

En synthèse, la Haute Cour reprend les mêmes règles en matière de respect de liberté religieuse par l’employeur à propos du voile islamique (Cass. soc. 22-11-2017 no 13-19.855 FP-PBRI -), et les étend désormais au port de la barbe. Son raisonnement s’opère en 4 temps :

1/ En préambule, la Haute Cour rappelle que les restrictions à la liberté religieuse opérées par l’employeur ne sont possibles que :

  • si elles sont « justifiées par la nature de la tâche à accomplir » ;
  • si elles répondent à « une exigence professionnelle essentielle et déterminante » ;
  • et si elles sont « proportionnées au but recherché ».

2/ Par ailleurs, et depuis la Loi Travail (article L 1321-3, 2 du Code du travail), il est désormais possible de prévoir ces restrictions au règlement intérieur, par une clause dite « de neutralité », interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause, générale et indifférenciée, n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients. Dans cette affaire, la société Risk & Co ne produisait aucun règlement intérieur précisant la nature des restrictions qu’elle entendait imposer au salarié en raison des impératifs de sécurité invoqués.

3/ Faute de clause, les Juges ont alors vérifié si l’employeur avait néanmoins la possibilité d’imposer des restrictions à une liberté religieuse, fondée sur « une exigence professionnelle essentielle et déterminante », « justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché ». Or, selon la Haute Cour, « les demandes d’un client relatives au port d’une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante ». 

4/ Enfin, « l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise » aurait pu, in fine, justifier que l’employeur impose aux salariés une apparence "neutre". Or, selon la Cour de cassation, en l’espèce, la société ne précisait pas de quelle façon tailler la barbe aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité. On peut en déduire qu’à contrario, il aurait été possible pour l’employeur d’imposer cette restriction à la seule condition qu’il démontre précisément en quoi cette restriction était nécessaire pour prévenir un « danger objectif ».

Rappelons, pour illustrer le fondement d’impératifs liés à la sécurité, que la Cour d’appel de Nîmes a déjà, par le passé, jugé valable le licenciement d’un salarié d’une société de démantèlement et de logistique nucléaire, qui refusait de raser sa barbe alors que le port de cette dernière empêchait l’étanchéité du masque de sécurité (CA Nîmes 21-6-2016 no 14/04558).

Si cette jurisprudence est aujourd’hui isolée, sa motivation est en revanche florissante, et « barbe » de plus en plus de pompiers poilus contraints de changer de look pour demeurer en exercice, comme en témoigne la récente actualité aux quatre coins de France. Devant une telle complexité, la période estivale semble « taillée sur mesure » pour une révision du règlement intérieur et une réflexion sur l’insertion éventuelle d’une clause de neutralité.