AVOCAT – AVOCATE – AVOCATS (2)

 

Caricatures et rumeurs – Pourquoi ? – Second Motif

     

            Le second motif qui préside aux caricatures et rumeurs pesant sur la profession d’avocat est sans nul doute, selon moi, la méconnaissance générale de la matière pénale et, avec celle-ci, son train de peurs, de révoltes, d’intransigeance ou d’indifférence, de radicalismes, de populismes.

            Ces derniers se sont multipliés à l’envie, avec la presse écrite d’abord (exemple tellement illustré par l’affaire DREYFUS), la radio, la télévision et aujourd’hui, dans des proportions que je ne sais imaginer, avec les réseaux sociaux.

            L’appui sur un bouton et le message, quel qu’il soit, traverse la planète en quelques secondes.

            Vraie, fausse, amplifiée, déformée, l’information est reçue, interprétée, enjolivée, aggravée, banalisée. Elle peut marquer à jamais, à raison ou injustement.

 

            Cette méconnaissance de la matière pénale relève, s’y l’on y réfléchit, du grand mystère humain.

            Nul n’aurait l’idée de punir un enfant sans l’avoir averti et sans lui avoir expliqué ce que serait sa punition : « si tu continues, si tu recommences, tu seras privé de…, tu iras dans ta chambre…, etc… ».

            L’enfant, l’adolescent, peut mesurer la frustration qui lui en coûtera. Cela fonctionne parfois.

 

            La difficulté avec l’adulte est qu’il n’entend plus, et ne mesure donc plus, parce que l’avertissement qui lui est donné relève de l’impossible accès (« nul n’est censé ignorer la Loi ») et que, ayant accédé à l’autonomie avec son âge, c’est-à-dire au moins à l’autonomie d’être et d’agir, de créer des relations où règne le subjectif, l’irrationnel, il perd aussi le bon sens commun.

            Nous en avons un exemple quotidien, dont nous sommes tous témoins : la circulation routière. Tout le monde, pour une fois, connaît les règles, et s’il ne maîtrise les sanctions pénales qui sont attachées à leur irrespect, a une comptabilité assez précises du mécanismes des « points » perdus. Mais combien les appliquent ces fameuses règles, ce code de la route ? Et combien sont-ils à réitérer après une punition ressentie comme accablante et, au bout du compte, comme injuste ? Combien sont-ils (elles) à continuer à prendre le volant alors que le droit de conduire leur a été retiré (pas loin d’un million paraît-il). Et parmi ceux-ci encore, combien de personnes bien pensantes qui n’ont pas même l’idée d’être délinquant et qui, parallèlement, s’émeuvent de la moindre incivilité ?

            Qui, honnêtement, peut-il affirmer qu’il n’a jamais commis (sans y être surpris au moins) la moindre infraction routière, serait-ce par simple distraction (ceinture de sécurité, téléphone, bande blanche, stop, priorités, sens interdits, feu...) ?

 

            Qui peut croire que, avant de frapper, un homme (ou une femme) réfléchit aux conséquences de son geste, en punition pour lui (elle) mais aussi en traumatismes de toutes natures, physiques, psychologiques, sociaux, familiaux ?

 

            L’illustration la plus retentissante est dans la peine de mort. Son existence législative, et même sa mise à exécution, n’ont jamais empêché le moindre acte criminel.

 

            Si la sanction encourue était effectivement dissuasive, à admettre qu’elle soit connue de l’auteur, la surpopulation carcérale n’existerait pas.

 

            Le présent billet n’évoquera pas l’immense question des victimes des infractions, ainsi que les conséquences, pour elles, de leurs propres méconnaissances. C’est une question tellement lourde qu’il sera juste de lui réserver une réflexion séparée.

 

            C’est dans ce considérable irrationnel que le métier d’avocat est probablement le plus incompris et, par-là, son profil écorné.

            Il est, dans l’imagerie populaire, le prolongement de celui dont il ose assurer la défense (le monstre, le salaud) et, puisqu’il le fait, c’est forcément qu’il y a un intérêt et, cet intérêt ne peut-être que l’argent et, ou la « gloire ».

 

            Les qualificatifs fusent alors, et ce n’est pas nouveau : « baveux » « menteur » « pourri », ou encore les substantifs : « comédie », « théâtre », « vendu »…

 

            Ce n’est pas nouveau en effet. Au XIXème siècle, le génial  graveurcaricaturistepeintre et sculpteur français Honoré DAUMIER observait, en la caricaturant, la société qui l’entourait.

            Il n’a fait aucun cadeau aux « gens de justice », et encore moins aux avocats.

 

            Il a souligné en particulier la dualité d’apparence de notre fonction, dualité que le citoyen se refuse à admettre : comment peut-on soutenir hier une victime accablée et, le lendemain, assurer la défense d’un meurtrier ?

            Représentant un avocat plaidant, gonflé d’ego, pour le compte d’une veuve collée à son enfant, il légende ainsi sa gravure : « Il défend l’orphelin et la veuve, à moins pourtant qu’il n’attaque la veuve et l’orphelin ».

            Tout est dit. Nous étions approximativement en 1850.

 

            L’avocat pénaliste, qu'on le veuille ou non, est d'abord un spécialiste de la loi pénale, en particulier de la procédure pénale dont nous oublions généralement l’importance.

            Son respect, et cette redite me navre, est la garantie de nos libertés et de l’équité.

            Mais lorsqu’un avocat, soulevant que cette procédure a été bafouée obtient qu’elle soit annulée quand il assurait la défense d’un horrible personnage, la France entière s’émeut et s’indigne.

 

            Il n’a pas compris alors, ce pays, que ce sont ses principes supérieurs qui ont été protégés et donc, leur propre liberté, préférant honnir les juges et les avocats qui n’ont pas oublié l’esprit des lois cher à MONTESQUIEU, ce qu’est un état de droit, et qui ont eu le courage, oui le courage, de le respecter. Car il n'est pas toujours aisé ni de défendre, ni de juger dans le vent contraire.

 

            La mission de défendre est souvent incomprise et il paraît inacceptable à certains que l’on puisse même être défendu. Il en va de même de celle de juger. Pourtant !

 

            On l’a bien vu, il y a une dizaine d’années, lorsque le Président de la République, Nicolas SARKOZY, avait pensé qu’en adjoignant des « citoyens assesseurs » aux magistrats professionnels siégeant au Tribunal Correctionnel les sanctions prononcées seraient plus sévères et le peuple réconcilié avec sa justice.

 

            J’ai participé, au côté des magistrats, à la formation (rapide) de ces citoyens tirés au sort sur les listes électorales. Ces citoyens, c’était nous.

 

            Il s’est alors produit ce que nous pouvions imaginer.

            Il ne s’agissait plus pour ces juges provisoires de relayer les rumeurs et les caricatures. Confrontés à l’acte de juger, avec une voix de même valeur que celle des magistrats, ils ont pris conscience avec sérieux que les réalités de papier, les commentaires des forums électroniques, ceux de leurs collègues de travail, de leurs voisins ou de leur famille, se révélaient ignorants et détachés d’une réalité tenace.

 

            Celle de la vie, de ses incertitudes, imperfections, anomalies. Celle de curriculum vitae dont nul n’aurait voulu pour lui-même ou ses enfants. Celle d’éducations massacrées, d’isolement, d’entraînements, de soumissions, de fréquentations murées dans un cadre géo- social fatal, de misère, de désamour, d'abandons, de perdition, d’abimement dans l’addiction.

            Ils ont bien vu que, sauf accident, sauf exception, ce n'étaient pas leurs enfants qui avaient vocation à se trouver dans le box des mis en cause.

            Ils ont essayé, à l’instar de l’esprit du code pénal et de la pratique judiciaire, d’appliquer la Loi ainsi qu’ils la pensaient juste. Chaque occurrence étant différente.

 

            Ils ont appris ce qu’est l’opposition entre les cercles vertueux et les cercles vicieux.

 

            Nul n’a constaté qu’une plus grande dureté, une plus grande sévérité, une intolérance accrue s’installait.

            C’est vraisemblablement pourquoi, cette innovation ayant été réalisée à titre probatoire dans le ressort de deux Cour d’Appel (DIJON et TOULOUSE, de mémoire), pour deux années, elle n’a pas été étendue à l’ensemble du territoire et qu’il a été mis fin à cette institution qui avait un coût considérable. Pas seulement économique. Ce coût était aussi celui d’audiences considérablement plus longues.

            J’aimais défendre devant ces citoyens assesseurs. Là pour quelques jours seulement ils étaient attentifs, concentrés. Leur présence amenait les magistrats professionnels à plus de pédagogie, plus d’explications, plus de patience aussi, peut-être.

 

            Et l’avocat, perçu hier avec défiance par les mêmes, était écouté d’eux. Parce que ce qu’il avait à dire, pour la victime ou pour le (la) prévenu(e), leur était indispensable pour se déterminer, pour être juste.

 

            Préservés de l’usure de la tâche par la brièveté de leur mission, ces citoyens assesseurs, nos semblables, ont compris qu’il n’était de justice sans contradiction.

 

            Je ne dis pas que nous ne sommes pas écoutés par « nos » juges faute de quoi je cesserai mon activité, mais c’est parfois, cependant, ce que nous ressentons lorsque, ayant défendu avec conviction, éreintés, la décision prise ne nous en rend rien.

            Pour l’auteur, ou pour sa victime, déçus, choqués, révoltés, il n’y a pas loin que ce soit de la faute de l’avocat.

                                                                                     —